« Notre système de solidarité comporte un rouage méconnu du grand public, mais déterminant. Avec un budget de 8 milliards d’euros annuels, la protection de l’enfance protège les enfants et apporte une aide aux familles en difficulté d’aujourd’hui, pour préparer la société de demain. Affaire d’Outreau(1), de “la petite Marina”(2), du “petit Dylan”… Les rares échos médiatiques lui donnant une audience grand public sont toujours des “affaires” dramatiques qui ne peuvent que susciter l’indignation. La chaîne publique France 5 n’a pas dérogé à la règle. En sautant d’un cas atypique à l’autre, le reportage prétend lever le voile sur cinq dysfonctionnements. Notre expérience, fondée sur des interventions dans plusieurs dizaines de départements et d’établissements, et sur la rencontre avec plusieurs centaines de professionnels et de familles, nous oblige à revenir sur plusieurs erreurs de jugements.
1. Les enfants en danger seraient accueillis dans des conditions mauvaises, voire dangereuses. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance visent l’amélioration continue de la qualité de l’accueil. La quasi-totalité des départements, collectivités en charge de l’ASE, font désormais de la rénovation des locaux, de l’adaptation des séjours, de l’écoute et de la capacitation des familles les orientations fondamentales de leur politique.
2. La prise en charge des enfants au sein de foyers et de familles d’accueil engagerait des dépenses pharaoniques, détournées par des encadrants peu scrupuleux, au train de vie peu compatible avec leur vocation sociale (hauts salaires, notes de frais injustifiées, etc.). C’est un portrait à trop gros traits d’un secteur composé d’associations aux budgets modestes, rendant malaisés les abus de biens sociaux. Les salaires des directeurs (souvent des travailleurs sociaux ayant gravi l’échelle des responsabilités) ne culminent pas aux sommets indiqués dans le reportage, et correspondent à l’investissement humain de professionnels logés sur place, qui s’investissent 24 heures sur 24 dans leur mission.
3. Il n’y aurait pas de contrôle permettant de s’assurer de la qualité de l’accueil des enfants. Les missions d’audit ne sont certes pas systématiques. Il faut néanmoins comprendre pourquoi : d’une année sur l’autre, le budget des structures est stable (ou à la baisse), et les dépenses supplémentaires sont rigoureusement justifiées. Par ailleurs, les effectifs dédiés par les départements à ce suivi ne permettent pas de réaliser des audits complets de l’ensemble des structures sous leur responsabilité (plusieurs dizaines d’établissements). Cela n’empêche pas des initiatives de contrôle ciblées, et régulières. De son côté, le métier d’assistant familial a connu de fortes évolutions ces vingt dernières années. Les familles d’accueil sont désormais formées, professionnalisées, et bénéficient d’un accompagnement du conseil général dans le temps de l’accueil des enfants. Certes, ces professionnels, exerçant à leur domicile et en dehors du soutien quotidien d’une équipe, ont besoin d’un appui renforcé par les travailleurs sociaux. Les départements prennent conscience de la nécessité impérieuse d’investir pleinement ces missions de contrôle, conjuguant contrôle financier et contrôle de la qualité. Ils doivent poursuivre dans cette voie.
4. Le système favoriserait les ruptures de parcours, qui ajoutent de la fragilité à la situation des jeunes. Or nombre de ruptures caractérisent l’adolescence, âge de défiance du cadre établi. Plus qu’un défaut de qualité des lieux d’accueil, ces ruptures montrent à quel point l’enfant placé dans le système de l’ASE doit pouvoir se référer à une figure adulte stable, de confiance, qui organise son parcours, et amortisse les ruptures. En ce sens, le métier de travailleur social de l’ASE doit poursuivre sa métamorphose.
5. L’encadrement et, en creux, les travailleurs sociaux auraient une éthique douteuse. Le reportage vise directement les cadres de la protection de l’enfance (plusieurs milliers de professionnels), dépeints tour à tour comme avides, mauvais gestionnaires, déconnectés de la réalité des professionnels de terrain et ne leur apportant pas de soutien, même lorsqu’ils sont en souffrance. En cela il attaque cette politique dans sa force première, à savoir l’engagement et l’éthique de la grande majorité des professionnels qui y contribuent. Parfois confrontés à la misère sociale la plus aiguë, à des situations d’une extrême violence, perpétuellement questionnés dans leurs certitudes les plus intimes, ils font chaque jour honneur à leur vocation et à leur engagement en faveur de l’intérêt des enfants et des familles qu’ils suivent.
Au-delà des approximations de ce reportage, c’est sa démarche que nous remettons en cause : sous couvert d’en dénoncer les dérives, il sape les fondements mêmes de l’ASE, qui doit tirer toute son efficacité de la relation d’aide consentie établie entre une famille et un professionnel. Jeter le pavé du discrédit, c’est être en profond décalage avec le véritable enjeu de la protection de l’enfance : rénover son image. Dans le cadre des actions de prévention – passées sous silence –, le volontariat des familles constitue la condition sine qua non de l’efficacité des accompagnements. Il est donc primordial que nous prenions conscience que l’ASE peut proposer, en conciliant intérêt de l’enfant et respect des familles, des aides diversifiées (soutien à la parentalité, accompagnement à domicile, aides matérielles quotidiennes…). A l’inverse, par son propos caricatural, le reportage nuit à la politique qu’il prétend défendre, puisqu’il incite les familles qui pourraient rechercher une aide légère à s’en détourner. Le problème de société à traiter est bel et bien l’évolution des difficultés éducatives, sociales, économiques des familles, et la manière dont nous entendons y répondre. Ce n’est pas, comme ce reportage voudrait le laisser croire, le prétendu dysfonctionnement d’un système jugé occulte. L’ouverture de l’ASE au débat démocratique est une ambition saine, et nécessaire pour l’invention du système de solidarité de demain. Par respect pour nos enfants, que cela soit dans une perspective apaisée, et constructive. »
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(2) Sur laquelle le défenseur des droits avait demandé une mission d’étude – Voir ASH n° 2867 du 4-07-14, p. 15.