Après avoir failli faire les frais des joutes idéologiques sur la lutte contre la délinquance, la contrainte pénale, issue de la loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales(1), est entrée en vigueur le 1er octobre. Depuis le 26 septembre seulement, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) en savent plus, grâce à une circulaire et à une note de cadrage (voir ce numéro, page 46), sur les modalités de mise en œuvre de cette nouvelle peine en milieu ouvert visant la réinsertion des condamnés par la prise en compte de leurs besoins d’accompagnement.
Sur le fond, la contrainte pénale opère un tournant, « remettant la personne au cœur du suivi et en recentrant le CPIP [conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation] sur son métier d’accompagnement socio-éducatif », se félicite Sarah Silva-Descas, référente nationale pour les SPIP à la CGT. Mais sa mise en œuvre manque de préparation, et surtout de moyens, même s’il est encore difficile d’évaluer l’adhésion des magistrats à la mesure, d’ores et déjà qualifiée d’« usine à gaz » par Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats. Le projet de loi table sur quelque 20 000 contraintes pénales au plus prononcées chaque année. Or les 360 CPIP entrés en formation à la rentrée ne seront titulaires qu’en septembre 2016, pendant que la majorité des agents suivent aujourd’hui plus de 100 dossiers chacun.
Les syndicats se félicitent que la note de cadrage ait évolué après leur consultation. Moins directive qu’initialement sur le caractère formalisé du suivi, qui se veut renforcé, « elle fixe un cadre tout en ouvrant la possibilité d’une progressivité et d’une proportionnalité de l’intensité de la prise en charge en fonction des besoins des personnes », explique Nicolas Finielz, secrétaire national du Snepap (Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire)-FSU. Le texte, souligne la CGT, a ainsi remplacé les notions de suivi « soutenu » et « contraint » par les termes d’« individualisé » et de « suffisamment contenant et aidant ».
Des interrogations subsistent cependant sur la méthode. Pour la phase d’évaluation, dont la durée ne doit pas excéder trois mois, la note de cadrage incite à l’organisation de groupes collectifs afin d’observer les comportements des personnes prises en charge, « notamment leurs interactions » avec les autres membres du groupe. « Mais sur quelles bases théoriques ?, s’interroge Nicolas Finielz. Nous savons mener un travail collectif dans le cadre d’une prise en charge, pas d’une évaluation. » Au-delà, estime le secrétaire national du Snepap, « les SPIP ont aujourd’hui une culture à la fois commune et diffuse de l’évaluation », qui reste à harmoniser et à formaliser. « Une recherche-action est en cours sur plusieurs sites pilotes pour construire cette méthode », rappelle-t-il, estimant qu’il faut que ce travail « aboutisse pour donner un contenu à l’évaluation ». Au-delà, relève Sarah Silva-Descas, « le délai de trois mois pourrait être trop court pour nouer une relation de confiance avec les personnes », en fonction de leur profil et du temps qu’auront les conseillers pour organiser des rendez-vous rapprochés. La note, en la matière, fixe un minimum : au moins quatre entretiens individuels doivent avoir lieu durant la phase d’évaluation.
L’administration préconise par ailleurs une prise de contact du SPIP avec l’entourage de la personne condamnée pour affiner l’évaluation de sa situation, y compris par des visites à domicile. Même s’il est indiqué que l’intéressé devra être « systématiquement » associé à son évaluation, « il faudra obligatoirement recueillir son assentiment sur les contacts avec ses proches, sinon on ira à l’encontre de ce qu’il faut faire, des règles européennes de la probation », considère Nicolas Finielz. La CGT y voit un autre risque : celui d’étendre « le contrôle social » à l’entourage du condamné.
Après la phase de diagnostic (lors de laquelle s’effectue aussi le contrôle des obligations fixées initialement par la juridiction), une commission pluridisciplinaire doit, au sein du SPIP, « déterminer collégialement un plan de suivi adapté aux besoins et potentialités du justiciable ». C’est seulement après avoir reçu son rapport que le magistrat doit décider, dans un délai de un mois, des modalités d’exécution de la peine et d’accompagnement de la personne. Là aussi, les moyens devront être à la hauteur, notamment pour développer l’intervention des services sociaux de droit commun auprès des condamnés et pour financer les partenariats. Pour éviter de faire de ces derniers des coquilles vides, « nous souhaitons que les CPIP soient davantage associés à la signature des conventions pour les faire vivre dans les territoires, alors qu’ils ont de plus en plus tendance à devenir des exécutants de conventions nationales », souligne Sarah Silva-Descas. Pour la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, « un pilotage interministériel et un renforcement des partenariats avec des organismes publics tels que Pôle emploi et les associations de solidarité » font partie des conditions indispensables au succès de la contrainte pénale.