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Quels parcours après un placement en villages d’enfants ?

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La Fondation Action Enfance rend publics les résultats d’une recherche-action menée auprès d’adultes anciennement placés dans ses structures. Ils apportent un éclairage sur les facteurs qui, en protection de l’enfance, peuvent influencer les itinéraires.

Que deviennent les enfants placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) dans leur vie d’adulte ? Les études sur le sujet ne sont pas légion. A la fois pour contribuer à la production de la connaissance, faire entendre la parole des intéressés sur leur expérience du placement et leur parcours, et valoriser le travail éducatif, la Fondation Action Enfance a mené d’octobre 2011 à mars 2014, avec le Centre de recherche et d’études en action sociale (CREAS) de l’Ecole supérieure de travail social de Paris (ETSUP) et le Laboratoire d’étude, de recherche et de formation en action sociale (Lerfas) de Tours, une recherche-action auprès de personnes anciennement placées dans quatre de ses dix villages d’enfants(1). Ce type de dispositif, très minoritaire dans les prises en charge – il représente 2 % des quelque 50 000 placements en institution(2) –, permet d’accueillir des fratries, sur des durées de placement longues (cinq ans en moyenne), au sein de maisons familiales. Celles de la fondation accueillent cinq ou six enfants auprès desquels est présente en permanence une équipe de trois éducateurs, qui se relaient pour assurer l’organisation de la vie quotidienne.

Continuité du placement

En donnant la parole à ceux qui ont vécu ce modèle particulier(3), l’enquête, dont les résultats ont été dévoilés le 25 septembre, contribue à mettre en lumière les conditions de la construction d’un environnement protecteur pour l’enfant et de sa capacité à se projeter dans l’avenir, même si, nuancent les chercheurs, « de multiples facteurs peuvent influencer les itinéraires individuels ». En filigrane, l’idée est aussi de battre en brèche les représentations déterministes sur les « enfants de l’ASE ». « En novembre 2011, nous avions publié un rapport sur les enfants placés[4] qui ne traitait pas des villages d’enfants, a rappelé Marie Derain, ancienne défenseure des enfants, lors de la présentation des travaux. Mais, trois ans après, il ressort de cette enquête les mêmes enjeux – ceux de la continuité, de la mise en confiance, de l’anticipation –, et les mêmes constats sur les facteurs de réussite des parcours. »

Sur plus de 300 personnes interrogées, entrées dans un village d’enfants après 1981 et sorties avant 2007, 122 ont répondu. Majeures au moment de l’enquête, elles sont restées plus de huit ans en moyenne dans la structure, étaient âgées de 7 ans en moyenne à leur arrivée et de 14 à leur sortie. La grande majorité (75 %) se disent satisfaites de leur vie. Elles ont vécu une scolarité plutôt « ordinaire » : seulement 16 % des répondants n’avaient aucun diplôme à la sortie de leur parcours scolaire (alors que 29 % de la population générale n’a aucun diplôme), même s’ils sont moins nombreux à avoir un niveau d’études au moins équivalent au bac (35 %, pour 41 % de la population nationale). « Les sorties d’études sont précoces, les fins de prise en charge à la majorité ayant conduit les jeunes à s’orienter vers des formations professionnelles courtes », explique Patrick Dubéchot, pilote de l’étude et ancien responsable du CREAS(5). Une part importante (38 %) a, par ailleurs, arrêté l’école avant 18 ans. La stigmatisation dont les jeunes se sont sentis victimes a également, d’après les témoignages, compliqué la conciliation entre leurs études et leurs difficultés familiales.

Insertion professionnelle rapide

En revanche, « les enquêtés ont rapidement accédé à l’emploi et s’y sont maintenus, puisque 40 % ont obtenu un contrat à durée indéterminée dès leur premier emploi », ajoute le chercheur. Ils ont accédé à leur premier poste à 30 ans en moyenne (27 ans dans la population générale) et plus de la moitié (54 %) des moins de 30 ans avaient un emploi au moment de l’enquête (contre 45 % parmi la population générale du même âge). D’où le constat, prolonge Aude Kerivel, chargée de recherche au Lerfas, « que l’expérience de la présocialisation au travail [par la transmission de certains repères] semble s’effectuer au village ».

L’enquête souligne également l’importance des liens sociaux établis durant le placement, des professionnels éducatifs ayant pu jouer un rôle dans la mise en relation avec un premier emploi. Au final, les enquêtés occupent, en termes de catégorie socioprofessionnelle, une position identique ou supérieure à celle de leurs parents, très souvent sans emploi. Mais leurs ressources financières sont plus faibles que celles de la moyenne nationale : seuls 12 % disposent de plus de 1 200 € par mois (donnée à mettre en relation avec leur âge médian, 28 ans). Néanmoins, seuls 5 % disent avoir ou avoir eu des difficultés à trouver un logement et leur lieu de domicile correspond souvent à l’implantation du village, les anciens enfants placés ayant « un sentiment d’appartenance à leur lieu de vie », selon Patrick Dubéchot.

