Mesure emblématique de la loi du 15 août 2014 sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines(1), la contrainte pénale peut être prononcée à l’encontre des personnes majeures depuis le 1er octobre. Cette nouvelle peine alternative à l’emprisonnement est censée participer à la fois à l’individualisation de la peine, à la prévention des risques de récidive et à la lutte contre la surpopulation carcérale. Elle s’applique aux délits punis d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans et concernera l’ensemble des délits punis d’une peine de prison à compter du 1er janvier 2017. S’agissant d’une disposition moins sévère que la législation antérieure, elle peut également s’appliquer aux auteurs de délits commis avant le 1er octobre 2014, précise le ministère de la Justice, qui, dans une circulaire et une note de cadrage, détaille ses conditions de mise en œuvre, notamment par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Si la philosophie de ces textes, qui replacent le condamné au cœur du dispositif, est plutôt bien accueillie par le secteur, celui-ci s’interroge toutefois sur les conditions pratiques de l’évaluation et du suivi des condamnés et s’inquiète du manque de moyens (voir ce numéro, page 22).
La juridiction peut prononcer une peine de contrainte pénale lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de son auteur justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu. Dans tous les cas, « le choix de cette peine ne découlera pas uniquement des seuls faits commis et de leur qualification juridique mais intégrera l’analyse des risques de récidive, des besoins de la personne condamnée et de sa capacité à s’engager dans un processus d’accompagnement », souligne la circulaire. Ajoutant que « la contrainte pénale sera particulièrement adaptée aux personnes présentant des problématiques multiples, nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire et un contrôle rigoureux », telles que des « personnes désinsérées socialement, des personnes non encore installées entièrement dans la délinquance mais pour lesquelles un risque important de récidive a été constaté, ou encore des personnes multirécidivistes à l’encontre desquelles de nombreuses réponses pénales, dont des peines d’emprisonnement avec mise à l’épreuve, ont d’ores et déjà été prononcées ».
Durant la contrainte pénale, d’une durée comprise entre six mois et cinq ans, la personne condamnée est astreinte aux mesures d’assistance et de contrôle prévues à l’article 132-44 du code pénal : répondre aux convocations du juge de l’application des peines (JAP) ou du travailleur social désigné, prévenir ce dernier de ses changements d’emploi… Des mesures qui s’appliquent dès le prononcé de la décision de condamnation(2) et pour toute la durée de la peine. Le condamné est aussi tenu, sous le contrôle du JAP, au respect d’obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société (obligation d’effectuer un travail d’intérêt général…). Il peut aussi faire l’objet de mesures d’aide(3).
Si l’intéressé a satisfait aux obligations et interdictions pendant au moins un an, si son reclassement paraît acquis et qu’aucun suivi ne paraît plus nécessaire, le JAP peut, en accord avec le procureur de la République(4), mettre fin de façon anticipée à la contrainte pénale. En pratique, cette possibilité peut être ordonnée à la demande du condamné – l’avis du SPIP étant alors requis – ou d’office à l’initiative du JAP. En cas de refus, une autre demande ne peut être présentée qu’une année après et il en est de même, éventuellement, des demandes ultérieures.
A l’issue de l’audience au cours de laquelle la contrainte pénale a été prononcée, le condamné reçoit une convocation à comparaître devant le SPIP afin qu’il procède à une « évaluation approfondie de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale » de celui-ci, indique la circulaire(5). L’intéressé doit être reçu dans les huit jours qui suivent la condamnation, précise la note de cadrage. Soulignant que, si plusieurs personnes ont été condamnées à la contrainte pénale, « et sous réserve que les conditions matérielles des services le permettent, un premier accueil collectif sera organisé ». Au cours de cet accueil, leur seront expliqués la décision judiciaire prononcée, le déroulement de la mesure et la prise en charge par le SPIP. Dans la foulée, un entretien individuel sera consacré à la situation spécifique de chaque condamné, à ce qu’il a retenu et compris de cette présentation en groupe. Parce que la contrainte pénale vise des personnes nécessitant une prise en charge intensive, au moins quatre entretiens individuels doivent être organisés durant la phase d’évaluation, indique la note de cadrage. Objectifs, notamment : « associer l’intéressé à l’évaluation de sa situation, la définition de ses problématiques et à l’élaboration d’un projet d’exécution de sa peine et d’un plan de suivi par le SPIP », « entamer un travail sur le passage à l’acte, le sens de la peine, le rapport à la loi et la prise en compte des victimes » et « procéder au contrôle du respect de ses obligations ». « Au-delà de l’examen des pièces judiciaires et de l’échange avec les partenaires ou organismes cités par le justiciable, il convient d’articuler de manière réfléchie les modalités de suivi individuel et collectif permettant la mise en situation et l’observation des personnes condamnées, dans leur contexte familial et hors ce contexte », souligne la note de cadrage. Dans ce laps de temps, chacun d’eux doit aussi faire l’objet d’une « affectation systématique et nominative » auprès d’un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). « Si l’évaluation initiale et/ou continue le justifie », un condamné pourra être affecté à deux CPIP.
