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Des mineurs pris au piège

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Dans les bidonvilles, certains jeunes se retrouvent en situation d’exploitation et parfois obligés de commettre des délits. Mettant en échec le système de la protection de l’enfance et la justice, ces victimes de la traite des êtres humains nécessitent des réponses ciblées.

Une partie des jeunes vivant dans des bidonvilles se révèlent contraints d’exercer au quotidien des activités lucratives tels le vol, la mendicité, l’arnaque à la charité, la prostitution… Toutefois, « la majorité des mineurs exploités n’habitent pas en bidonville. De plus, certains s’y retrouvent davantage par stratégie – car la police a du mal à y intervenir – que par nécessité économique », précise le sociologue Olivier Peyroux, spécialiste des populations roms et de la traite des êtres humains (TEH). Certains jeunes commettent en outre des délits, comme tant d’autres adolescents le feraient.

DE LA DETTE À L’EXPLOITATION

La TEH étant multiforme, la protection des mineurs qui en sont victimes appelle des réponses modulées. Ainsi, derrière la mendicité ou les petits vols, se cachent des stratégies économiques. Notamment, des familles mettent la pression sur leurs enfants pour rembourser des dettes. Il peut s’agir de paiement de services : installation dans un bidonville, mise en conformité des papiers… « Cela dérive vers une maltraitance, mais au départ il ne s’agit pas d’exploiter spécifiquement les enfants », explique le sociologue. Toute la famille est en fait mise à contribution mais les mineurs se révélant plus aptes à ramener de l’argent, celle-ci bascule dans l’exploitation. « Des interventions de repérage, de médiation familiale, dans un cadre judiciarisé ou non, peuvent suffire à protéger ces mineurs. Mais tant qu’on n’a pas perçu que, derrière, il y a une dette, qu’elle s’alourdit avec le temps, le discours éducatif ne peut pas prendre », affirme-t-il. D’autres jeunes se retrouvent victimes d’exploitation sexuelle. Comme souvent, ils ont été abusés : séduction puis prostitution, mais parfois une dette peut être à l’origine de cette dernière. Dans tous les cas, des stratégies d’invisibilisation sont développées. « Pour éviter les poursuites, les enfants qui volent affichent leur minorité ; pour échapper à la protection de l’enfance, ceux qui se prostituent affirment à l’inverse leur majorité », explique-t-il.

Enfin, plus spécifique aux mineurs d’Europe de l’Est, des organisations criminelles très actives – certains groupes se sont spécialisés dans le pickpocketing dans le métro, l’arnaque aux distributeurs de billets, les vols de portables… – s’appuient sur des fonctionnements communautaires et jouent en particulier avec les conflits de loyauté intrafamiliaux. « Dans le phénomène de traite, l’adhésion du mineur à son exploitation est toujours recherchée », observe Olivier Peyroux. Il s’agit ainsi d’éviter menaces et dénonciations. Cela passe par l’intégration de la famille au réseau, le partage des gains… Dans les groupes les plus structurés, une carrière peut quasiment être prévue. Ayant compris que c’était leur minorité qui favorisait leur exploitation, plus les enfants se rapprochent de l’âge de la majorité, plus ils s’interrogent sur leur intérêt : négocier avec leurs exploiteurs pour récupérer plus de gains ou se tourner vers les services de la protection de l’enfance. Mais, dans ce dernier cas, une autre réalité pèse dans la balance. « Le danger est pour eux de perdre leur cercle de sociabilité du fait des liens intracommunautaires existants », relève le sociologue. Dans certains groupes, il arrive aussi que des familles s’associent pour exploiter les mineurs et détournent des pratiques communautaires. Notamment, dans le cadre de mariages précoces, des dots se transforment en dettes… « Parfois, on en est à la troisième génération de filles exploitées. Celles-ci ont tendance à prendre les habits de la légalité pour ne pas être repérées. Par exemple, elles s’inscrivent au CNED [Centre national d’enseignement à distance] pour montrer qu’elles ne sont pas déscolarisées », assure-t-il.

Ces réseaux se livrent à une exploi­tation systématique et à grande échelle contre laquelle des moyens doivent être mis en branle. « La traite des mineurs reste relativement peu pénalisée et donc très rentable. Il faut s’attaquer aux failles du système qui l’encouragent », estime le sociologue. Cela suppose un vaste travail partenarial, transdisciplinaire et trans­national. Contenant un volet mineurs, le nouveau « plan d’action de lutte contre la traite des êtres humains »(1) devrait contribuer à une meilleure protection de ces victimes. Des victimes qui d’ailleurs ne sont pas toujours conscientes d’en être et adoptent parfois des comportements décalés (légèreté, agressivité…) et perturbants pour les professionnels. « Ces enfants ont un discours préfabriqué sur leur identité, leur région d’origine, leur famille, qu’il est difficile de briser, et ils tendent à juger normale leur situation », témoigne Martina Andreeva, chargée de la protection des mineurs victimes de TEH à Hors la rue. Aussi l’équipe saisit-elle toute occasion d’individualiser la relation et d’éviter le poids du groupe : en accompagnant les enfants au tribunal, en les rencontrant en prison… « C’est un réel défi éducatif de travailler sur la durée pour, doucement, de façon non intrusive, faire émerger chez ces enfants sous emprise et méfiants vis-à-vis des institutions une envie de vie alternative », poursuit-elle.

ADAPTER LES RÉPONSES

Autre difficulté : l’absence de dispositif spécifique. De fait, lorsqu’ils sont placés, ces jeunes s’échappent vite des foyers, où, d’ailleurs, on vient souvent les chercher. « Certains enfants devraient être éloignés très rapidement de leur milieu habituel plutôt malveillant de façon adaptée à leurs besoins », estime Martina Andreeva. L’absence de réponses inquiète également Sylvain Barbier Sainte-Marie, vice-procureur responsable de la section des mi­neurs du parquet de Paris. « Aujourd’hui, le droit procédural protège les victimes de TEH majeures mais absolument pas les mineurs. Il faut adapter le système, inventer un dispositif de foyers pour les sécuriser. On ne peut plus raisonner en termes d’adhésion. En Bosnie, il existe en ce moment des camps où on entraîne, pendant un an, des jeunes de 7 ou 8 ans à voler pour les ventiler ensuite dans toute l’Europe… » Le principe d’un hébergement adapté semble acquis dans le plan, reste à trouver la formule. Une réflexion à laquelle les associations entendent bien participer.

Notes

(1) Voir ASH n° 2860 du 16-05-14, p. 5.

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