Malgré des difficultés financières liées aux emplois occupés, les enquêtés font état d’une certaine réussite parce qu’ils sont avant tout satisfaits de leur vie familiale, « proches des moyennes nationales », selon l’enquête. Ainsi, 46 % sont en couple et 53 % ont des enfants, souvent deux, ce qui dénote une certaine « volonté de se rapprocher d’une vie normale et de ne pas reproduire ce qu’ils ont vécu », précise Patrick Dubéchot. La majorité, même parmi ceux qui ont connu des difficultés importantes, préfèrent ne pas recourir aux travailleurs sociaux « et s’en sortir seuls ». Une attitude qui pourrait « être traduite par le concept de résilience ».

Le fonctionnement des villages a-t-il été déterminant dans le parcours des personnes enquêtées ? Pour 70 %, cette expérience a permis d’« avoir une existence normale ». La très grande majorité (90 %) estime qu’il est essentiel d’être accueilli dans le même village que ses frères et sœurs, facteur de stabilité et de sécurité que les chercheurs appellent « l’entre-soi familial ». Alors que les raisons du placement ont pu entraîner une dissolution des liens au sein d’une même fratrie, ou bien une transformation de ces relations, quand l’aîné devient le parent de substitution par exemple, l’accueil en village aide chacun à retrouver sa place. Plus de 60 % des répondants affirment par ailleurs que l’adulte qui a le plus compté pour eux est l’un de leurs éducateurs (souvent des éducatrices), ou bien le directeur du village.

L’attachement à des « figures marquantes » est donc essentiel. Le concept de maisons dans les villages d’enfants « est un élément important dans la façon dont les enfants se représentent l’univers possible d’une famille », commente Patrick Dubéchot, selon qui « c’est moins dans le discours que l’on transmet des valeurs que dans la façon d’agir avec les enfants au quotidien ». D’où la réserve du chercheur sur la tendance à éloigner le métier d’éducateur des tâches quotidiennes.

« Pairs de placement »

Autre facteur de stabilité : « Le fait d’avoir au sein d’une même maison des tranches d’âge différentes évite les situations de violence, les plus petits craignant un peu les plus grands, et les plus grands ayant conscience qu’ils doivent jouer un rôle de modèle », alors qu’à âge égal, les situations de rivalité sont favorisées, analyse Aude Kerivel. Les liens tissés entre les enfants ayant été placés dans le même village jouent également un rôle à la sortie. Les chercheurs évoquent ainsi « les pairs de placement », parties prenantes d’une « culture familiale » qui perdure ensuite. Les « micro-projets proposés durant la vie quotidienne permettent aussi de se projeter individuellement, cela fait partie des éléments participant à la valorisation de soi », ajoute Aude Kerivel.

Pour autant, pointe l’enquête, les parents ont aussi une place durant cette prise en charge. Près de 40 % des répondants ont eu un contact avec leur mère et leur père durant le placement au moins une fois par mois. A l’opposé, 17 % n’ont jamais eu de contact. Aujourd’hui, 25 % ne voient plus leur mère et presque autant leur père. Des résultats qui posent la question délicate du maintien des liens familiaux, estime Marc Chabant, directeur du pôle éducatif d’Action Enfance, alors que « le placement au-delà de cinq ans signifie quelque chose en termes de substitution parentale ». Une question, avec celle de la continuité et de la stabilité du placement, placée au cœur de la proposition de loi sur la protection de l’enfant déposée par les sénatrices Muguette Dini (UDI, Rhône)(6) et Michelle Meunier (PS, Loire-Atlantique). Un texte dont les dispositions « manquent d’ambition politique », juge Marc Chabant, pour qui il est temps, « au niveau national, de définir un certain nombre d’axes pour la protection de l’enfance ». En clair, de sortir des aménagements techniques. Dans ce domaine, « les choses ne se règlent pas par la tarification, on a besoin d’être dans les intentions éducatives », défend-il. Une dimension que certains conseils généraux ont comprise en appelant aux propositions d’accueil « atypique », alors que certains d’entre eux constatent « une diminution du nombre des familles d’accueil », précise Marc Chabant.

Notes

(1) « Que sont-ils devenus ? » – Etude réalisée par le CREAS-ETSUP et le Lerfas, à partir d’un questionnaire envoyé à 327 destinataires et d’une enquête qualitative menée auprès de 28 personnes, issus de villages situés en Indre-et-Loire et en Seine-et-Marne – www.actionenfance.org.

(2) Selon les derniers chiffres de la DREES, fondés sur les données, collectées en 2008, de son « enquête ES » auprès des établissements et services accueillant des adultes ou enfants en difficulté sociale.

(3) L’association SOS villages d’enfants a, en 2008, rendu publique une étude longitudinale menée par l’Inserm sur le village d’enfants SOS de Marseille – Voir ASH n° 2555 du 25-04-08, p. 43.

(4) « Enfants confiés, enfants placés : défendre et promouvoir leurs droits » – Rapport 2011 du défenseur des droits, Dominique Baudis, consacré aux droits de l’enfant – Voir ASH n° 2734 du 25-11-11, p. 11.

(5) Pour accompagner les jeunes à la sortie du placement, Action Enfance a mis en place un « service de suite » proposant un socio-éducatif ou matériel pour faciliter le passage à l’autonomie des jeunes majeurs.

(6) Muguette Dini n’est plus sénatrice depuis les élections du 28 septembre.

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