« Une convergence avec les besoins de clarification » exprimés. Laurence Rossignol a, à l’occasion de la journée de bilan de la réforme de la protection de l’enfance organisée le 9 octobre par le Club ASE du réseau IDEAL connaissances(1), répondu à la lettre ouverte de l’Association nationale des directeurs de l’enfance et de la famille. Rendu public la veille, ce courrier visait à l’interpeller sur la visibilité et l’avenir de la protection de l’enfance(2).
Sept ans après la loi du 5 mars 2007, « j’attends des acteurs de cette politique une réflexion sur la doctrine et les pratiques », a souligné la secrétaire d’Etat chargée de la famille, précisant les objectifs de la concertation devant démarrer en novembre, d’abord avec les présidents de conseils généraux et les élus chargés de l’enfance. Les travaux devraient aboutir « d’ici à quatre mois » à des préconisations pouvant, pour ce qui relève du cadre législatif, notamment sur la question du « droit à la stabilité de l’enfant », amender la proposition de loi sénatoriale de Michèle Meunier et Muguette Dini. Ils devraient aussi se pencher sur le pilotage de la protection de l’enfance, les « simplifications à faire pour optimiser et rendre plus efficaces »ses outils et l’articulation avec la réforme territoriale. Mais le projet de loi « portant nouvelle organisation territoriale de la République » « ne doit pas obturer » le reste de la réflexion, a relevé Laurence Rossignol.
Ces réflexions doivent aussi être alimentées par le rapport d’évaluation de la gouvernance de la protection de l’enfance, non encore rendu public, élaboré par les inspections générales des services judiciaires et des affaires sociales dans le cadre de la modernisation de l’action publique. Parmi ses grands constats : la loi « manque de pilotage pour harmoniser sa mise en œuvre et lui donner une impulsion », selon Benoît Descoubes, inspecteur général des services judiciaires. Et la difficulté de piloter sur le plan national cette politique décentralisée est d’autant plus grande que celle-ci « est complexe », ajoute Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales. La délimitation du champ de la prévention, notamment, n’est « pas très visible »,tandis que le besoin d’articulation avec le secteur de la psychiatrie est « un problème récurrent ». Pour autant, pour les auteurs du rapport, qui préconisent de réfléchir à la création d’une instance nationale de pilotage et, via le fonds national de financement de la protection de l’enfance, à un soutien aux observatoires départementaux, la loi semblerait lentement et progressivement, « atteindre son objectif » de déjudiciarisation.
Si les critiques dont elle fait l’objet et les dysfonctionnements constatés doivent amener à des évolutions, « ce sont des ajustements législatifs qui sont nécessaires, plus qu’une réforme de fond », a plaidé Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE), qui avait en 2005 rejoint le cabinet de Philippe Bas pour préparer la réforme. Parmi les progrès à réaliser : favoriser les complémentarités, mieux faire connaître les cellules de recueil d’informations préoccupantes, dont la composition reste disparate, et renforcer leur assise par les protocoles prévus par la réforme. « Pas seulement avec le parquet, mais aussi avec l’ensemble des acteurs concernés par la protection de l’enfance, sans oublier les médecins et les hôpitaux, qui ont un rôle trop souvent sous-estimé. » Un référentiel national, en cours d’élaboration selon la direction générale de la cohésion sociale, « aiderait utilement les professionnels dans leur démarche d’évaluation du danger, mais aussi du risque de danger dont le point de bascule est flou », en accordant une attention particulière à la maltraitance, selon la directrice générale de la CNAPE.
Redonner à la protection administrative la place qui lui revient nécessite aussi d’améliorer la visibilité de « la fonction de décideur de l’ASE qui s’est étiolée », souligne quant à lui Jean-Paul Bichwiller, directeur de l’enfance et de la famille au conseil général de Meurthe-et-Moselle, déplorant « l’isolement » de ces cadres territoriaux, voire « l’absence de projets de service ». Quant au rôle de chef de file, il est trop souvent compris au sens de l’« omnipotence », regrette Michel Eymenier, directeur de l’enfance et de la famille au conseil général du Vaucluse, alors que le conseil général doit être le garant d’une politique menée avec les acteurs de la santé, du logement ou de la formation. Dans le Pas-de-Calais, par exemple, 20 % des enfants pris en charge par l’ASE ont un dossier ouvert à la maison départementale des personnes handicapées. Ce qui amène Jean-Pierre Hardy, directeur délégué aux solidarités et au développement social de l’Assemblée des départements de France (ADF), à défendre « le passage d’une logique d’établissements et de services à une logique de plateformes de services pour le parcours de l’enfant ». L’ADF a, par ailleurs, développé avec l’IGAS un outil d’autodiagnostic des politiques départementales de protection de l’enfance, actuellement testé dans une quinzaine de départements et bientôt mis à disposition de l’ensemble des conseils généraux. Objectif : encourager les démarches locales de contrôle interne en permettant, à travers 300 indicateurs, aux conseils généraux d’identifier leurs points forts, leurs faiblesses, et à terme de se comparer par rapport à la moyenne des départements répondants. « Depuis le rapport de la Cour des comptes de 2009, nous ne sommes pas restés les mains dans les poches », pointe Jean-Pierre Hardy.
Au-delà, les professionnels appellent aussi à rendre plus visibles les succès de la protection de l’enfance. Une idée de recueil d’actions réussies est notamment défendue par l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des conseils généraux, dans la perspective du 25e anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, le 20 novembre. « En opposition au “Livre noir de la protection de l’enfance” [3] , le projet d’un “Livre blanc” se doit d’aboutir », soutient également Fabienne Quiriau. Ce projet, appelé à être collectif, est en cours au sein de la CNAPE.
La réforme de la procédure de la déclaration judiciaire d’abandon, le retrait automatique de l’autorité parentale d’un parent dans le cas, notamment, de crimes et délits commis contre son enfant et la réforme de l’adoption simple pour qu’elle soit davantage utilisée comme une procédure de protection de l’enfance font partie des dispositions du texte déposé au Sénat le 23 septembre par Michelle Meunier et Muguette Dini et fortement critiquées par l’Association nationale des assistants de service social (ANAS).
« Ces dispositions partent du principe que des parents maltraitants, et condamnés comme tels, ne doivent plus exercer d’aucune manière leur rôle de parent », déplore l’ANAS, estimant que ces principes viennent balayer « tous les accompagnements éducatifs et psychologiques qui ont permis à des enfants de retrouver une stabilité et une sécurité auprès de leurs parents ». Elle conteste le caractère automatique des mesures proposées, « qui vient annihiler la possibilité d’étudier chaque cas dans sa singularité » et remet en cause les marges de manœuvre du juge des enfants. L’ANAS y voit une évolution « sécuritaire » qui pourrait détourner encore davantage les familles des professionnels alors que, faute de moyens suffisants, certains travailleurs sociaux « ne peuvent faire face aux mesures qu’ils doivent traiter ». Elle est, en revanche, favorable à la création d’une instance de pilotage interministérielle de la politique de protection de l’enfance et à un bilan annuel des formations continues par les observatoires départementaux, deux dispositions prévues par la proposition de loi.
(1) Cette association de collectivités locales (plus de 100 adhérents, dont 58 départements) vise à mutualiser leur connaissance par le partage des pratiques et la formation.
(3) Enfants en souffrance… la honte – Bernard Laine et Alexandra Riguet – Ed. Fayard, 2014.