Depuis 15 ans, France terre d’asile constate la reproduction du même schéma à Calais (Pas-de-Calais) : arrivée de migrants, absence de prise en charge, solution d’urgence, mobilisation des associations, saturation des lieux d’accueil et campements, démantèlement sans solution de long terme, dispersion des migrants, retour des migrants, absence de prise en charge par les autorités, saturation… L’année 2014 a été marquée par un afflux encore plus important de migrants, ce qui a entraîné, selon l’association, une aggravation de « la détérioration de leurs conditions de vie ».
L’association propose, dans un supplément à ses Cahiers du social (1), une série de solutions pour une « sortie de crise », alors même que la situation est de plus en plus tendue à Calais (2). En préalable, il lui a semblé utile d’établir un diagnostic de terrain. Elle dresse le profil des migrants présents dans la région : celui-ci est « très varié et fluctue au fil des mois ». Actuellement au nombre de 1 500 environ, les migrants sont, pour la plupart, de jeunes hommes isolés originaires de pays dans lesquels la situation politique est instable, conflictuelle, ou dans lesquels les droits de l’Homme font l’objet de graves violations : Erythrée, Ethiopie, Soudan, Afghanistan, Pakistan… L’association constate, depuis 2009, une hausse du nombre de femmes migrantes (elles représentent 14 % des migrants recensés).
Dans un contexte de pénurie d’hébergement d’urgence, ces migrants sont installés dans des bâtiments abandonnés, des aires d’autoroutes, dans des campements montés dans les dunes ou la forêt environnante. Dans certains cas, ils parviennent à occuper des emplois de fortune non déclarés, d’autres ont recours à différents trafics ou se prostituent pour subvenir à leurs besoins. Nombre d’entre eux présentent des troubles psychiatriques, des addictions, des carences alimentaires, des blessures liées aux tentatives de traversée ou sont victimes de violences.
S’ils espèrent rejoindre le Royaume-Uni, c’est notamment parce qu’ils maîtrisent la langue anglaise et estiment donc que c’est là-bas qu’ils auront les plus grandes possibilités d’intégration. D’autres présument une plus grande facilité à travailler en Angleterre qu’en France ainsi qu’une orientation automatique vers un centre de premier accueil puis un hébergement. Selon France terre d’asile, cette attractivité de l’Angleterre vient surtout de fausses informations diffusées par les réseaux de passeurs, très présents dans les camps à Calais et sur le littoral : « Chaque migrant est un potentiel client susceptible de faire appel à leurs services pour tenter de traverser la Manche », analyse l’association.
Rappelant la chronologie des principales mesures de politiques publiques prises concernant les migrants et tirant des leçons de leurs échecs, elle liste 11 « solutions » qui permettraient d’« éviter que des lieux où se concentre tant de précarité administrative, sanitaire et sociale ne s’inscrivent durablement dans nos territoires ». Elle propose, premièrement, que soit délivrée une information juridique « fiable et objective au plus près des migrants ». Les associations sont, selon France terre d’asile, « les mieux placées pour fournir cette information ». Elles doivent donc « être suffisamment soutenues pour pouvoir la proposer à toute la population migrante du littoral » et « pouvoir bénéficier d’une formation continue sur le droit d’asile et les droits des étrangers et de l’instauration d’une instance de dialogue avec les autorités pour échanger sur les situations et les besoins des migrants ». France terre d’asile réclame, en outre, l’ouverture d’un lieu d’accueil de jour « facilement accessible et suffisamment dimensionné » ainsi que la mise à l’abri des personnes vulnérables, en particulier les mineurs isolés, les femmes et les victimes de la traite des humains. Au début septembre, le ministère de l’Intérieur et la mairie de Calais ont annoncé des décisions semblant aller dans ce sens (3), mais France terre d’asile, qui reconnaît avoir été sollicitée sur ce sujet à la fin du mois dernier, reste dans l’expectative.
Reprochant à la police des pratiques répétées « d’intimidation, de contrôle et d’interpellations », l’association propose qu’elle se concentre plutôt sur le démantèlement de réseaux de trafiquants d’êtres humains et sur sa mission de protection des populations, y compris migrantes. Autre doléance : que la rétention cesse d’être utilisée de manière « abusive ». Enfin, elle demande que le Royaume-Uni prenne « sa juste part de responsabilité » dans la politique migratoire et d’asile de l’Union européenne. Selon l’association, l’accord récent conclu entre la France et le Royaume-Uni, qui prévoit une contribution britannique de 15 millions en trois ans pour « gérer la pression migratoire » (4), ne va pas dans le bon sens car « il sert surtout à sécuriser le port et à empêcher les départs », alors qu’elle réclame « l’adoption d’une approche humaine, solidaire et équilibrée à l’égard des migrants, de la France et du reste de l’Europe ».
(1) « 1999-2014, Les migrants et le Calaisis – Quelle sortie de crise ? » – Disponible sur
(2) Le 20 octobre, 300 migrants ont tenté de prendre d’assaut une longue file de camions attendant d’embarquer pour l’Angleterre au port de Calais ; le 21 octobre, des rixes entre groupes de migrants se sont déroulées dans la zone industrielle des Dunes…