La loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite a prévu la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité(1) – très décrié par le patronat –, qui permettra aux salariés de droit privé exposés à certains facteurs de pénibilité, quelle que soit la nature de leur contrat de travail, d’accumuler des points sur un compte tout au long de leur carrière, l’idée étant que ces points leur permettent de se former, de travailler à temps partiel ou de partir plus tôt à la retraite. Ce compte, dont les modalités de mise en œuvre viennent d’être fixées par trois décrets, doit être opérationnel à partir du 1er janvier prochain. Il suivra le salarié durant toute sa carrière, indépendamment des changements d’employeurs et des périodes de chômage, rappellent les ministres des Affaires sociales et du Travail dans un dossier de presse. Précisant que, « une fois ouvert, le compte n’est clos qu’au moment du départ à la retraite du salarié ».
Le décret fixant la liste des facteurs d’exposition aux risques professionnels n’entrant en vigueur qu’en deux temps (voir ce numéro, page 46), seuls quatre facteurs de risque (milieu hyperbare, travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif) pourront être pris en compte à compter du 1er janvier 2015. Les six autres facteurs (port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques, bruit, températures extrêmes, agents chimiques dangereux) ne le seront qu’à partir du 1er janvier 2016.
Dans un communiqué du 10 octobre, Marisol Touraine et François Rebsamen indiquent que « cette mesure de justice sociale profitera à près d’un million de salariés en 2015 et 3 millions dès 2016 ».
Au terme de chaque année civile et au plus tard le 31 janvier de l’année suivante, l’employeur devra informer la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), via la déclaration annuelle des données sociales, du ou des facteurs de risques professionnels auxquels ses salariés ont été exposés au-delà des seuils fixés au cours de l’année considérée, conformément aux informations qu’il a consignées dans la fiche de prévention des expositions. Les salariés titulaires d’un contrat de travail dont la durée est égale ou supérieure à l’année civile pourront ainsi bénéficier de :
→ quatre points en cas d’exposition à un seul facteurde risque professionnel ;
→ huit points en cas d’exposition à plusieurs facteursde risque professionnel.
Pour les salariés titulaires d’un contrat de travail dont la durée, égale ou supérieure à un mois, débute ou s’achève en cours d’année civile, la CNAV établira, pour chaque facteur de risque professionnel déclaré, sa durée totale d’exposition en mois au titre de l’année civile. Chaque période d’exposition de trois mois donnera lieu à l’attribution d’un point en cas d’exposition à un facteur de risque professionnel ou de deux points en cas d’exposition à plusieurs facteurs de pénibilité.
Pour les assurés nés avant le 1er juillet 1956, les points inscrits au compte personnel de pénibilité seront multipliés par deux.
Dans tous les cas, les salariés pourront cumuler, sur l’ensemble de leur carrière, un nombre maximal de 100 points. « Une fois ce plafond atteint, même après utilisation de tout ou partie des points existants, il n’est plus possible d’acquérir de nouveaux points, expliquent les ministres. Il revient en effet aux employeurs de faire en sorte de diminuer le niveau d’exposition aux facteurs de pénibilité. »
Dès lors qu’ils auront atteint l’âge de 55 ans, les salariés pourront utiliser les points inscrits sur leur compte personnel de pénibilité de trois façons :
→ pour financer une action de formation professionnelle continue en vue d’accéder à un emploi non ou moins exposé. Chaque point ouvrira droit à 25 heures de formation. Seront éligibles à ce financement les formations facilitant l’évolution professionnelle des salariés exposés à des facteurs de risques professionnels ainsi que celles qui sont reconnues éligibles par l’organisme ou l’employeur prenant en charge les frais de formation du demandeur. Signalons par ailleurs que ces heures de formation pourront être combinées avec celles du compte personnel de formation(2) ;
→ pour financer un complément de rémunération en cas de passage à temps partiel en fin de carrière (3), compris entre 20 et 80 % de la durée du travail applicable dans l’établissement. Ici, dix points ouvriront droit à un complément de rémunération de trois mois (4). La demande de passage à temps partiel devra être faite à l’employeur dans les conditions de droit commun. Et, une fois son accord obtenu, le salarié devra lui adresser sa demande d’utilisation de points qu’il transmettra à la caisse de retraite ;
→ pour financer des trimestres supplémentaires de majoration de durée d’assurance vieillesse. Chaque tranche de dix points donnera lieu à un trimestre supplémentaire. L’âge légal de départ à la retraite sera ainsi abaissé à due concurrence du nombre de trimestres attribués, dans la limite de huit trimestres.
Sauf cas particuliers, les 20 premiers points inscrits seront réservés à la formation(5).
Dans tous les cas, insistent les ministres, « le titulaire du compte est libre de choisir le moment de sa carrière et la manière dont il utilise ses points (l’anticipation du départ à la retraite ne pouvant être mise en œuvre qu’à partir de l’âge de 55 ans). Il peut opter pour l’une ou l’autre des formes d’utilisation des points pour recourir à deux ou trois de ces modalités ».
Le salarié pourra effectuer en ligne sur un site Internet dédié – qui devrait être opérationnel en novembre prochain – ses demandes d’utilisation de points dans les formes et avec les justifications qui seront déterminées par arrêté. Ou les faire parvenir directement à la caisse de retraite dans le ressort de laquelle se situe sa résidence(6). Dans cette dernière hypothèse, le silence gardé par la caisse pendant plus de quatre mois vaudra rejet de la demande. En outre, « un numéro d’appel non surtaxé permettra à tout employeur ou tout salarié de s’informer sur le dispositif », indiquent les ministres des Affaires sociales et du Travail.
Un fonds spécifique – dont les règles de fonctionnement et d’organisation financière et comptable sont précisées par les décrets – sera créé pour assurer le financement des droits liés au compte personnel de pénibilité. Il sera abondé par :
→ une cotisation de base due par tous les employeurs entrant dans le champ d’application du compte, dont le montant sera nul en 2015 et en 2016 et s’élèvera à 0,01 % à compter de 2017 ;
→ une cotisation additionnelle due par les employeurs exposant au moins un de leurs salariés à l’un des facteurs de pénibilité(7), dont le montant sera égal :
– à 0,1 % en 2015 et en 2016 et à 0,2 % à compter de 2017 au titre des salariés ayant été exposés à un seul facteur de pénibilité au-delà des seuils d’exposition fixés,
– à 0,2 % en 2015 et en 2016 et à 0,4 % dès 2017 au titre des salariés ayant été exposés à plusieurs facteurs de pénibilité au-delà des seuils d’exposition fixés.
C’est la CNAV qui est gèrera les comptes personnels de pénibilité. Elle enregistrera, chaque année, les points correspondants aux données déclarées par les employeurs au titre de l’année précédente. La caisse de retraite dans la circonscription de laquelle se trouve l’établissement informera alors le salarié par voie électronique, au plus tard le 30 juin, que l’information afférente à son compte est disponible sur un site Internet dédié. A défaut, cette information devra lui parvenir par lettre simple.
La CNAV sera aussi chargée du contrôle de l’effectivité ou de l’ampleur de l’exposition aux facteurs de risque professionnels et de l’exhaustivité des données déclarées par les employeurs. Dans ce cadre, ces derniers devront adresser ou présenter aux agents des caisses de retraite tout document que ceux-ci leur demanderont. Des contrôles sur place et sur pièces pourront également être réalisés selon des modalités précisées dans les décrets.
Enfin, en cas de désaccord sur le nombre de pointsqui lui aura été communiqué par la caisse ou lorsqu’il n’aura reçu aucune information sur ce sujet du fait d’un différend avec son employeur, le salarié devra porter sa réclamation devant l’employeur par tout moyen. A défaut de réponse de sa part dans un délai de deux mois à compter de sa réception, la réclamation sera réputée rejetée. Si l’employeur fait droit à la réclamation du salarié, il en informera la caisse de retraite, qui corrigera les données. En revanche, s’il la rejette, de façon expresse ou implicite, le salarié aura un délai de deux mois à compter de la décision de rejet pour la contester devant la caisse de retraite. A défaut de réponse de la caisse dans un délai de six mois à compter de la réception de la réclamation(8), celle-ci sera réputée rejetée. Qu’elle soit explicite ou implicite, la décision de rejet de la caisse pourra être contestée devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale dans un délai de deux mois suivant sa notification.
Déjà auteur du rapport sur les conditions de mise en œuvre du compte personnel de pénibilité(9), Michel de Virville est une nouvelle fois sollicité par le gouvernement sur ce sujet. Marisol Touraine et François Rebsamen, respectivement ministres des Affaires sociales et du Travail, lui ont en effet confié « une mission pour accompagner la mise en œuvre des quatre premiers facteurs [de risques] et préparer celle des six autres facteurs, en relation étroite avec les branches professionnelles. Cette mission d’appui opérationnel a pour objectif de rendre le dispositif le moins coûteux et le plus simple possible, en particulier pour les TPE et PME. » Un premier bilan d’étape, à l’été 2015, permettra d’apporter, en concertation avec les partenaires sociaux, les adaptations éventuellement nécessaires concernant les seuils d’exposition, leur mesure et leur mise en œuvre. Puis, un nouveau bilan d’étape de la mise en œuvre du compte personnel de pénibilité sera effectué avec les partenaires sociaux à l’été 2016.
(2) Sur les modalités d’utilisation du compte personnel de formation qui doit succéder au droit individuel de formation à compter du 1er janvier 2015, voir en dernier lieu ASH n° 2878 du 10-10-14, p. 49.
(3) Le montant du complément de rémunération est déterminé en appliquant le coefficient de réduction de la durée de travail à la rémunération et aux gains qui seraient perçus par le salarié en contrepartie ou à l’occasion du travail (salaires, indemnités de congés payés…) s’il ne bénéficiait pas de cette réduction du temps de travail.
(4) Le nombre de jours pris en charge au titre du complément de rémunération sera égal à une formule de calcul précisée par les décrets.
(5) Pour les assurés nés avant le 1er janvier 1960, aucun point n’est réservé pour le financement d’actions de formation. Pour ceux qui sont nés entre cette date et le 31 décembre 1962 inclus, seuls les dix premiers points inscrits au compte y seront dédiés.
(6) En cas de résidence à l’étranger, la caisse de retraite compétente sera celle de son dernier lieu de travail en France.
(7) Le paiement de cette cotisation devra être effectué à la fin de chaque année civile et au plus tard au 31 janvier de l’année suivante.
(8) Ce délai sera porté à neuf mois lorsque la caisse de retraite estimera nécessaire de procéder à un contrôle sur place de l’effectivité ou de l’ampleur de l’exposition.