« La MAIA m’a aidée à garder mon compagnon à la maison le plus longtemps possible et a été là pour me soutenir quand j’en avais le plus besoin », raconte Betty Vergnolles en regardant Alexia Lagarde avec reconnaissance, dans le joli jardin de sa maison du centre de Bergerac. Lorsque son compagnon a commencé, il y a dix ans, à souffrir des maladies d’Alzheimer et de Parkinson (avant de décéder en juin dernier), Betty Vergnolles s’est débrouillée seule. Puis elle a dû arrêter de travailler pour s’occuper de lui, avec seulement quelques heures de répit grâce à un accueil de jour à l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de la Madeleine. « En 2011, quand Claude a commencé à devenir ingérable et violent car il ne supportait plus d’être séparé de moi, la psychologue de l’accueil de jour m’a parlé de la MAIA et m’a mise en contact avec Alexia », se souvient-elle. Psychogérontologue, Alexia Lagarde a été l’une des deux premières « gestionnaires de cas » de la MAIA (maison pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer)(2) du Grand Bergeracois, lors de sa création il y a quatre ans. Forte d’une expertise pluridisciplinaire, elle intervient dans les situations les plus complexes, afin de mettre en place ou de coordonner les interventions nécessaires qui permettent le maintien à domicile de personnes âgées souffrant de troubles cognitifs ou en risque de perte d’autonomie. « Nous essayons de construire des solutions durables pour éviter des hospitalisations répétées et non justifiées », précise Hugues Delamare, responsable administratif.
Le dispositif peut être saisi par le médecin traitant, un professionnel de la consultation mémoire, de l’accueil de jour ou du CLIC(3), une infirmière, une assistante sociale… et exceptionnellement une personne privée. Plusieurs critères combinés peuvent justifier l’intervention d’un gestionnaire de cas : la dégradation de l’état de santé de la personne ou de l’aidant, une chute, une sortie d’hospitalisation dangereuse, un refus de soin ou d’aide, un changement de comportement (agressivité, délire, etc.), un changement médico-social, un risque d’abus ou de négligence, l’isolement de la personne… Dans le cas de Claude, sa compagne risquait d’être rapidement épuisée, d’autant que celle-ci avait également la charge de sa mère. « C’est le parcours du combattant pour trouver tous les professionnels qui permettent de maintenir une personne malade à domicile, témoigne Betty Vergnolles. Alexia m’a aidée à admettre qu’il fallait que je m’appuie sur des gens pour me préserver, et à m’adresser aux bons professionnels. » A la suite des absences de sa fille et du décès de son gendre, la mère de Betty a dû être hospitalisée et son état s’est rapidement dégradé. « Betty s’est battue pour son compagnon et se bat maintenant pour que sa mère retrouve de l’autonomie. Elle n’a eu aucun répit, analyse Alexia Lagarde. Or elle a besoin de faire son deuil, de se retrouver, sinon elle ne pourra pas continuer à accompagner sa maman. »
Heureusement, la « table stratégique » de la MAIA (lire encadré page 28) a prévu la poursuite de l’accompagnement deux mois après l’entrée en structure ou le décès, notamment afin de soutenir les aidants. La présence d’Alexia aux côtés de Betty Vergnolles se poursuit désormais pour gérer la situation de sa mère. Le jour de sa visite mensuelle, afin d’ajuster au mieux ses horaires de passage, la gestionnaire de cas discute avec la kinésithérapeute venue faire des soins, puis avec l’aide à domicile. Mais elle passe aussi beaucoup de temps à écouter Betty. « L’aidant est notre plus grande ressource », insiste la psychologue, qui est aussi l’auteure d’une thèse sur le fardeau des aidants de patients atteints de symptômes comportementaux et psychologiques.
Avec 2,4 gestionnaires équivalents temps plein pour un budget de 248 000 € financés par l’agence régionale de santé, la MAIA du Grand Bergeracois prend en charge une centaine de situations telles que celle-ci – sachant que, selon les textes, un gestionnaire peut s’occuper de 40 cas au maximum, du fait de la complexité et de l’évolutivité des situations. Depuis 2010, les deux piliers du dispositif sont Alexia Lagarde, salariée du CLIC détachée à plein temps, et Béatrice Lartisant, infirmière surveillante à l’EHPAD, détachée quatre jours par semaine. Elles sont complétées par Marie-Noëlle Botella, infirmière libérée sur une journée par l’accueil de jour de l’EHPAD, et par Sylvie Zerari, assistante sociale mise à disposition deux jours par semaine par l’hôpital de Bergerac depuis juin 2013. Toutes les quatre ont suivi la formation de coordonnateur de soins en gérontologie(4) et mettent au service de la MAIA la complémentarité de leurs profils et de leurs employeurs d’origine. « Pour renforcer la coopération et le partage des partenaires, nous avons fait le choix de ne pas avoir de salariés propres mais une mise à disposition de personnels », explique Hugues Delamare, le pilote du dispositif. Ce dernier est d’ailleurs le seul à disposer d’un bureau dédié, partagé avec l’assistante à mi-temps que l’EHPAD détache gracieusement afin de permettre aux gestionnaires de cas de passer le maximum de temps sur le terrain. Compte tenu des distances importantes à parcourir et de la complexité des situations, celles-ci peuvent en effet rencontrer à leur domicile seulement trois personnes dans une journée.
Le public suivi a en commun des troubles cognitifs ou un risque de perte d’autonomie, mais avec des niveaux sociaux assez variés. « Nous sommes dans un secteur rural avec des revenus assez bas, mais nous voyons toutes sortes de situations, confirme Sylvie Zerari, l’assistante sociale. Des personnes très pauvres qui vivent dans des taudis comme des gens qui ont beaucoup d’argent et vivent dans des jolies maisons. » La plupart du temps, les gestionnaires de cas sont seules référentes pour une situation, mais elles peuvent, si nécessaire, intervenir en binôme ou se transmettre les dossiers. « En cas de refus d’aide, de deuil pathologique ou d’épuisement de l’aidant, la psychologue présente une réelle plus-value, précise Hugues Delamare, mais elle peut avoir besoin d’un œil infirmier pour des soins ou passer le dossier à l’assistante sociale, s’il y a un problème de surendettement par exemple. »
Les professionnelles sont souvent confrontées à des refus de prise en charge. « Les personnes avec des troubles cognitifs pensent n’avoir besoin de personne et ne comprennent pas pourquoi on veut les aider, poursuit Sylvie Zerari. Nous devons les convaincre, ce qui n’est pas toujours possible. » Ainsi, une dame signalée à son médecin traitant par le vétérinaire de son chien, qui la voyait revenir chaque jour pour un rendez-vous qui avait déjà eu lieu, a refusé de recevoir l’assistante sociale. Et celle-ci ne l’a revue que lorsque cette personne a dû être hospitalisée…
Si la personne accepte le suivi, l’évaluation peut commencer afin de saisir sa situation globale, et repérer ses points de fragilité : l’état de santé, le niveau de dépendance, l’entourage, un éventuel isolement, l’état de sa maison, de son alimentation, de ses finances et les aides éventuelles dont elle bénéficie. L’outil pour cette évaluation multidimensionnelle est le SMAF(5), que l’EHPAD de la Madeleine utilise depuis plusieurs années. « Je me sers du SMAF depuis longtemps pour évaluer l’autonomie des personnes, connaître la charge de travail des équipes et donc constituer leurs plannings au mieux », explique Béatrice Lartisant. Cette infirmière surveillante, encore pétillante d’énergie après vingt-deux ans passés à l’EHPAD, emmène toujours son chien lors des visites, mais jamais de dossier. « Je remplis les grilles après coup, dans ma voiture, pour privilégier la relation et l’observation », sourit-elle.
La gestion de cas « active » commence après la signature par le patient (ou son représentant) d’un « consentement au partage d’informations entre professionnels ». Une étape indispensable pour ce travail de coordination, qui peut parfois prendre des mois, avant la rédaction du « plan de service individualisé » répertoriant les besoins, les objectifs, ce qui est déjà mis en place et ce qui doit l’être encore. « Parfois, il n’y a aucune intervention, et nous devons constituer progressivement une équipe. Parfois, il y a déjà plusieurs professionnels, mais qui peuvent être débordés par la complexité des situations », détaille Alexia Lagarde. S’il le juge nécessaire pour élaborer les bonnes solutions, le gestionnaire peut organiser une réunion de concertation entre les différents acteurs : aides à domicile, médecin traitant, infirmiers à domicile, kinésithérapeute, famille, tuteur, équipe spécialisée Alzheimer(6), assistante sociale de secteur ou technicienne médico-sociale de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA)…
« En travaillant à la fois avec les intervenants du sanitaire, du médico-social et du social, d’habitude séparés, la MAIA nous apporte ce qui nous manquait, se réjouit Michel Antoine, président de l’UNA Dordogne(7). Les gestionnaires de cas ont acquis une grande légitimité, et nos salariées auxiliaires de vie et aides à domicile sont contentes que celles-ci puissent les aider lorsqu’elles sont confrontées à des situations difficiles. » A Bergerac, les acteurs de l’aide à domicile ont été associés dès le début à la réflexion sur la MAIA et intégrés dans son comité de pilotage, ce qui n’est pas le cas partout. Les intervenants à domicile qui repèrent une difficulté dans une famille peuvent alerter le CLIC, qui saisira la MAIA en cas de complexité particulière.
