Appartements témoins

Hortense Soichet est une voyeuse. Elle a réussi à s’infiltrer dans une centaine de logements pour les photographier. Des logements sociaux. Des appartements de la zone urbaine sensible (ZUS) de La Noue-Clos-Français, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), quelques-uns de la cité des Fenassiers, à Colomiers (Haute-Garonne), cinq logements des immeubles de la ZUS du Viguier, à Carcassonne (Aude), et sept des quartiers Argentine et Saint-Lucien, à Beauvais (Oise). La photographe s’intéresse depuis plusieurs années déjà aux manières d’habiter et aux espaces partagés. Son travail, mené dans des quartiers qui sont ou seront concernés par des rénovations, articule entretiens avec les habitants, photographies de leur espace domestique et point de vue de l’intérieur vers l’extérieur. Soit une visite privée du chez-soi de chacune de ces familles. Cela donne un témoignage de la vie d’aujourd’hui dans les quartiers populaires. L’entrée dans le quartier se fait par trois photographies d’extérieurs puis, pour chaque logement, par trois images : salon-séjour, chambre et cuisine. La photographie traduit souvent les origines, le mode de vie, les goûts de l’habitant. Mais des points communs entre ces intérieurs, finalement, il y en a peu. Peut-être une tendance au désordre, des papiers peints datés, un engagement dans la décoration qui témoigne des nombreuses années passées entre ces murs – ce que Jean-Michel Léger, sociologue de l’habitat, qui donne sa conclusion à l’ouvrage, qualifie de « situations d’enracinement ou de captivité acceptée » : « Certains présentent une saturation de décoration, comme s’il s’agissait de remplir de sens la vacuité de l’espace livré nu et lisse », écrit-il. Intérieurs, le premier livre d’Hortense Soichet, révélait la diversité des lieux habités dans le quartier parisien de la Goutte d’or. Elle poursuit ici son « inventaire » des manières d’habiter au XXI^e siècle. Les intérieurs publiés dans Ensembles sont désormais ouverts au public, mais demeurent anonymes et renferment encore toute l’intimité de leurs occupants. Car d’eux, on ne verra rien, et de leur parcours, on ne connaîtra que quelques bribes.