Le point aveugle des politiques publiques

Sur 350 000 personnes âgées de plus de 65 ans et nées dans un pays tiers à l’Union européenne, 145 000 sont des femmes, soit 41 %(1). Compte tenu de la mortalité différentielle chez les immigrés comme dans la population générale, les femmes sont majoritaires aux âges les plus avancés. Pourtant, l’image dominante des migrants âgés reste celle d’hommes, en particulier d’hommes qui vieillissent de façon solitaire. Or deux tiers des immigrés de 55-64 ans venus d’Algérie et d’Afrique subsaharienne vivent en couple, explique Christophe Imbert, chercheur à l’Institut national d’études démographiques(2). « L’empathie qui s’est développée à juste raison sur la situation souvent catastrophique des hommes seuls n’a jamais laissé de place pour poser la question du vieillissement, non plus comme un épiphénomène marginal ne concernant que quelques vieux messieurs perdus dans le labyrinthe d’une mauvaise insertion urbaine […], mais en tant que situation sociale et familiale de gens ordinaires », estime Omar Somaoli, directeur de l’Observatoire gérontologique des migrations en France(3).

Si la plupart des immigrés vieillissent en « ménages ordinaires » et parmi eux, 10 % seulement sans conjointe, « paradoxalement, plus du quart des femmes âgées vivent isolées », ajoute le spécialiste. Elles sont 27 % dans ce cas chez les 55-64 ans et 35,5 % chez les 65-70 ans, précise-t-il. Que ces femmes vivent seules ou en couple, leur avancée en âge constitue un point aveugle des politiques publiques. « Le fait que le programme 137 du budget de l’Etat, dénommé “Egalité entre les femmes et les hommes”, n’inclue pas de financement dédié aux femmes immigrées âgées illustre l’insuffisance de la prise en compte de cette thématique », fait observer Alexis Bachelay, dans le rapport de la mission d’information parlementaire sur les immigrés âgés rendu en 2013. Et le député d’en appeler à remédier « de façon urgente » à cet oubli « afin que les conditions d’une vieillesse digne soient remplies ».