A l’issue d’une « large concertation » entreprise dès sa prise de fonction en juin 2013, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) vient de diffuser à ses services déconcentrés une note fixant les grandes orientations et le programme de travail pour ce secteur. Pour Catherine Sultan, cette démarche était devenue nécessaire – la dernière note d’orientation datant de 1999 – au regard du durcissement des réponses législatives à la délinquance des mineurs et de la modification de sa structuration et de son organisation territoriale. En s’appuyant sur un diagnostic partagé et le rapport « Michel » rendu public en début d’année(1), elle a ainsi tenu à « réaffirmer dans ce contexte les principes de l’action éducative conduite dans le cadre judiciaire ». Des principes qui, selon elle, s’inscrivent en cohérence avec la future réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante qui doit intervenir d’ici à la mi-2015 et est censée rendre la justice des mineurs plus lisible, renforcer sa spécialisation et sécuriser les réponses éducatives.
Pour la directrice de la PJJ, le milieu ouvert doit être le « socle de l’intervention éducative » pour assurer la continuité du suivi des mineurs et « garantir la cohérence entre les différentes réponses apportées dans le cadre pénal (placement, insertion, détention…) mais aussi entre les dispositifs de droit commun (scolarité, formation, santé…) ou ceux de protection de l’enfance ». Pour y parvenir, estime-t-elle, « il est nécessaire de prendre le temps de l’évaluation et de l’accompagnement éducatif, tant dans le cadre d’une mesure éducative que d’une peine, au plus près des besoins souvent évolutifs de l’adolescent, quelles que soient les étapes de son parcours ». Il convient donc « de sensibiliser le magistrat, juge d’instruction ou juge des enfants, à l’importance d’instaurer une mesure éducative confiée à un service territorial éducatif de milieu ouvert [STEMO] du secteur public ». Celui-ci sera alors chargé de « structurer et d’organiser l’intervention éducative avec les autres intervenants », en anticipant autant que possible la nécessité de placer un jeune en centre éducatif fermé ou renforcé, par exemple. Au final, souligne Catherine Sultan, « la notion de continuité doit se comprendre avant tout comme la continuité d’un projet éducatif et non le seul maintien de l’intervenant antérieur ».
Toujours dans l’optique de garantir la continuité du suivi des mineurs, le STEMO, chargé de la mise en œuvre de mesures judiciaires avant l’incarcération, doit aussi poursuivre son action en détention et l’articuler avec celle des professionnels de la PJJ intervenant en détention, insiste la directrice.
Cette dernière rappelle aussi que les STEMO sont responsables du pilotage du parcours d’apprentissage scolaire et d’insertion socioprofessionnelle des jeunes(2) – la priorité étant donnée à l’obligation scolaire pour ceux qui sont âgés de moins de 16 ans – et souligne que ces services doivent les accompagner vers les dispositifs de droit commun dès lors que leur accès y est possible, en s’appuyant sur les « activités » et les « activités de jour ». Deux notions que Catherine Sultan clarifie par ailleurs en annexe de la note. Pour elle, les activités de jour sont une modalité d’organisation de l’activité des jeunes sur leur journée(3) : il s’agit d’un « ensemble structuré d’actions qui s’exercent simultanément ou successivement dans les domaines du développement personnel et de l’acquisition de compétences sociales, scolaires et professionnelles ». Elles peuvent non seulement s’adresser aux jeunes inactifs, non engagés dans un dispositif de droit commun, mais aussi, dans certains cas, aux jeunes hors mandat judiciaire en grande difficulté dans leurs activités scolaires (jeunes décrocheurs, par exemple) ou professionnelles (suivi renforcé en mission locale, notamment)(4). Les activités, elles, doivent permettre, parallèlement aux entretiens individuels, des démarches entreprises avec les jeunes et leurs familles, des visites à domicile, d’autres approches professionnelles… Il s’agit d’un « support pédagogique et éducatif partie prenante de toute intervention éducative pour l’ensemble des mineurs pris en charge et quel qu’en soit le lieu », indique la note d’orientation. Précisant qu’elles permettent d’« observer le mode relationnel du jeune, sa maîtrise des codes sociaux, son repérage spatio-temporel, etc. ».
La continuité des parcours doit aussi se traduire dans les organisations institutionnelles et irriguer les pratiques professionnelles, insiste Catherine Sultan, qui entend décliner cet objectif dès le mois d’octobre. Il faut ainsi soutenir la continuité du projet éducatif du jeune, par exemple en optimisant la gestion de son dossier (ouverture, gestion, archivage) et en faisant du document individuel et du document conjoint de prise en charge des « outils de construction et de lisibilité du parcours éducatif »(5). Elle préconise aussi d’« encourager le traitement des situations complexes », en favorisant la cohérence des parcours des jeunes en grande difficulté et en éludant les ruptures institutionnelles ou judiciaires. Des actions transversales inscrites dans le projet territorial doivent ainsi être menées, par exemple en organisant des « réunions de “situations complexes” », des « commissions cas difficiles, coordonnées à des actions locales » ou en renforçant certains suivis en milieu ouvert. Autre axe de travail : permettre aux services de « prendre en charge, à la marge, des mesures civiles » (besoin de subsistance matérielle, sanitaire et sociale des jeunes majeurs), même si le cœur de leur action réside dans la prise en charge des mineurs délinquants. Pour la directrice de la PJJ, la poursuite du suivi du jeune dans un cadre d’intervention différent est « pertinente lorsque [sa] situation éducative mérite encore d’être soutenue et que tous les passages de relais vers le droit commun ayant été anticipés, il n’existe aucun autre moyen d’assurer la continuité de son accompagnement éducatif, y compris par un autre service ». Ainsi, illustre-t-elle, il est « impossible de passer le relais à un autre service ou aux services des conseils généraux à quelques mois de la majorité [du jeune] ». De façon générale, « afin d’assurer la continuité des parcours, il est indispensable d’anticiper la fin des prises en charge et le passage à la majorité ».
Catherine Sultan souhaite aussi mieux individualiser les parcours éducatifs des jeunes et, pour ce faire, « à tout moment de la procédure, chaque magistrat doit pouvoir dans l’intérêt du mineur accéder à un panel de réponses éducatives différenciées et personnalisées ». Dans ce cadre, la mesure judiciaire d’investigation éducative doit l’aider à adapter ses réponses éducatives. La directrice de la PJJ signale d’ailleurs que, en raison de difficultés rencontrées dans sa mise en œuvre(6), la mesure fera l’objet de clarifications et d’aménagements au travers d’une note qui devrait être disponible en novembre prochain et se substituera à la circulaire du 31 décembre 2010(7).
Parce que le placement ou le milieu ouvert ne permettent pas toujours de répondre aux besoins des jeunes les plus en difficulté, la direction de la PJJ souhaite « introduire la possibilité d’intervention plus soutenue en milieu ouvert à certains moments de la prise en charge, tels que la sortie de placement ou de détention, mais aussi lorsqu’il est constaté que le jeune ne dispose pas de relais éducatifs ». De même, la réponse adoptée dans ce cadre ne peut reposer sur une unique structure, souligne-t-elle : « il est nécessaire d’accompagner les ruptures et les changements par un dispositif d’accueil suffisamment souple et diversifié pour permettre une prise en charge continue ».
C’est aussi dans cette optique de diversification des réponses que la PJJ expérimente actuellement, en collaboration avec le secteur associatif habilité et les partenaires territoriaux, de nouvelles formes de coordination et de soutien aux parcours et des possibilités différentes de coordination institutionnelle et de structuration des services. Ces « plateformes » pouvant proposer une variété de réponses doivent ainsi soutenir les magistrats et les services éducatifs dans leur action.
Dans ce contexte, Catherine Sultan souligne la nécessité de consolider la politique de complémentarité entre les services du secteur public et du secteur associatif habilité de la PJJ et de dynamiser les articulations entre les structures éducatives. Des objectifs qu’il convient de formaliser dans des protocoles, dans les projets territoriaux, les schémas territoriaux et les projets de service afin de les « rendre lisibles, pérennes et opérationnels », explique-t-elle. Soulignant que ce principe doit aussi s’appliquer en ce qui concerne le champ de la protection de l’enfance. Il convient en effet d’assurer la coordination et l’articulation des actions de la PJJ avec celles des conseils généraux, en lien avec les juridictions. Ce qui, en pratique, peut se matérialiser dans le cadre des commissions, des cellules de recueil des informations préoccupantes ou des observatoires départementaux où peuvent se réunir les acteurs de la justice des mineurs.
(2) La note précise également que les impacts de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale et son application à la PJJ devront être évalués. A ce stade, rappelle-t-elle, il convient de ne pas décentraliser les actions de formation conduites au sein des unités éducatives d’activités de jour auprès des jeunes les plus en difficulté d’insertion pris en charge par la PJJ.
(3) Les activités de jour sont mises en œuvre au travers de deux types d’organisations faisant intervenir des professionnels différents : le dispositif accueil accompagnement et le module des acquisitions, deux mesures que Catherine Sultan détaille en annexe de la note.
(4) Catherine Sultan invite d’ailleurs ses services déconcentrés à se référer à la circulaire d’orientation du 3 avril 2012 qui encadre l’action d’éducation des mineurs autour des activités de jour – Voir ASH n° 2758 du 4-05-12, p. 13.
(5) Le document individuel de prise en charge précise les actions qui seront menées auprès du jeune et de son environnement, le rôle des parents, les objectifs visés et les délais de mise en œuvre. Quant au document conjoint de prise en charge, indispensable dès lors que deux services ou plus interviennent sur la même situation, il identifie la répartition des tâches et actions, les points d’étape et les modalités d’articulation entre les intervenants.