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Un mandat compliqué pour les familles

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Touchant à l’intime, la gestion d’une mesure de protection juridique est une affaire délicate. Si elle est très souvent déléguée par la collectivité à un mandataire professionnel, ce dernier doit trouver sa place dans le puzzle familial. Il s’agit de travailler en bonne intelligence avec les proches du majeur protégé, tout en étant avant tout soucieux de promouvoir son autonomie et ses intérêts.

Plus de la moitié des quelque 800 000 majeurs protégés est accompagnée par des mandataires judiciaires professionnels. Néanmoins, « la loi du 5 mars 2007 réformant le droit tutélaire a réaffirmé avec force la primauté familiale pour l’exercice des mesures de protection des adultes vulnérables – personnes handicapées et personnes âgées », fait observer Karine Lefeuvre, professeure à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), à l’initiative d’un colloque sur la place des familles dans les mesures de protection(1). Ainsi, le juge doit nommer en priorité comme tuteur ou curateur(2) le conjoint de la personne concernée, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité (PACS) ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux ou qu’une autre cause empêche de le désigner(3). A défaut, le protecteur sera un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur ou entretenant avec lui des liens étroits et stables. C’est seulement si aucun membre de la famille ni aucun proche ne peut assumer la curatelle ou la tutelle que le juge désigne un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM). Mais, même dans ce cas, la famille joue un rôle tout au long de l’exécution de la mesure. C’est, par exemple, à elle que le MJPM remet la notice d’information et la charte des droits de la personne protégée si l’intéressée n’est pas en mesure d’en saisir la portée.

UN DOUBLE ÉCUEIL

Cette préférence donnée à la famille s’appuie sur une présomption de confiance fondée sur la proximité affective avec la personne protégée. La collectivité a tout intérêt à partir de ce postulat, car les apparentés qui se chargent (gratuitement) de la protection d’un des leurs sont source de substantielles économies publiques(4). Mais toutes les familles ne sont pas aimantes et désintéressées, toutes n’ont pas non plus envie de ce type de relation avec leur proche qui bouscule les places et oblige chacun à se repositionner. Alors, tuteur familial ou pas ? Et si oui, lequel ? Dans la pratique, il faut éviter un double écueil, signale Thierry Verheyde, conseiller à la cour d’appel de Douai (Nord) : « celui d’une application maximaliste de ce principe de priorité familiale ou, à l’inverse, d’une mise à l’écart trop rapide de la famille ». Evidemment, les juges s’efforcent autant que possible d’appliquer la loi, mais « avec le risque de forcer la main à un membre de la famille », fait observer le magistrat. Cette « tentation » est d’autant plus grande quand, pour des raisons financières et/ou de manque de professionnels disponibles, « on vous fait savoir que la possibilité de désigner des MJPM est limitée », ajoute-t-il. « Forcer la main d’un proche » signifie alors passer un peu vite sur la présentation de ce que représente le mandat de protection pour ne pas effrayer le candidat potentiel – « ce n’est pas très difficile, vous continuerez comme avant » –, et notamment faire l’impasse sur la responsabilité de la gestion des biens du majeur. Pour la personne protégée, le danger de cette option est l’excès de pouvoir du protecteur, qui abuse de son autorité sur elle et/ou l’infantilise, en particulier lorsque l’intéressée est un majeur handicapé. Quant au protecteur, il peut être en proie à la confusion des rôles – l’enfant mandaté devenant le parent de son parent – et en butte à l’hostilité du reste de la famille.

Mais « on peut aussi s’exposer à des déconvenues quand on écarte trop vite la famille », précise Thierry Verheyde. Deux raisons sont susceptibles de conduire à cette exclusion précipitée. La première tient à la mise en avant de l’autonomie du majeur : « Certains travailleurs sociaux ou médecins la considèrent comme une espèce d’absolu, ce qui pose question, même s’il faut tout faire dans ce sens-là quand le majeur lui-même revendique son autonomie ou une autonomie plus grande par rapport à ses parents », explique le magistrat. Un autre motif lui semble aussi trop rapidement avancé, celui du conflit familial. Par exemple, la fille aînée s’occupe de son parent survivant et gère ses papiers et ses biens avec des procurations, puis une mesure de protection est enclenchée par des travailleurs sociaux qui disent « attention, conflit familial » et le juge « débarque » l’intéressée pour ne pas avoir sur le dos les apparentés râleurs ou suspicieux. Or « le conflit familial ne suffit pas, à lui seul, pour écarter un membre de la famille, sauf s’il a de telles répercussions sur le majeur que cela lui nuit », estime le juge.

La loi de 2007 a enrichi la palette d’outils à même de minimiser les problèmes familiaux. Dans une fratrie, par exemple, il est possible de désigner le frère ou la sœur méfiant comme « subrogé » curateur ou tuteur, ce qui lui permettra de surveiller les actes passés par le curateur ou tuteur familial. La mesure peut aussi être divisée entre deux personnes qui l’exercent en commun (cocuratelles ou cotutelles), ou bien entre un curateur ou un tuteur en titre et un curateur ou tuteur adjoint, chargé de la gestion de certains biens, ou encore entre deux curateurs ou deux tuteurs, l’un ayant pour mission les ­questions patrimoniales, l’autre celles qui sont relatives à la personne du majeur. Stéphanie Kass-Dano, juge des tutelles au tribunal d’instance de Courbevoie (Hauts-de-Seine), se dit assez réticente aux cocuratelles ou aux cotutelles, car toute une série d’actes patrimoniaux peuvent être effectués indifféremment par l’un ou l’autre des mandataires, en présumant qu’ils se sont mutuellement prévenus. De la même manière, la désignation d’un curateur ou tuteur « à la personne » et d’un autre « aux biens » suppose un minimum d’entente et de communication entre eux. Ces modalités de partage des mesures permettent aussi de mixer proches et professionnels. Pour se conformer à la hiérarchie légale et parce que cette nomination n’était pas contraire aux intérêts du majeur, la magistrate des Hauts-de-Seine a ainsi confié la tutelle d’un homme de 90 ans, atteint de la maladie d’Alzheimer, à l’épouse avec laquelle il s’était remarié il y a dix-sept ans. Mais saisie par les enfants de l’intéressé qui étaient opposés à cette nomination, Stéphanie Kass-Dano a prévu de désigner l’un d’eux comme subrogé tuteur, ainsi qu’un mandataire professionnel comme tuteur adjoint chargé de veiller au bien-être de la personne protégée (sur le rôle des mandataires auprès des malades d’Alzheimer, voir aussi ce numéro, page 13).

APAISER LES CONFLITS

Tous les traumatismes de l’enfance peuvent flamber à l’occasion de la mise sous protection d’un parent âgé, explique Pierre Decourt, psychiatre-psychanalyste. « Il y a une compétition pour savoir qui va avoir le leadership dans la famille et une réactivation des conflits œdipiens, l’enfant mal aimé se trouvant en position de règlement de comptes avec son parent. » Pour pacifier les relations familiales autour d’une personne âgée, « on évolue souvent vers des comesures », témoigne Marie-Hélène Bielle, MJPM dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Gironde. « Nous-mêmes, préposés d’établissement, sommes chargés des biens du majeur et un enfant de sa personne », précise-t-elle. Michel Girard, vice-président de l’Unafam (Union nationale des amis et familles de personnes malades et/ou handicapées psychiques), juge très positive cette association famille-professionnel. « Cela permet de réduire les occasions de conflit entre nous-mêmes, les parents et la personne protégée et aussi de préparer l’avenir, “l’après-nous” », souligne ce père d’un jeune adulte atteint de troubles psychiatriques, dont il est le subrogé curateur depuis sept ans. « Parfois, la seule apparition du mandataire judiciaire apaise les choses et, en revanche, si la situation se dégrade, je reprends la main », ajoute Michel Girard, qui regrette que les MJPM aient une si mauvaise connaissance du handicap psychique. C’est souvent le cas, aussi, des magistrats. De ce fait, « on en arrive à des décisions aberrantes où la protection est levée parce que nos enfants peuvent tenir vingt minutes un discours parfaitement cohérent au juge », note-t-il.

Les enjeux identitaires liés à la mise en œuvre d’une mesure de protection contribuent à expliquer que la famille – quand famille il y a – n’est pas toujours à l’origine de la demande faite au juge. « Le déclenchement de la mesure est un bouleversement pour les parents. Certains retardent ce moment, ou n’y arrivent jamais », constate Marie-Thé Carton, membre du conseil d’administration de l’Unapei (Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis). Les intervenants du domicile et d’établissements de soins ou d’hébergement ont à cet égard un rôle important. Ils peuvent aussi être amenés à signaler les familles investies d’une mesure de protection qui se montrent invasives et autoritaires par rapport à leur proche, ou bien qui font main basse sur ses ressources. S’agissant des personnes âgées, ce sont les phénomènes d’abus de faiblesse – par la famille, les voisins, des démarcheurs – qui sont les plus nombreux et peuvent conduire à des signalements à la justice, explique Christine Bourdin, responsable d’un service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) en milieu rural. La maltraitance des personnes âgées s’inscrit dans un contexte de loi du silence. Les vieilles personnes craignent de se couper de la ou des seules personnes qui s’occupent d’elles et la peur de l’intrusion judiciaire est un frein à leur mise sous protection, commente Christine Bourdin, précisant que dans son service, uniquement deux des soixante-dix personnes accompagnées bénéficient d’une protection juridique – les deux seules qui sont sans famille. En établissement, « nous avons aussi un rôle de vigie par rapport au respect des droits de la personne accueillie », témoigne Marylène Fournier, directrice d’établissement médico-social dans les Deux-Sèvres. Que le résident soit un jeune majeur ou une personne âgée, le message n’est pas toujours facile à faire passer aux familles. Celles-ci sont souvent très loin de ce que recouvre la notion de « protection ». « Pour elles, l’important est d’aimer, de donner. Mais est-ce qu’on donne à un jeune adulte comme à un enfant de 3 ans ? » Dans l’éventualité où aucune suite n’est apportée aux recommandations des professionnels, il est nécessaire d’envisager l’intervention d’un tiers dans la protection de la personne, poursuit Marylène Fournier. « Parallèlement, nous apportons un soutien à la famille, pour lui exprimer notre volonté de continuer à communiquer avec elle et la conforter dans l’idée que cette relation apaisée entre nous sera bénéfique à son proche. »

« GÉRER L’INTIME »

Même quand un mandataire judiciaire professionnel se voit confier l’exercice de la mesure dans son intégralité, il doit, autant que faire se peut, associer la famille à la protection de son parent. « Il est essentiel de bien clarifier les rôles pour que la famille sache de quelle manière elle peut poursuivre son aide auprès du majeur », commente Marina Driano, MJPM à l’Union départementale des associations familiales (UDAF) du Morbihan. Il y a un caractère nécessairement intrusif dans la mesure de protection. « Gérer l’argent et les papiers, c’est gérer l’intime », souligne Pierre Bouttier. Aussi, « se sentir dépossédé du devenir de son parent peut être très violent », reconnaît le président de l’Association nationale des délégués et personnels des services mandataires à la protection juridique des majeurs (ANDP). Il importe d’« avoir toujours à l’esprit que le mandataire est subsidiaire aux apparentés, cependant il faut dans tous les cas respecter la volonté du majeur qui ne veut pas voir sa famille », complète Frédéric Dos Santos, vice-président de l’Association nationale des MJPM, qui représente les préposés d’établissement. Dans la pratique, les MJPM sont confrontés à deux contradictions : « Il y a, d’une part, le fait que nous devons communiquer avec la famille, ne pas la laisser à l’écart, tout en ayant juré de respecter la confidentialité des informations détenues. Il nous faut, ­d’autre part, protéger dans l’intérêt exclusif de la personne, pas de ses héritiers, qui pourtant pourront venir chercher notre responsabilité », développe Frédéric Dos Santos. Lui-même s’est vu poursuivre par la famille d’une personne âgée jugeant qu’il dilapidait l’héritage, parce qu’il avait acheté un dentier et des chaussures orthopédiques à cette femme de 90 ans.

Rassurer les proches, leur faire connaître l’étendue et les limites de la mission de protection, poser les bases d’un cadre d’intervention sont autant d’occasions, pour le professionnel, de tordre le cou à certaines idées fausses. « Vous pourrez le forcer à se soigner, le placer en établissement, etc., les croyances liées à la mise en œuvre d’une mesure chargée de résoudre tous les dysfonctionnements dus à l’incurie de leur parent enfin “protégé” sont nombreuses », constate Frédéric Dos Santos. La question de la maison de retraite, qui est à la fois un acte patrimonial et relatif à la personne, se pose très souvent, renchérit Stéphanie Kass-Dano. Or c’est à la personne protégée de décider ou pas d’y aller, quelle que soit la mesure. Néanmoins, le juge peut être saisi s’il y a une difficulté, en fonction du danger pour la personne à rester à son domicile et de l’impossibilité de remédier à ce ­danger. De la même manière, une personne qui refuse le soin ne peut pas s’y voir contrainte. « Notre mission est de veiller à l’accès aux soins, pas d’obliger la personne à se soigner », fait remarquer Anne-Laure Arnaud, présidente de la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants (FNMJI).

Quand il s’introduit dans une famille, le MJPM en bouscule l’équilibre et il doit s’y faire une place tout en respectant celle des autres. Cette intégration dans le puzzle familial est plus ou moins facile. Selon une typologie proposée par la présidente de la FNMJI, les familles les plus fréquemment rencontrées appartiennent à quatre groupes. Il y a « la famille bienveillante », qui souhaite et accepte l’intervention du MJPM. « Avec cette famille, les échanges sont fluides, on peut définir notre rôle et celui de chacun autour du majeur, recueillir de façon optimale la parole de ce dernier, ce qui permet de l’entourer d’un climat relationnel serein et de soins adaptés », détaille Anne-Laure Arnaud. « C’est ce type de famille qui va pouvoir demander au juge d’être protectrice à la personne et nous aux biens ». Deuxième hypothèse, « la famille conflictuelle mais bienveillante » : cette famille a été écartée en raison de ses conflits, mais certains proches étaient volontaires pour exercer la mesure, ce qui engendre beaucoup de frustration et une certaine méfiance à l’égard de l’étranger. Avec ces familles, « il faut faire preuve de pédagogie et de patience, mais permettre à chacun de trouver sa place ramène la sérénité et procure un bon entourage à la personne protégée », estime la présidente de la FNMJI. Troisième type de famille, « la famille comptable », avec des membres ou des clans qui règlent leurs comptes et vont essayer d’instrumentaliser le MJPM pour faire valoir leur point de vue. L’intérêt de la personne protégée, bien qu’affiché, n’est pas prioritaire, et le majeur évolue dans une ambiance tendue – à laquelle il est habitué, car c’est souvent le fonctionnement familial habituel qu’il a lui-même généré. Face à ce type de famille, il importe d’éviter le piège de la médiation et celui du parti pris, savoir se resituer dans le périmètre du mandat judiciaire, écouter et faire circuler l’information pour limiter le sentiment de persécution et permettre à chacun de jouer un rôle positif, précise Anne-Laure Arnaud. Il y a, enfin, la famille maltraitante et la famille violente. Dans le cas de maltraitances (financières et/ou psychologiques), la mesure n’est pas acceptée par l’entourage et il y a une ambivalence de la personne protégée en fonction des représailles qu’elle va craindre, ce qui rend difficile de respecter ses volontés profondes. « Nous, on ne peut changer ces fonctionnements familiaux, seulement en tenir compte, agir dans le cadre légal à l’égard de la maltraitance, et être très ferme et constant sur notre rôle. » Avec la famille violente, qui refuse l’intervention d’un tiers et tente d’intimider le MJPM, on est dans le cadre pénal, ajoute la professionnelle. Il faut vérifier si les violences physiques et morales supposées sont avérées, déposer plainte ou faire un signalement, et si possible mettre le majeur à l’abri. « Nous devons être très vigilants car la personne violente qui a été condamnée reste le fils, la fille, le neveu du majeur protégé et continue à avoir un rôle auprès de lui », souligne Anne-Laure Arnaud.

SOUTENIR LES FAMILLES

Parce qu’il n’existe pas de mandat plus complexe et plus large que le mandat de protection, il n’y a pas de solution miracle aux hypothèses de conflits, qu’ils soient intrafamiliaux ou entre la famille et un mandataire professionnel. Ce qui pose avec acuité la question de la compétence des protecteurs. En ce qui concerne les MJPM, la loi de 2007 stipule qu’ils ne peuvent plus exercer sans avoir suivi une formation certifiée par l’Etat. Ce n’est évidemment pas le cas des familles. Alors qu’on a assez souvent tendance à les pousser à accepter d’exercer la mesure de protection, les familles découvrent a posteriori l’étendue du travail et des responsabilités qui leur sont confiés et elles sont en demande d’information et d’accompagnement. De fait, « le soutien aux curateurs et aux tuteurs familiaux est un enjeu crucial, faute de quoi le principe de priorité familiale affirmé par la loi restera purement incantatoire », assure Thierry Verheyde. La Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO) recommande, par exemple, la mise en place de kits de formation minimale sur toutes les mesures de protection, destinés aux familles et aux médecins de famille. De leur côté, la CNAPE (Convention nationale des associations de protection de l’enfant), la FNAT (Fédération nationale des associations tutélaires), l’UNAF (Union nationale des associations familiales) et l’Unapei ont publié un guide à destination des familles concernées par des mesures de curatelle et de tutelle(5). Il existe en outre un certain nombre de services d’aide aux tuteurs familiaux, que des associations ont montés au niveau départemental, ou bien régional – comme c’est le cas du Nord-Pas-de-Calais. La loi de 2007 a posé le principe de tels dispositifs, mais « aucun financement ad hoc n’est prévu, ni orienté », pointe Julien Kounowski, inspecteur de l’action sanitaire et sociale de la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale du Nord-Pas-de-Calais. Or, « pour un euro investi dans les familles, on va jusqu’à économiser 300 € au niveau public », estime ce spécialiste. Il y a deux ans, dans un « Livre blanc sur la protection juridique des majeurs », les principaux acteurs associatifs avaient déjà dénoncé « cette carence en matière d’aide et d’appui aux tuteurs familiaux, [qui] conduit les familles à renoncer à exercer elles-mêmes la mesure »(6). A l’heure des recherches d’économies tous azimuts, il est curieux que l’Etat ne se donne pas les moyens de favoriser une diminution substantielle du nombre de mandataires professionnels.

Mesures ouvertes en 2012

→ 36 985 mesures de tutelle et 29 136 curatelles ont été ouvertes en 2012.

→ Les tutelles concernaient près de 2 fois sur 3 des femmes (65 %). En revanche, les curatelles étaient quasi également réparties entre hommes et femmes.

→ En matière de tutelle, la gestion familiale représentait 59,1 % des cas pour les hommes et 64,2 % pour les femmes. Pour les hommes comme pour les femmes, la famille est très présente aux côtés des moins de 25 ans : elle se voit confier plus de 7 fois sur 10 l’exercice de la mesure. Au fur et à mesure que le/la majeur(e) vieillit, cette proportion décroît jusqu’à atteindre son plus bas niveau chez les 55-59 ans (39,8 % pour les hommes, 41,4 % pour les femmes). A partir de 65 ans pour les femmes et de 75 ans pour les hommes, les tutelles familiales redeviennent majoritaires.

→ Quels que soient l’âge et le sexe des personnes pour lesquelles une curatelle a été ouverte en 2012, la mesure était en majorité exercée par des mandataires judiciaires professionnels. Tous âges confondus, la gestion familiale des curatelles ne concernait que 25,8 % des hommes et 30,2 % des femmes.

Source : Ministère de la Justice.

Femmes ou hommes de la parenté

A partir d’une enquête menée en 2004 dans le Finistère, Françoise Leborgne-Uguen, maître de conférences en sociologie, relève que l’exercice de la protection de parents âgés a une caractéristique singulière par rapport à l’ensemble des activités familiales : alors que ces dernières sont très majoritairement assurées par des femmes, les mesures de protection d’un ascendant ou d’un collatéral âgé sont presque aussi souvent exercées par des hommes que par des femmes(1). Cette situation ne se retrouve pas dans les nominations de parents auprès de leur enfant devenu majeur : ce sont alors plus souvent les mères qui en deviennent les représentantes légales.

S’agissant des apparentés âgés, la sociologue constate deux modes d’entrée en fonction des curateurs ou tuteurs familiaux selon leur genre.

Dans le cas des femmes, ce sont des personnes déjà engagées dans l’aide au long cours de leur proche. Le mandat de protection prolonge d’une manière officielle une activité informelle existant depuis longtemps. « Cette protection peut être banalisée parce qu’elle est vue comme moins mobilisatrice que le travail de soutien qui a précédé ou qui est toujours fourni dans d’autres domaines : l’accompagnement et les soins à domicile, la coordination de différents intervenants, ou encore la recherche d’un hébergement collectif. »

En ce qui concerne les hommes, Françoise Leborgne-Uguen note une entrée « par les affaires de papiers ». Le plus souvent, l’activité des curateurs ou tuteurs masculins est d’abord pensée par eux comme une question patrimoniale ou de bonne gestion budgétaire.

Un certain nombre d’entre eux restent polarisés sur cette vision gestionnaire de la protection, détachée des soins et de l’organisation du quotidien, perçus comme l’affaire d’autres femmes de la parenté : leur conjointe ou leur sœur le plus souvent. « Ces registres peuvent aussi rester peu imbriqués avec la protection lorsqu’ils sont délégués à des professionnels », ajoute la chercheure. Mais il arrive également, de façon moins fréquente, que la protection des biens conduise les hommes à « étendre leur préoccupation à la protection de la personne au sens où, accompagnés ou validés par un autre (proche) au moins, ils vont tenter d’avoir de la prise sur la qualité de la vie de leur parent, en référence à ce qui constitue la préservation de sa dignité ».

Notes

(1) Colloque organisé à Paris les 12 et 13 juin dernier par l’EHESP, en partenariat avec l’université de Rennes-1 et la Fédération hospitalière de France – www.ehesp.fr.

(2) La curatelle est un régime d’assistance ou de contrôle d’une personne majeure aux facultés personnelles altérées ; à un niveau supérieur, la tutelle vise à représenter l’intéressé.

(3) Voir ASH n° 2865 du 20-06-14, p. 45 et le numéro juridique des ASH sur La protection juridique des majeurs (mars 2013) – A commander sur www.ash.tm.fr, rubrique « Librairie ».

(4) En 2012, l’Etat, les départements et la sécurité sociale ont financé des mesures de protection à hauteur d’environ 556 millions d’euros.

(5) Voir ASH n° 2863 du 6-06-2014, p. 17.

(6) Voir ASH n° 2765 du 22-06-13, p. 20.

(1) Intervention au colloque de l’EHESP et contribution à la revue Informations sociales – « Etre sous tutelle » – N° 138 – Mars 2007.

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