Sur la base de cette évaluation initiale, le SPIP adresse un rapport au JAP comportant ses recommandations sur les modalités d’exécution de la peine et un plan de suivi(6). En pratique, la phase de prise en charge et d’évaluation initiale du condamné ne peut s’étendre au-delà d’une période maximale de trois mois comprise entre le prononcé de la condamnation et la remise du rapport au JAP. Ce dernier devant, lui, ensuite disposer d’au moins un mois pour prendre sa décision. Au final, SPIP et JAP ont quatre mois à compter du jugement pour mettre en place la contrainte pénale. « Si la loi ne sanctionne pas ce délai, reconnaît le ministère de la Justice, il est toutefois essentiel à l’efficience de la mesure qu’il soit respecté. »
Le suivi implique une « fréquence rapprochée des entretiens individuels et collectifs avec le condamné, une ou deux fois par mois, voire, si la situation et la personnalité le requièrent, une ou deux fois par semaine, sur une période déterminée », stipule l’administration. A cette occasion, le condamné peut être orienté vers les partenaires du SPIP susceptibles de prendre en charge les besoins identifiés. Si nécessaire, le SPIP peut aussi enjoindre à l’intéressé de suivre des programmes d’insertion et de prévention de la récidive afin de « renforcer [son] capital humain et social » ou encore de participer à des programmes spécifiques à ses problématiques et à ses besoins – programmes qui pourront relever de la justice restaurative, par exemple –, précise la note de cadrage.
Le SPIP doit procéder à l’« évaluation régulière des objectifs, ciblés et mesurables, fixés à la personne condamnée aux fins d’actualiser et d’adapter l’intensité du plan de suivi », chaque fois que nécessaire et au moins une fois par an. Dans ce cadre, le ministère de la Justice invite les SPIP à associer la famille et les proches du condamné à l’élaboration de leur projet de sortie de délinquance, « au moyen notamment d’échanges téléphoniques, de visites à domicile, voire d’entretiens organisés au SPIP ».
En cas de non-respect de la contrainte pénale, le JAP peut modifier les obligations, interdictions et mesures dont le condamné fait l’objet ou effectuer un rappel à la loi. Si cela se révèle insuffisant pour assurer l’effectivité de la peine, le JAP saisit, d’office ou sur réquisition du procureur de la République, le tribunal de grande instance (TGI) ou un juge par lui désigné afin que soit mis à exécution tout ou partie de l’emprisonnement fixé par la juridiction de jugement. Dans tous les cas, la circulaire précise que la durée de l’emprisonnement ne peut excéder ni deux ans, ni le maximum de la peine d’emprisonnement encouru. Le magistrat fixe la durée de l’emprisonnement à exécuter en tenant compte de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné, de la gravité de l’inobservation des mesures, obligations et interdictions ainsi que du délai pendant lequel la contrainte pénale a été exécutée et des obligations qui ont déjà été respectées ou accomplies. Si la durée de l’emprisonnement ordonnée est égale à la durée fixée initialement par la juridiction de jugement ou si, compte tenu le cas échéant des précédents emprisonnements ordonnés, elle atteint cette durée, la décision du président du TGI met fin à la contrainte pénale, indique la circulaire.
(2) Et sans attendre l’expiration des délais de recours contre le jugement.
(3) En vertu de l’article 132-46 du code pénal, ces mesures peuvent s’exercer sous forme d’une aide à caractère social et, s’il y a lieu, d’une aide matérielle.
(4) A défaut d’accord du ministère public, le JAP devra suivre une autre procédure.
(5) La direction de l’administration pénitentiaire travaille à l’élaboration de quatre référentiels des pratiques opérationnelles des SPIP, pour notamment prendre en compte la contrainte pénale. Ceux-ci devraient être prêts d’ici à deux ans. Le premier, consacré aux activités du SPIP (évaluation initiale et continue, méthodes de prise en charge individuelles et collectives…), devrait être disponible avant la fin du premier semestre 2015.
(6) Préalablement, indique la note de cadrage, le projet d’exécution de la peine doit être examiné au sein d’une commission pluridisciplinaire interne au SPIP, réunissant le CPIP référent, un psychologue et a minima un autre CPIP.