« La musique est une forme de communication primitive multidimensionnelle qui, au-delà des mots, engage l’émotion mais aussi le corps et permet de renouer avec des choses très profondes », explique la musicothérapeute Cécilia Jourt-Pineau. Aussi fait-elle depuis longtemps partie des thérapies traditionnelles, en particulier pour apaiser et réguler l’humeur. Mais ce n’est qu’à partir des années 1970 que la musicothérapie, en tant que discipline particulière, s’est développée en France – d’abord par le biais de formations associatives et, depuis une quinzaine d’années, aussi dans le cadre universitaire.
Bien qu’elle soit de mieux en mieux repérée, la musicothérapie reste l’objet de simplifications et d’amalgames : elle est, par exemple, souvent confondue avec les ateliers musicaux, très à la mode dans les hôpitaux et les structures du secteur social et médico-social. Contrairement à eux, elle ne se situe pourtant pas dans une approche récréative et occupationnelle et ne vise pas – en tout cas pas seulement – le bien-être ni l’épanouissement personnel. La musicothérapie n’est pas non plus une méthode d’apprentissage musicale – aucun jugement de valeur esthétique n’est émis quant aux sons entendus ou produits durant les séances.
Cette forme de médiation sonore ou musicale figure clairement du côté du soin et de la thérapie : elle s’appuie sur les effets cognitifs, affectifs ou somatiques de la musique – et plus largement du sonore – pour maintenir ou améliorer les capacités des personnes. En partant du vécu musical des patients, le musicothérapeute s’attache à faciliter la relation et à développer l’expression, la symbolisation, la créativité et la socialisation en s’intéressant particulièrement aux processus psychiques en jeu. Dans cette perspective, le praticien accorde une attention particulière à la relation qu’il établit lui-même avec la personne. « Cette relation est le socle de l’approche musicothérapique, ce qui exclut les conseils d’écoute de telle ou telle musique auxquels le patient pourrait se soumettre chez lui tout seul », confirme François-Xavier Vrait, président de la Fédération française de musicothérapie (FFM)(1). « C’est à partir de cette alliance entre le patient et le musicothérapeute qu’un processus de changement va pouvoir se mettre en œuvre », précise Cécilia Jourt-Pineau.
Aussi ne s’agit-il pas de pratiquer la musique comme une activité « innocente », note Gabrielle Fruchard, éducatrice spécialisée de formation, devenue psychologue et musicothérapeute : au contraire, « la musicothérapie s’appuie sur un système conceptuel précis qui se réfère principalement à deux types d’approche, la psychanalyse et les sciences cognitives, qui peuvent être complémentaires », précise-t-elle. « La musicothérapie s’adosse à des apports théoriques et se rattache à un savoir-faire, un savoir-être, une observation clinique, des techniques de communication et une évaluation régulière qui permettent de mettre en place des parcours thérapeutiques rigoureux », renchérit Cécilia Jourt-Pineau. Déterminés à partir d’un diagnostic personnalisé des difficultés de la personne, ses objectifs sont d’ailleurs définis en lien étroit avec l’équipe pluridisciplinaire de la structure d’intervention dans le cadre d’une indication, voire d’une prescription(2).
Pendant les séances, le musicothérapeute s’appuie sur l’ensemble des éléments constitutifs de la musique (vibration, rythme, son, mélodie, harmonie) pour travailler sur différents plans : par le biais du rythme, il est possible d’aborder la structuration temporelle du patient ; par le biais de la mélodie, sa structuration spatiale (ça monte, ça descend) ; par le biais de l’harmonie, autrement dit de l’esthétique sonore, la structuration de ses affects, sentiments et émotions. « Le musicothérapeute s’efforce d’ouvrir des canaux de communication afin de permettre à ses patients d’exprimer leur expérience et de les aider à explorer leur relation aux autres et au monde », observe François-Xavier Vrait.
Les approches utilisées sont néanmoins très variées (voir encadré, page 33). « Selon les personnes, le musicothérapeute mettra plutôt l’accent sur un axe plutôt qu’un autre et développera des outils différents », explique François-Xavier Vrait. Or la liste est longue des personnes qui peuvent tirer profit de la musicothérapie, qu’elles souffrent de psychose ou d’autres troubles psychologiques et psychiatriques, qu’elles présentent une déficience (mentale, motrice, sensorielle) ou un polyhandicap, qu’elles soient atteintes de troubles neurologiques ou d’une maladie dégénérative ou chronique, en fin de vie ou jeunes parents dans le cadre d’un accompagnement à la parentalité, qu’elles souffrent de troubles affectifs, du développement, du comportement ou de la personnalité, qu’elles aient été victimes de maltraitances, qu’elles connaissent des difficultés interculturelles, qu’elles soient en prison souffrant d’isolement ou de troubles de la communication, âgées et dépendantes, souffrant d’anxiété…
Les lieux d’exercice sont aussi hétérogènes. Au départ surtout tournée vers la psychiatrie, la musicothérapie touche désormais nombre de structures des secteurs médical (maternité, pédiatrie, psychiatrie, chirurgie, oncologie, soins palliatifs…), social (milieu carcéral, développement social urbain…) et médico-social (instituts médico-éducatifs, maisons d’accueil spécialisées, foyers d’accueil médicalisé…).
« C’est justement la qualité et la richesse de la musicothérapie de pouvoir s’adapter à des lieux et à des personnes très différentes », estime Gabrielle Fruchard. Elle a longtemps travaillé avec des adolescents de l’aide sociale à l’enfance : « Je me suis rendu compte que les entretiens menés avec eux ne leur permettaient pas de s’exprimer vraiment et menaient souvent à une impasse. La musicothérapie m’a servi de “joker” en instaurant une communication médiatisée. Grâce à cette stratégie détournée, ils avaient la possibilité d’exprimer plus facilement leurs émotions, leurs sensations et des éléments de leur histoire pour travailler ensuite leurs difficultés et accéder à l’autonomie. »
« Pour ces enfants et adolescents, les entretiens classiques sont très peu adaptés », confirme Monique Lepezel-Serein. Comme Gabrielle Fruchard, cette éducatrice spécialisée formée à la musicothérapie propose des séances à des mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, avec une attention particulière pour les victimes de maltraitance sexuelle(3) : « La culpabilité et le refoulement engendrent un mutisme dont il est difficile de les faire sortir. La musicothérapie que je pratique – à travers des jeux musicaux (surtout à base de rythmes), l’écoute de musique ou le travail sur la voix parlée ou chantée – permet d’instaurer une relation de confiance et entraîne très rapidement un mieux-être et une détente : ils se sentent de nouveau exister et cessent peu à peu de considérer leur corps comme un ennemi. »
Recrutée à l’hôpital du Val-de-Grâce à la suite d’un stage effectué dans le cadre du diplôme universitaire d’arts-thérapies spécialité « musicothérapie » de l’université Paris-5, Cécilia Jourt-Pineau a été une des rares musicothérapeutes intégrée de façon permanente à un service d’oncologie. L’expérience a pris fin en juin dernier pour des raisons budgétaires. L’intérêt pour les malades avait pourtant été très vite établi : après une séance, l’équipe a pu observer que la douleur était réduite de 60 % et l’anxiété de 70 %, avec des résultats toujours valables 30 minutes plus tard. Des conclusions qui corroborent les recherches actuelles : « Elles montrent que la musique a des effets biochimiques et neurophysiologiques au niveau du corps et du cerveau avec, notamment, une libération d’endomorphines, de sérotonine et de dopamine et une diminution des rythmes cardiaque et respiratoire qui vont dans le sens de l’apaisement et d’une baisse de la fatigue et de la douleur », explique Cécilia Jourt-Pineau.
Principalement fondées sur l’écoute, ses séances (d’une durée de 45 minutes mais qui peuvent aller jusqu’à une heure et demie) apportent une bouffée d’oxygène aux patients : « Alors que l’hospitalisation a tendance à morceler les individus, la musicothérapie leur permet d’être reconnus comme des personnes dans leur globalité et non plus seulement comme des malades. En renouant avec leur intégrité personnelle, ils réinvestissent leurs propres ressources pour lutter contre le cancer. Beaucoup me disent à l’issue de la séance qu’ils sont surpris d’avoir momentanément oublié l’hôpital et la maladie et de ressentir un profond sentiment d’apaisement », observe-t-elle.
La musicothérapie a également toute sa place en direction des personnes âgées, notamment atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de troubles apparentés. « La musicothérapie a l’intérêt de faire durer plus longtemps les capacités des malades en leur apportant un mieux-être et en leur redonnant le goût de vivre », explique Gérard Ducourneau, responsable de l’Atelier de musicothérapie de Bordeaux. « Elle remet en route certains mécanismes et favorise le réapprentissage et la remémoration de souvenirs anciens », note, pour sa part, Gabrielle Fruchard. Parmi ses effets notables : la stimulation des fonctions cognitives, l’atténuation de l’anxiété et de la dépression et l’amélioration de la communication et de la relation. « Pour les personnes à un stade avancé de la maladie, quand elles ont perdu l’usage de la parole, c’est une source d’expression particulièrement intéressante », estime Agnès Villand, directrice du centre d’accueil de jour Saint-Germain à Paris. Au sein de cette structure qui accueille à la journée des malades souffrant d’Alzheimer, Blandine Louchart, salariée (à 40 %), propose deux jours par semaine des ateliers de musicothérapie : « La musique fait travailler les deux hémisphères du cerveau contrairement au langage qui n’en active qu’un seul, si bien qu’il arrive que, par le biais de la mélodie, certains patients qui n’ont plus accès à la communication verbale, se mettent de nouveau à verbaliser. Il ne s’agit pas pour autant de soigner la maladie, mais plutôt de préserver des facultés (verbalisation, attention, coordination, mémoire, créativité…) et de faire en sorte que ces personnes qui sont parfois isolées ou en difficulté vis-à-vis de leur famille passent un moment agréable. »
« Lorsque les traitements habituels n’apportent plus d’amélioration, c’est une alternative qui a l’avantage d’introduire une vision positive de la personne atteinte d’une pathologie dégénérative, alors qu’en tant que soignants nous avons parfois tendance à mettre l’accent sur ce qui ne fonctionne pas », avance Gérard Casorali, médecin coordonnateur au sein de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes L’Océane à Muzillac (Morbihan). Ce que confirme la musicothérapeute Soizic Chauvel qui y intervient, sous forme de vacations : « Je me place dans un souci de valorisation des personnes en mettant à leur disposition des instruments faciles à utiliser et en recourant à la voix, ce qui, pour une génération qui a beaucoup chanté, ravive des repères qui leur permettent de retrouver une sérénité et de s’épanouir. »
Les personnes porteuses de troubles autistiques, notamment lorsqu’elles ont peu ou pas accès à la parole, sont, elles aussi, particulièrement réceptives à l’approche musicothérapique. Cette dernière « offre une possibilité d’échanges accessibles qui soulagent la souffrance psychique », observe Adrienne Lerner, secrétaire nationale de la FFM. « Il est possible d’améliorer leurs difficultés d’interaction avec les autres (en manipulant des instruments ensemble, puis chacun leur tour…), mais aussi leurs difficultés de communication verbale par le biais du chant et de leurs vocalisations pour les faire cheminer vers le langage, explique Nabil Korichi, musicothérapeute salarié (à 40 %) au sein de l’IME Armonia à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne). On peut également s’appuyer sur certains de leurs comportements stéréotypés et répétitifs – balancement ou autres – pour favoriser la prise de conscience de leur corps – via des percussions corporelles par exemple. Parallèlement, la musicothérapie peut les aider à faire face à leur intolérance au changement avec des repères sonores et musicaux, en particulier en début et en fin de séance. »
Si on constate une disparité des parcours des personnes qui entreprennent une formation de musicothérapeute, on peut cependant repérer deux profils : ceux qui, amateurs ou professionnels, viennent du secteur de la musique et souhaitent évoluer professionnellement et ceux qui sont déjà des professionnels de la santé, de l’éducation ou du social (psychologues, éducateurs spécialisés, infirmiers psychiatriques…) et qui, ayant une pratique musicale parallèle, souhaitent enrichir leur cursus initial.
En l’absence de cadre réglementaire, n’importe qui peut toutefois se déclarer musicothérapeute : il existe une multitude de stages et d’enseignements divers à la musicothérapie, parfois le temps d’un week-end ou via Internet. « On voit des musiciens ou des professionnels de santé (par exemple des infirmiers) qui, sous l’étiquette de musicothérapeutes, font des interventions musicales dans les établissements médicaux et médico-sociaux sans aucune formation spécifique », observe Adrienne Lerner. « Il n’y a pour l’heure aucune assurance concernant la qualité professionnelle des intervenants, ce qui est préjudiciable aux patients et aux établissements qui font appel à eux », déplore également François-Xavier Vrait.
Ce défaut de réglementation engendre des conditions d’exercice précaires. Les musicothérapeutes n’ont souvent d’autres choix que d’exercer en libéral : comme ils interviennent souvent dans des projets ponctuels aux crédits fragiles, les établissements préfèrent avoir affaire à des prestataires payés sur facture. Ce qui oblige ces praticiens à s’engager dans plusieurs structures pour atteindre un revenu suffisant. Lorsqu’ils existent, les postes fixes, fort rares, ont souvent la forme de contrat à durée déterminée, à temps partiel, sur des lignes budgétaires atypiques et peu valorisantes : animateur, adjoint administratif, voire… aide cuisinier ! « Même lorsque les établissements reconnaissent l’intérêt de la musicothérapie, ils sont acculés à bricoler », constate François-Xavier Vrait. Conséquence : « Nombre de musicothérapeutes s’épuisent en multipliant les interventions dans divers établissements, parfois très éloignés de leur domicile, pour un salaire souvent dérisoire. Certains – même lorsqu’ils sont titulaires du master parisien en musicothérapie à bac + 5 – sont par ailleurs considérés comme de simples animateurs d’ateliers musicaux : le temps de préparation n’est pas pris en compte, les salles mises à disposition inadaptées et il n’y a aucune possibilité de nouer des liens avec l’équipe de la structure qui les accueille », déplore Gabrielle Fruchard.
Cette absence de cadre officiel peut-elle perdurer ? Certes la diversité des formations, des champs d’intervention, des publics et des méthodes utilisées constitue un frein. Difficile toutefois de ne pas tenir compte du nombre croissant de praticiens compétents et du développement de formations universitaires professionnalisantes longues (voir page 35).
Si le gouvernement actuel semble attentif aux apports de la discipline – Marisol Touraine a fait une déclaration favorable aux musicothérapeutes lors d’un colloque en février dernier(4) –, il reste frileux pour passer aux actes : « Qui dit réglementation dit financements pour créer des postes, ce qui, dans la conjoncture actuelle, n’est pas d’actualité, malgré un soutien de principe », analyse François-Xavier Vrait.
Les séances, individuelles ou collectives, sont d’une durée variable – de 15 minutes à 1 h 30 – selon la pathologie et le projet thérapeutique. S’appuyant sur des techniques (rythme, mélodie, harmonie) et du matériel (instruments de musique, voix) identiques, les musicothérapeutes utilisent toutefois des approches qui peuvent être très différentes « selon l’orientation théorique (psychanalytique, phénoménologique, comportementaliste, cognitive, humaniste – et même marxiste), selon les publics (enfants, adolescents, adultes, personnes âgées), et selon les pathologies (somatiques, psychiques, handicaps moteurs ou sensoriels….) », explique Edith Lecourt, directrice du master d’arts-thérapies à l’université Sorbonne Paris-Cité(5). Par-delà ces distinctions, on retrouve cependant deux méthodes principales, parfois au cours d’une même séance : la musicothérapie « active » et la musicothérapie « réceptive ». Avec la première, le patient est invité à produire lui-même des sons. L’expression est souvent libre avec une large place laissée à l’improvisation – même si, dans certains cas, dans un objectif plus pédagogique ou rééducatif, le musicothérapeute propose des exercices précis. Avec la seconde, il écoute de la musique enregistrée ou créée par le musicothérapeute.
(1) La FFM regroupe l’ensemble des formations universitaires et plusieurs centres privés de formation en musicothérapie –
(2) Pour déterminer les modalités de prise en charge, le musicothérapeute peut s’aider d’un outil, le « bilan psychomusical », qui fait la synthèse des réponses verbales et comportementales du patient après un entretien orienté sur son histoire sonore et musicale, une approche pratique des instruments et une audition de courts extraits musicaux.
(3) Elle intervient notamment dans le cadre de l’association « Mômes’Enjeux » qu’elle a cofondée à Reims en 2006 – Contact :
(4) Organisé par la SACEM sur le thème « Musique, sciences et santé : accord majeur ».
(5) Voir le chapitre consacré à la musicothérapie sur le site dédié au master d’arts-thérapies :