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Médiateurs santé-pairs : un dispositif à relancer… en l’améliorant

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Le rapport évaluant l’expérimentation des médiateurs santé-pairs en santé mentale en pointe les effets positifs, mais aussi les dysfonctionnements. Il plaide néanmoins pour que soit donnée une nouvelle chance à ce programme innovant.

L’expérience des médiateurs santé-pairs en santé mentale(1) « vaut la peine » d’être poursuivie. Telle est la conclusion du Clersé(2)-CNRS de Lille, qui a évalué ce dispositif controversé deux ans et demi après son lancement dans trois régions volontaires – Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais et Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Le principe : tester le concept de « pairs-aidants » en intégrant d’anciens patients dans les équipes de psychiatrie, selon l’idée que les personnes les mieux placées pour comprendre une personne en souffrance psychique sont celles qui ont elles-mêmes connu ces troubles.

Hétérogénéité des conditions de travail

Réalisé par des chercheurs à partir d’observations in situ et d’une série d’entretiens – avec les médiateurs, les soignants et les usagers –, ce rapport dresse un bilan en demi-teinte de l’expérimentation, qui mérite néanmoins, selon les auteurs, d’être relancée et améliorée. Initiative « ambitieuse, en rupture institutionnelle avec l’existant », l’intégration de pairs-aidants « est une innovation intéressante pour les équipes dont elle déplace ou enrichit les représentations, pour les usagers des services auxquels elle apporte une aide effective sur une série de points, notamment l’espoir de rétablissement, et enfin pour les pratiques de soins qu’elle humanise », jugent les chercheurs.

A la fin 2010, 29 anciens usagers de la psychiatrie avaient été sélectionnés pour suivre une formation de huit semaines en parallèle de leur intégration en tant que médiateurs dans 15 établissements hospitaliers, d’abord comme stagiaires pendant un an, puis en tant que salariés en contrat à durée déterminée (CDD) renouvelable. A l’époque, les syndicats s’étaient montrés très critiques envers cette expérimentation dans laquelle ils voyaient une confusion des genres qui déqualifiait le métier de soignant(3). Aujourd’hui, seuls 15 médiateurs sont toujours en poste et deux ont vu leur CDD déboucher sur un CDI.

Leurs conditions de travail sont très hétérogènes. Certains accompagnent une population en grande précarité, d’autres des usagers hospitalisés, suivis en centre médico-psychologique, à domicile ou en appartement thérapeutique… Leur place dans l’équipe varie : souvent intégrés dans des activités thérapeutiques existantes, d’autres sont parfois libres d’intervenir auprès des patients, suivant les besoins qu’ils pensent identifier. Sur les 29 médiateurs, 14 sont parvenus à construire avec l’encadrement « un espace d’intervention suffisamment stable pour bénéficier d’une reconnaissance de la part de leurs collègues ». Leurs tâches sont diversifiées : ils peuvent aider l’usager dans ses démarches administratives, l’accompagner à des activités de loisirs mais également s’entretenir en tête-à-tête avec lui à l’instar d’un psychothérapeute, lui enseigner des techniques comportementales pour lutter contre les addictions, se déplacer chez lui pour l’aider à faire le ménage ou encore animer des groupes de parole.

Parmi ceux qui ont abandonné l’expérimentation, deux étaient en conflit avec l’équipe et pour quatre d’entre eux, cet abandon est dû à une rechute, le programme ayant joué « contre le rétablissement personnel ». Ils n’ont pas supporté d’être confrontés à des personnes en situation de souffrance ayant des troubles similaires à ceux qu’ils ont eux-mêmes éprouvés. « Le simple fait de jouer leur rôle d’(ex-) usager de la psychiatrie les expose selon eux à un retour de leur pathologie », indiquent les auteurs. D’autres n’étaient pas satisfaits des tâches qui leur étaient proposées, des désaccords ayant émergé concernant leur rôle, l’organisation du travail, leur rémunération ou les perspectives d’évolution.

