La Cimade vient de publier son premier rapport consacré aux personnes étrangères détenues en France(1), dans l’objectif d’« alerter les pouvoirs publics et la société civile sur les dysfonctionnements et les discriminations subies par les personnes étrangères entre les murs de nos prisons ». Au 1er janvier dernier, les étrangers représentaient 18 % de la population carcérale, soit environ 12 000 détenus, sachant que, sur l’année, ils sont « à peu près » 20 000 à passer par la case prison en France, précise l’association. En dépit d’une délinquance en baisse parmi cette population, la Cimade constate une « surreprésentation des étrangers en prison » qui, relève-t-elle, sont « plus souvent contrôlés et interpellés » et subissent des « sanctions plus lourdes » que les Français. Conséquence de la précarité juridique et sociale de nombre d’entre eux : ils bénéficient de moins de garanties de représentation, ce qui entraîne des jugements en comparution immédiate plus fréquents et davantage de placements en détention provisoire.
Dans son rapport, la Cimade passe en revue les particularités des conditions de détention des étrangers, réalités qui se situent, selon elle, « à l’ombre du droit ». Elle relève tout d’abord des difficultés « persistantes » dans l’accès à l’information. La question de la langue « s’impose en prison comme une barrière de plus », sa maîtrise étant nécessaire « ne serait-ce que pour formuler ses requêtes à l’administration pénitentiaire, comme demander à voir un médecin ». L’impossibilité de conserver en cellule les documents relatifs aux motifs de l’incarcération (depuis une circulaire de 2011 visant à protéger la confidentialité des informations) empêche par ailleurs les intéressés de se les faire expliquer par un tiers – bénévole, famille ou avocat. De plus, la notification des documents en prison est faite par le personnel pénitentiaire « de façon lapidaire » et ne permet pas aux étrangers « de comprendre la décision, d’en saisir la portée et de la contester », ajoute la Cimade, qui recommande que toutes les cellules soient équipées d’un coffre « afin que les personnes puissent y conserver leurs documents » et que des interprètes indépendants et professionnels assistent les personnes tout au long de la détention. De même, l’administration pénitentiaire devrait, demande-t-elle, mettre à disposition des directions interrégionales et des établissements des documents d’information traduits dans les langues parlées dans les prisons.
La Cimade souhaite également que les détenus puissent exercer leur droit au séjour, en ayant accès aux procédures de demande ou de renouvellement de titre. Or, si une circulaire a été publiée dans ce sens en mars 2013(2), les situations restent « très disparates » d’une prison à une autre. L’association demande donc aux pouvoirs publics de signer un décret qui « aurait force de loi et [qui] pourrait ainsi garantir les droits de toutes les personnes dans toutes les prisons », mais aussi d’admettre au séjour les personnes qui ne peuvent pas être éloignées du territoire.
Le rapport revient en outre sur « la persistance » de la double peine qui, « contrairement aux idées reçues », n’a pas été abolie par la loi du 26 novembre 2003(3). Pour ceux qui relèvent d’une catégorie « protégée » d’une interdiction du territoire français (ITF) subsiste en effet la difficulté à en apporter la preuve, notamment en matière de durée du séjour en France. D’après une étude réalisée par le ministère de la Justice, précise la Cimade, « en 2007, l’ITF a été prononcée par les juridictions pénales dans 43 % des condamnations visant des étrangers ».
Alors que « pour les personnes étrangères détenues, l’état de santé est un motif de protection contre une mesure d’expulsion ou encore pour l’obtention d’un titre de séjour », les procédures mises en place en prison sont « complexes et peu efficientes », ajoute la Cimade. De fait, des personnes gravement malades continuent à être expulsées dès la sortie de prison, « alors que leur vie est en danger dans leur pays d’origine en raison de l’absence d’accès effectif à un traitement ». La Cimade appelle à « garantir les impératifs de santé qui doivent toujours primer sur toute considération de menace à l’ordre public » et à suspendre les mesures d’éloignement et d’expulsion jusqu’à ce qu’un avis médical soit rendu.
L’association pointe aussi que les personnes étrangères accèdent très peu aux aménagements de peine : la surcharge de travail des services pénitentiaires d’insertion et de probation, ajoutée à la complexité du droit des étrangers, rend difficiles l’évaluation de leur situation et la mise en œuvre des recours. Le rapport déplore enfin des atteintes au respect de la vie familiale : « dans certains établissements, le permis de visite est refusé aux membres de familles d’étrangers lorsqu’ils ne sont pas en mesure de présenter un titre de séjour valide ». L’organisation réclame donc, notamment, l’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme garantissant le respect du droit à la vie privée et familiale, « avec une interprétation large et non restrictive ».
(1) Etrangers en prison, à l’ombre du droit – Disponible sur
(3) Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.