Le dispositif est aussi utile aux services hospitaliers en cas d’hospitalisation d’une personne déjà suivie. « L’évaluation faite au domicile par l’équipe pluridisciplinaire de la MAIA nous facilite la connaissance de la situation sur le terrain », se félicite Barbara Ravail, assistante sociale de l’unité psychogériatrique (UPG) de l’hôpital psychiatrique Vauclaire. Cela aide l’équipe médicale à prendre la meilleure décision, comme dans le cas de cette personne arrivée à l’UPG après une tentative de suicide. « Alexia Lagarde nous a permis de mieux comprendre la problématique de cette dame et nous a dit qu’ils avaient déjà fait le maximum pour la garder au domicile, renchérit le médecin Bruno Bonotto. Cela a renforcé notre choix de placement en institution. »
En quatre ans, la MAIA du Grand Bergeracois a encouragé les différents acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux du territoire à travailler main dans la main, à trouver de nouvelles habitudes de travail et à apporter des réponses concrètes. « Le dispositif a fait la preuve de son utilité sur le terrain, certifie Michel Antoine, et je souhaite qu’il soit pérennisé. » Au niveau national, 252 MAIA devraient être opérationnelles d’ici à la fin 2014, mais des améliorations restent à apporter. « Il nous manque un système d’information qui permettrait des échanges sécurisés entre les partenaires, reconnaît Hugues Delamare, et il faudra encore quelques étapes pour arriver à un guichet intégré offrant à une personne âgée la même qualité de réponse sur tout le territoire. » Michel Antoine espère beaucoup de ce guichet intégré, qui assurera « à toutes les personnes en perte d’autonomie ou en situation complexe de bénéficier d’un suivi préparé ». Les MAIA permettent déjà de retarder de plusieurs mois l’entrée en structure, voire de l’éviter, ce qui correspond au souhait de la plupart des personnes. Parmi celles qui ont été accompagnées par la MAIA du Grand Bergeracois, 30 % ont pu mourir chez elles, sans passer par un établissement ou un séjour hospitalier de longue durée.
Prévu par la mesure 4 du plan Alzheimer 2008-2012, le dispositif MAIA vise à construire sur un territoire un réseau intégré de partenariat pour les soins, les aides et l’accompagnement à domicile des personnes âgées souffrant de troubles cognitifs ou en risque de perte d’autonomie. Ayant poussé pendant plusieurs années les acteurs locaux à travailler ensemble, l’agence régionale de santé d’Aquitaine a encouragé la création, en janvier 2010, de la MAIA du Grand Bergeracois, bien que celle-ci n’ait pas été retenue parmi les 17 sites pilotes sélectionnés pour l’expérimentation nationale. Elle a pu être reconnue officiellement en juin 2011. Sylvain Connangle, directeur de l’EHPAD de la Madeleine, qui porte la MAIA, s’y est beaucoup investi et en a été le premier pilote. Outre l’EHPAD, son comité de pilotage réunit le centre hospitalier de Bergerac, l’hôpital psychiatrique Vauclaire, l’Association gérontologique du Bergeracois (porteuse du CLIC), France Alzheimer et l’UNA Dordogne. C’est l’une des deux seules MAIA en France à être portées par un EHPAD, les autres émanant plutôt de conseils généraux, de CLIC, de réseaux gérontologiques, d’associations Alzheimer ou de MDPH. Chaque MAIA dispose d’espaces de concertation : une « table stratégique » entre décideurs et financeurs (ARS, conseil général, MSA, CPAM, Carsat…) et une « table tactique » entre les responsables des services et des établissements d’aide et de soins. Particularité de Bergerac : l’existence d’une « table scientifique » avec des chercheurs, médecins, neurologues, etc., qui devrait prochainement devenir régionale afin d’en faire profiter les autres MAIA.
(1) Sur le métier de gestionnaire de cas, voir notre « Décryptage » dans les ASH n° 2818 du 12-07-13, p. 30.
(2) Le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement prévoit de modifier l’acronyme MAIA en « méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie » – Voir ASH n° 2866 du 27-06-14, p. 73.
(3) Le centre local d’information et de coordination (CLIC) gérontologique assure l’information du grand public pour l’accueil, le conseil et l’orientation des personnes âgées.
(4) Ce diplôme interuniversitaire est proposé par la faculté de médecine de Paris-Descartes conjointement avec les universités de Bordeaux, Lille, Marseille, Nantes, Rennes et Guadeloupe. Il est accessible aux personnes déjà impliquées dans un réseau de coordination de soins et de suivi de patients atteints de maladie d’Alzheimer et apparentées, avec un bac+2 paramédical ou de santé et trois ans d’expérience.
(5) D’origine québécoise, le système de mesure de l’autonomie fonctionnelle (SMAF) est l’un des trois outils existants d’évaluation multidimensionnelle.
(6) L’équipe spécialisée Alzheimer (ESA) est un service de soins infirmiers spécialisés à domicile avec des assistants en gérontologie, des psychomotriciens et des ergothérapeutes.
(7) En Dordogne, l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA) regroupe 25 structures et représente 300 salariés qui accompagnent 2 500 personnes.