Pour ceux qui sont toujours dans le programme, l’expérience est positive et a un effet bénéfique sur leur propre rétablissement. La reprise d’un travail leur a permis de mieux structurer leur rythme de vie, de s’autonomiser et d’envisager une carrière professionnelle. Le sentiment d’être « utile » aux usagers fortifie leur rétablissement. A contrario, certains médiateurs ont eu du mal à trouver leur place du fait de l’impréparation des équipes face à cette nouvelle fonction. Résultat, ils se retrouvent « sous-occupés » ou développent une activité « dépourvue d’espace d’autonomie et d’initiative ». D’autres se sont sentis dévalorisés par les collègues soignants : les médiateurs ont pu être perçus comme incompétents ou insuffisamment formés et qualifiés ou être davantage considérés comme des malades plutôt que comme des professionnels capables de faire face à leurs responsabilités.

Improvisation

Du point de vue des équipes soignantes, l’arrivée des médiateurs est décrite comme « précipitée » et les professionnels estiment avoir improvisé leur accueil. Les effets sur les équipes restent « mineurs » et « très inégaux » d’un service à l’autre. Les professionnels se sont trouvés partagés entre, d’un côté, considérer les médiateurs comme n’importe lequel de leurs collègues et ne pas tolérer les écarts au risque d’entrer en conflit, et, d’un autre côté, accorder une certaine tolérance, au risque de mettre les médiateurs en porte-à-faux dans leur rôle professionnel « plein et entier », indiquent les auteurs. Point positif néanmoins, « le prisme de lecture des médiateurs, qui se rattache davantage à celui de personnes ayant connu la maladie, apporte aux équipes des informations qui ne leur étaient pas connues ou dont l’importance pour le vécu du patient était sous-estimée ». Seuls quelques rares professionnels déclarent que le travail aux côtés des médiateurs a fait évoluer leurs représentations de la maladie mentale. Dans ces cas, ces modifications vont dans le sens d’un meilleur espoir dans la possibilité d’un rétablissement pour les patients et s’accompagnent d’une vision moins pessimiste sur les diagnostics qui peuvent être posés.

Les effets sur les patients sont plutôt positifs : la présence du médiateur rend ainsi possible le rétablissement et contribue « à diffuser une représentation positiviste de la personnalité, de la maladie, de l’expérience ». Certains usagers – surtout ceux qui voient le médiateur en face-à-face assez longuement chaque semaine – ont témoigné pour eux-mêmes d’un certain rétablissement qu’ils attribuent en partie au médiateur. Dans ces cas, le médiateur suscite un certain « transfert » permettant que les rencontres deviennent un levier de changement.

Si, selon les auteurs, une généralisation de cette expérimentation n’est pas souhaitable dans l’immédiat, elle mérite d’être poursuivie. Des pistes d’amélioration sont proposées. Pour mieux préparer les équipes qui accueillent un médiateur, ils suggèrent de les associer au processus de formation (participation à des séances de formation, réunions entre les tuteurs de stage) ainsi qu’au recrutement de ce nouveau professionnel. Les équipes pourraient aussi rédiger des préfiches indicatives de poste. D’autres manières d’engager les médiateurs doivent être inventées afin « d’éviter de recruter des personnes ne disposant pas des compétences relationnelles et communicationnelles requises ». Parmi les pistes évoquées : embaucher les médiateurs après quelques mois de bénévolat ou encore parmi des ex-patients du service. La Fnapsy (Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie) propose, de son côté, d’embaucher des militants associatifs. Les auteurs préconisent également que ces nouveaux professionnels fassent plusieurs stages dans au minimum trois lieux différents avant d’intégrer leur poste. Enfin, la mise en place d’une supervision individuelle et collective régulière (mensuelle par exemple) et de formations continues réservées aux médiateurs devrait faire partie du contrat de travail. Les auteurs invitent les pairs-aidants professionnels à créer une association qui pourrait regrouper les médiateurs santé-pairs, les médiateurs du programme « Housing first »(4), d’autres aidants salariés… pour « promouvoir une conscience collective » et « débattre de leurs problèmes corporatifs », processus incontournable de tout processus de professionnalisation. Au final, les auteurs proposent que cette innovation soit relancée dans deux ou trois autres régions volontaires et donne lieu à une nouvelle évaluation externe.

Notes

(1) Voir ASH n° 2739 du 30-12-11, p. 20.

(2) Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques.

(3) Voir ASH n° 2751 du 16-03-12, p. 26.

(4) Voir ASH n° 2844 du 24-01-14, p. 16.

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