Recevoir la newsletter

Gouvernance des politiques de solidarité : les départements à pied d’œuvre

Article réservé aux abonnés

Mesure du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, la mise en œuvre de la logique de parcours dans la lutte contre les exclusions fait l’objet d’une expérimentation copilotée par l’Etat. A l’approche de la réforme territoriale, elle concerne déjà plus de dix départements.

Remettre les personnes au centre des interventions en favorisant leur participation et en travaillant sur les parcours, décloisonner l’action sociale et simplifier les procédures. Telles étaient, il y a plus de six mois, les grandes orientations préconisées dans le rapport d’évaluation de la gouvernance territoriale des politiques d’insertion et de lutte contre l’exclusion, première phase d’une réflexion engagée dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), l’Assemblée des départements de France (ADF), avec l’appui du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique. Quelles suites attendre de cette mesure phare du plan, dans un contexte perturbé par la préparation de la réforme territoriale ?

Assouplissement des normes

Le 11 février dernier, la DGCS avait adressé un courrier, cosigné avec le président de l’ADF, à tous les présidents de conseils généraux pour leur proposer de participer à une expérimentation, dont « l’objectif est de construire de façon partenariale et concertée entre les acteurs locaux et les institutions pertinentes des cadres d’intervention novateurs et adaptés aux spécificités des territoires ». En contrepartie de cette « logique de changement » pour mieux répondre aux besoins des personnes en difficulté, les conseils généraux peuvent demander aux administrations concernées des assouplissements ou dérogations réglementaires utiles à la mise en œuvre de leur projet.

Depuis, 11 départements(1) sont entrés dans la démarche, désormais désignée par le nom d’Agille (Agir pour améliorer la gouvernance et l’initiative locale pour mieux lutter contre l’exclusion), et la DGCS espère qu’une trentaine seront impliqués d’ici à la fin de l’année. Le comité de pilotage du 17 septembre dernier a réaffirmé le portage politique du projet, puisqu’il a été coprésidé par Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat chargée de la lutte contre l’exclusion, et Claudy Lebreton, président de l’ADF. Ce qui a permis aux départements de conforter leur « chef-de-filat en action sociale », souligne Jean-Pierre Hardy, directeur délégué aux solidarités et au développement social de l’ADF, qui regrette par ailleurs le manque d’investissement des agences régionales de santé dans l’expérimentation, alors qu’« il y a des liens à nouer avec la pédopsychiatrie et l’aide sociale à l’enfance, la psychiatrie de secteur et l’action sociale ».

Selon la DGCS, qui défend une démarche « ascendante », les projets doivent mettre en réseau les acteurs de terrain et favoriser la coordination des institutions. Ils peuvent aussi s’inscrire dans l’un des chantiers lancés par le gouvernement (l’accessibilité des services, par exemple), les expérimentations du plan pauvreté, comme le suivi du parcours des jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance, ou plus globalement être le fruit d’initiatives locales. Car dans les faits, beaucoup de conseils généraux engagés se penchent de longue date sur la question. Même s’ils restent vigilants sur la suite de la démarche, ils voient dans l’appui de l’Etat la possibilité d’accroître leurs marges de manœuvre et de partager leurs expériences, en vue de les généraliser, au sein d’un « club des expérimentateurs », dont la première réunion a eu lieu le 17 septembre.

Décloisonner les pratiques

Les initiatives sont donc protéiformes. « C’est un projet intelligent, inscrit sur le long terme, qui traduit la richesse des territoires », commente Roland Giraud, directeur du pôle des solidarités du conseil général du Pas-de-Calais et président de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des conseils généraux (Andass). Alors que le social a « besoin d’un choc de simplification », estime-t-il, l’enjeu est de « donner de l’agilité au management des questions sociales », en faisant la chasse à la « comitologie » et aux normes inutiles. Le Pas-de-Calais, engagé très tôt dans le projet – il en avait fait la demande dès janvier 2014 à l’ancienne ministre déléguée chargée de l’exclusion, Marie-Arlette Carlotti – a organisé une réunion de lancement en avril dernier, sous la coprésidence de la préfecture, en présence des services de l’Etat, du conseil général et de partenaires institutionnels comme la caisse d’allocations familiales (CAF), l’agence régionale de santé et l’union départementale des centres communaux d’action sociale. Alors qu’il s’efforce déjà de décloisonner les pratiques à travers ses maisons départementales des solidarités, le conseil général a engagé plusieurs chantiers, comme la réécriture de tous les courriers destinés aux habitants pour les rendre plus lisibles et accessibles ou l’amélioration des échanges de données avec la CAF. Le 17 octobre, il animera un atelier « Agille » réunissant les établissements médico-sociaux, afin d’identifier les freins et les leviers à leur action. « Quand nous leur avons demandé de nous faire part de procédures à simplifier ou à supprimer, paradoxalement, nous avons eu peu de retours », relève Roland Giraud. Sans doute le poids des habitudes, ou le signe que la question n’est pas si facile à trancher ? « Plus que l’existence de normes, c’est leur multiplication qui pose problème », suggère Roland Giraud. Le département s’apprête notamment à fusionner des commissions existantes dans le domaine du logement et envisage de faire évoluer son conseil départemental de l’économie sociale et solidaire, instauré en 2013, vers un conseil départemental de développement du territoire pouvant regrouper plusieurs comités de concertation existants.

Le Doubs s’est, pour sa part, engagé dans la démarche au mois d’avril. « Nous partageons les enjeux qui ont été réaffirmés par la ministre et le président de l’ADF lors du comité de pilotage, explique Etienne Petitmengin, directeur général adjoint chargé du pôle « solidarités et cohésion sociale ». La notion de parcours est à la mode, mais la nouveauté est que nous essayons de la mettre en œuvre ! » Et à un moment où la prochaine réforme territoriale soulève des interrogations, ce projet confirme les départements « dans leur rôle d’assembleur des politiques sociales ». Plus globalement, il « défend une vision des politiques sociales cohérente », ajoute-t-il. Le conseil général du Doubs s’est notamment attelé à la coordination des institutions pour faciliter l’accès et le maintien dans le logement. Il s’agit, par exemple, « d’offrir un interlocuteur unique en situation de proposer les mesures dont l’usager a besoin, illustre Etienne Petitmengin. Pourquoi segmenter l’intervention entre une mesure d’accompagnement social personnalisée et un accompagnement social lié au logement, quand il s’agit d’exactement la même chose ? » En matière d’emploi, le Doubs a été désigné par l’ADF comme département pilote de l’accompagnement global des demandeurs d’emploi en difficulté (environ la moitié des départements sont déjà engagés dans cette approche ou prêts à le faire), qui permet à chaque agence de Pôle emploi de disposer d’un référent social, en mesure de mobiliser les services sociaux. « Les personnes concernées étaient connues à 80 % par nos services, cela n’occasionne donc pas de travail supplémentaire », précise Etienne Petitmengin. Le conseil général prend en charge les huit postes de référent social au lieu du financement des postes auparavant dévolus à l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, « qui a été compensé par l’appel au Fonds social européen par Pôle emploi », explique le directeur général adjoint.

Conseil départemental de développement social

Dans la Meurthe-et-Moselle, souvent citée comme département précurseur, « les élus placent depuis 15 ans la solidarité au cœur du projet départemental », explique Michèle Pilot, directrice générale adjointe chargée des solidarités. Impulsée par Michel Dinet, ancien président du conseil général, cette logique se traduit dans la politique territorialisée du département (six territoires suivent le découpage des intercommunalités et des pays) : instances consultatives, les conférences territoriales réunissent les élus du territoire et les partenaires socio-économiques pour organiser localement la mise en œuvre des politiques publiques départementales. « Animées par le vice-président du territoire, qui est un élu du conseil général, elles permettent de définir les priorités du territoire en prenant en compte la solidarité dans l’ensemble du projet. Lorsqu’un partenaire sollicite une subvention, nous souhaitons que sa demande soit examinée en fonction de ce qu’apporte le projet pour le développement social », explique Michèle Pilot. Depuis novembre 2013, cette démarche se décline en conférences territoriales de développement social, qui ont vocation à travailler plus précisément sur la lutte contre l’exclusion. En juillet dernier, « à l’initiative du nouveau président du conseil général, Mathieu Klein, et du préfet du département, s’est réuni pour la deuxième fois le comité départemental de développement social, avec les vice-présidents des territoires, les sous-préfets, les services du conseil général et les partenaires », ajoute la directrice générale adjointe. Le 16 octobre, ce comité se transformera officiellement en conseil départemental de développement social. « Nous souhaitons que ce conseil puisse définir des orientations départementales et des actions concrètes pour lutter contre la pauvreté, à partir des initiatives des territoires qui demandent à être mises en réseau et doivent essaimer. » Il concrétise ainsi l’une des propositions du rapport sur « la gouvernance des politiques de solidarité », que Michel Dinet et Michel Thierry avaient remis à l’issue de la conférence de lutte contre les exclusions de novembre 2012.

LA RÉFLEXION TRAVERSE LA PRÉPARATION DES « ÉTATS GÉNÉRAUX DU TRAVAIL SOCIAL »

Améliorer les coopérations institutionnelles en affirmant le rôle de chef de file des conseils généraux, s’appuyer sur l’expertise des professionnels, renforcer le portage politique du travail social par les élus, permettre l’émergence de nouvelles pratiques en partant des initiatives des territoires… Telles sont les préconisations d’une étude réalisée par l’Andass, l’Association des directeurs généraux des grandes collectivités et l’Association nationale des cadres communaux de l’action sociale, avec le Centre national de la fonction publique territoriale, dans la perspective des « états généraux du travail social », toujours annoncés, sans plus de précision, pour janvier 2015. « Etats généraux » « lors desquels nous allons demander le renforcement de la démarche Agille », souligne Roland Giraud. Parallèlement, neuf conseils généraux(2) ont rédigé une contribution commune dans laquelle ils défendent les principes du développement social territorialisé et demandent que les « états généraux » « engagent vers une société plus coopérative et une volonté affirmée et programmée de simplification ». « Les départements doivent être reconnus comme des assembleurs des politiques sociales. Nous croyons toujours à la pertinence du niveau départemental où se situent les graines de la modernisation d’une action publique plus efficace et plus économe », plaident les signataires.

(1) Le Pas-de-Calais, le Nord, l’Eure, la Meurthe-et-Moselle, la Gironde, les Landes, le Tarn-et-Garonne, la Lozère, la Drôme, le Doubs et le Val-d’Oise.

(2) Le Calvados, l’Eure, la Manche, le Nord, l’Oise, l’Orne, le Pas-de-Calais, la Seine-Maritime et la Somme.

Côté terrain

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur