Recevoir la newsletter

Le dispositif de prise en charge des mineurs isolés étrangers fonctionne mais demeure fragile

Article réservé aux abonnés

La réorganisation de l’accueil des mineurs isolés étrangers (MIE), mise en place en mai 2013, constitue « une avancée dans l’harmonisation des pratiques [d’évaluation de cette population] et l’organisation de la solidarité interdépartementale à l’échelle nationale ». Mais la pérennisation du dispositif(1) implique « sa consolidation juridique et financière » et son amélioration nécessite « de nombreux ajustements en termes d’organisation et de fonctionnement ». Telles sont les principales conclusions à retenir du rapport d’évaluation des inspections générales des services judiciaires, des affaires sociales et de l’administration, dont les ASH ont pu avoir une copie. Elles devraient être au cœur de plusieurs réunions interministérielles avec l’Assemblée des départements de France (ADF) d’ici à la fin de l’année.

70 départements contributeurs pour 25 « bénéficiaires »

Le dispositif repose, pour mémoire, sur un protocole d’accord signé le 31 mai 2013 entre le ministère de la Justice et l’ADF et une circulaire de la garde des Sceaux, du même jour, deux documents adoptés en vue de calmer la fronde de certains conseils généraux dont les services sociaux étaient saturés(2). Plusieurs mesures clés ont été posées dans ce cadre : financement par l’Etat des cinq premiers jours d’accueil, délai légal retenu pour évaluer la minorité et l’isolement du jeune ; modalités de cette évaluation, composée, en cas de doute sur les déclarations du jeune, d’un entretien mené à partir d’une trame commune, d’une vérification documentaire, voire, à titre subsidiaire, d’un examen médical d’âge sur réquisition du parquet ; régulation des admissions de MIE entre les services départementaux via une cellule d’orientation nationale – placée auprès de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse – répartissant les jeunes en fonction du poids démographique de chaque département dans la population nationale âgée de 0 à 19 ans.

Le rapport montre que ce dispositif « a effectivement permis de créer une solidarité interdépartementale et un cadre de référence à l’accueil et l’évaluation des MIE ». Même si certains conseils généraux y sont entrés tardivement et si d’autres restent réticents à accueillir des mineurs ainsi orientés, « 70 départements ont contribué, au bout d’un an, à cette solidarité au profit de 25 départements “bénéficiaires” », notent les inspections. Cette clé de répartition n’est d’ailleurs pas remise en cause par la plupart des interlocuteurs rencontrés par la mission. « En dépit de débuts difficiles, insiste le rapport, le dispositif d’orientation constitue désormais un facteur de stabilité pour les conseils généraux en leur donnant une visibilité à moyen terme des admissions de MIE. »

Un dispositif à consolider…

Pour autant, la conception et la mise en œuvre du dispositif demeurent « fragiles et perfectibles sur plusieurs points », estiment les inspecteurs qui, tout en appelant à sa poursuite(3), observent son évolution indispensable pour sa pérennisation juridique et financière.

A leurs yeux, plusieurs notions méritent ainsi d’être précisées. Ils recommandent, par exemple, de renommer, dans le protocole d’évaluation annexé à la circulaire du 31 mai 2013, l’évaluation dite « de la minorité et de l’isolement » en évaluation « de la minorité et de la situation de danger ou du risque de danger ». Et d’indiquer que la notion de danger ne se réduit pas à la seule notion d’isolement entendue comme l’absence de représentant légal sur le territoire national.

Le rapport préconise également d’éviter la confusion entre le principe d’authenticité attaché aux documents d’identité étrangers susceptibles d’être présentés par le supposé mineur – dont le contentieux relève de la fraude documentaire – et l’imputabilité de ces pièces à celui qui s’en prévaut – dont le contentieux relève de la fraude à l’identité. Mais aussi d’indiquer clairement que l’authenticité des documents n’entraîne pas une présomption d’identité.

Plusieurs pratiques mériteraient, par ailleurs, d’être révisées, estiment les trois inspections. Il conviendrait ainsi de rappeler aux parquets que les expertises médicales de l’âge doivent intervenir uniquement dans le champ judiciaire. Ou bien encore de rappeler aux présidents de conseils généraux l’obligation légale de motiver leurs décisions de non-admission à l’aide sociale à l’enfance et de les notifier à leurs destinataires en indiquant les délais et voies de recours applicables ainsi que la possibilité de saisir directement le juge des enfants. « Dans les départements visés ou interrogés, la majorité des décisions prises par les présidents de conseils généraux mettant fin à l’accueil provisoire sans signaler le jeune au parquet n’est ni motivée, ni notifiée », déplore le rapport.

Au chapitre financier, les inspections indiquent que les 10,4 millions d’euros qui ont été mobilisés pour accompagner les conseils généraux « sont en voie d’épuisement ». Et que l’arrêt de cette aide « enverrait un signal négatif pour l’implication des collectivités ». Le rapport évalue le budget nécessaire au maintien du dispositif à environ 9,5 millions d’euros par an.

…et à améliorer

Les inspecteurs proposent, au-delà, de nombreux ajustements en termes d’organisation et de fonctionnement afin d’améliorer le dispositif. Plusieurs concernent la phase d’évaluation. Selon le rapport, la priorité en la matière est « d’homogénéiser des pratiques locales encore très différentes ». « Le ratio entre le nombre de jeunes évalués et le nombre de jeunes reconnus MIE peut varier du simple au double, et le délai moyen d’évaluation, aller de 2 à 17 jours parmi les départements étudiés. » Une hétérogénéité qui, note-t-il, « peut inciter certains jeunes à se présenter dans plusieurs départements pour être admis à l’aide sociale à l’enfance ».

Les inspections recommandent ainsi la mutualisation des évaluations et, pour l’organiser, propose que le préfet de région puisse jouer un rôle de concertation avec les conseils généraux de son ressort selon deux schémas d’intervention possibles :

→ la mutualisation autour d’un conseil général chef de file, volontaire pour accueillir et superviser la réalisation des entretiens d’évaluation sociale pour le compte des autres départements ;

→ ou l’appel à projet commun de plusieurs départements pour choisir un organisme évaluateur.

Elles estiment également que l’évaluation devrait être, quoi qu’il en soit, améliorée « grâce à une formation généralisée des personnels responsables des entretiens, à leur accès permanent à une ressource documentaire actualisée et à l’élaboration d’un référentiel d’évaluation plus structurant qu’une simple trame d’entretien ».

Il leur paraît encore indispensable de mieux organiser le recours à l’expertise documentaire – « dont les délais et les conditions de mobilisation sont très variables » – et de la compléter par des investigations sur l’identité, conduites dans un cadre administratif. Il s’agirait, à cet égard, de clarifier le cadre juridique dans lequel le conseil général pourrait recourir aux services de police et de gendarmerie pour réaliser de telles investigations, en comparant les empreintes des jeunes avec celles qui sont conservées dans différents fichiers relatifs aux étrangers.

Le rapport réclame également du changement autour de l’expertise médicale d’âge, actuellement pratiquée « de manière hétérogène, tant en termes de recours par les parquets que d’interprétations par les médecins ». « Ce constat amène à recommander une concertation entre les professionnels concernés en vue de dégager une doctrine d’emploi de cet examen. » En attendant, la mission juge impératif de rappeler le caractère résiduel et subsidiaire de ces expertises ainsi que de les restreindre aux cas où l’évaluation sociale et les investigations documentaires n’ont pas permis d’établir la minorité du jeune isolé étranger.

ÉVALUATION DE LA SITUATION DES MINEURS ISOLÉS ÉTRANGERS : LE DÉFENSEUR DES DROITS FORMULE DES MISES EN GARDE

Dans une décision du 29 août qui vise plus particulièrement la situation à Paris(4), le défenseur des droits pointe à nouveau les dysfonctionnements en matière d’évaluation et de prise en charge des mineurs isolés étrangers. Jacques Toubon s’est notamment arrêté sur la nature des évaluations opérées pour reconnaître un jeune comme mineur ou isolé. L’appréciation des actes d’état civil, par exemple.

Les évaluateurs ne peuvent porter d’appréciation sur la validité des actes d’état civil présentés par les jeunes étrangers isolés, rappelle la décision. Ils ne peuvent que recommander la réalisation d’une mesure d’expertise des papiers présentés. Le défenseur insiste également sur un autre point : l’absence de photo sur un acte d’état civil ne peut porter préjudice au jeune. Autre source de dysfonctionnement : l’appréciation du critère de l’isolement, sur laquelle le défenseur appelle à la plus grande vigilance. « S’il était mal interprété », ce critère « pourrait conduire à méconnaître de réelles situations de danger » pour les jeunes concernés.

Jacques Toubon évoque notamment le cas d’un jeune écarté du dispositif au motif que son frère aîné se trouvait en France et son père en Espagne, ce alors même que son isolement juridique « ne faisait guère de doute » (absence de représentant légal sur le territoire). L’instance fait aussi état de plusieurs situations dans lesquelles des jeunes ont été laissés sans prise en charge car jugés d’un âge trop proche de la majorité (17 ans). Enfin, le défenseur déplore que, parmi les situations individuelles portées à sa connaissance, de nombreuses fiches d’évaluation « contiennent des stéréotypes et assertions relevant du jugement de valeur ». Il recommande ainsi, dans la mesure du possible, dans les cas où existe un doute sur la minorité, « une double évaluation par des évaluateurs de profils professionnels différents, dont au moins un travailleur social diplômé d’Etat ». « Ces regards croisés permettront de confronter les avis sur un jeune et sur la compatibilité entre l’âge allégué et les conclusions des évaluateurs. »

O. S.

Notes

(1) Sur le dernier comité de suivi du dispositif, voir ce numéro, p. 18.

(2) Voir ASH n° 2813 du 7-06-13, p. 42.

(3) Rappelons que les deux recours en annulation devant le Conseil d’Etat déposés par 12 départements font peser un risque sur la pérennisation du dispositif.

(4) Décision MDE-2014-127 du 29 août 2014, disponible sur www.defenseurdesdroits.fr.

Côté cour

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur