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La stabilité dans la mixité

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A Lure, dans la Haute-Saône, un foyer de jeunes travailleurs a repensé son accueil pour survivre et mieux répondre aux besoins locaux. Depuis 2012, il s’ouvre à des usagers sortant de psychiatrie afin de favoriser leur réinsertion.

« Du chocolat ? » Entre les rayonnages de l’hypermarché, Bruno Toussaint se tourne vers Aurélie Valdenaire, le regard interro­gateur. « Non, pas de chocolat », tranche-t-elle gentiment avant d’observer le résident s’emparer de 2 kilos de sucre. « Il va falloir commencer à en consommer moins, Bruno, vous savez. Sinon, vous allez devenir diabétique, remarque-t-elle. Par exemple, vous pourriez commencer par passer de deux sucres à un?sucre et demi dans votre café. » Sa liste de courses en tête, l’homme de 31 ans se dirige ensuite sans difficulté vers chacun des produits qu’il a prévu d’acheter, même si l’animatrice sociale n’est jamais loin… Il est l’un des quatre patients stabilisés sortant d’hospitalisation psychiatrique hébergés actuellement au foyer de jeunes travailleurs (FJT) de Lure, dans la Haute-Saône(1), dans le cadre du projet Retour à la vie sociale (Re.Vi.S.).

DIVERSIFIER LE PUBLIC DU FOYER

« Nous sommes une région économiquement pauvre, il y a donc de moins en moins de travailleurs qui sont attirés par ici, résume Odile Mangeot, directrice du centre communal d’action sociale de Lure, qui gère le FJT depuis les années 1990. Mais nous pensions qu’il pouvait être intéressant d’y maintenir cette structure de 85 lits tout en diversifiant le public accueilli. » Le foyer avait déjà négocié avec la caisse d’allocations familiales de pouvoir accueillir des résidents âgés de plus de 26 ans sans perdre le financement dont il bénéficie : 17 lits sont ainsi réservés aux plus de 30 ans allocataires de minima sociaux, travailleurs en déplacement ou personnes en situation de rupture familiale, et 7 lits sont destinés à de l’hébergement d’urgence. Puis, en 2012, une convention de partenariat a été signée avec l’association hospitalière de Franche-Comté (AHFC) – qui gère plusieurs structures de soins de santé mentale – et avec l’établissement et service d’aide par le travail (ESAT) de l’Association d’hygiène sociale de Franche-Comté (AHS-FC), pour accueillir cinq patients présentant une pathologie psychique et bénéficiant d’une orientation en ESAT, en atelier thérapeutique ou en hôpital de jour.

Si Marie-France Costantini, la directrice du FJT, envisage aussi de répondre à des appels à projet à l’intention de réfugiés ou de sortants de prison, elle tient à préciser qu’il ne s’agit pas de se diversifier « pour faire du remplissage ». « Nous tentons avant tout de nous mettre en adéquation avec les besoins locaux », affirme-t-elle. L’établissement avait proposé dès 2009 de devenir maison-relais dans le cadre du plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD), qui faisait état d’un manque de dispositifs adaptés aux personnes ayant des problèmes psychiques. « L’Association hospitalière de Franche-Comté faisait ressortir qu’une vingtaine de patients à même de travailler en atelier thérapeutique ou bénéficiant d’une orientation en ESAT étaient regroupés dans des unités dédiées à la réinsertion, voire dans des unités de malades chroniques, faute de solutions d’hébergement, se souvient Luc Thiery, psychiatre au centre hospitalier de Saint-Rémy. Il y a bien une maison-relais de l’UDAF [Union départementale des Associations familiales] à Vesoul, mais elle prend de moins en moins de patients psychotiques… » Ce projet de maison-relais ayant malheureusement été rejeté, la direction a poursuivi ses recherches de financement. « Nous avons répondu à un appel à projet “maladies psychiques et vie sociale” de la Fondation de France, explique la directrice, ce qui nous a permis d’obtenir de quoi financer une deuxième animatrice sociale à temps partiel pour dix-huit mois. »(2)

Désormais, l’équipe du foyer est donc constituée, outre sa directrice, d’un agent d’accueil, de 2 agents d’entretien, de 3 gardiens et de deux animatrices sociales : Emily Ballay, qui possède une formation initiale de CESF, et Aurélie Valdenaire, éducatrice spécialisée qui a suivi ensuite une formation d’aide médico-psychologique. Toutes deux proposent un accompagnement à la vie quotidienne et des activités de jour ouvertes à tous les résidents, même si les actifs peuvent difficilement les rejoindre en pleine journée. « Nous voulons favoriser la mixité au maximum, précise Aurélie Valdenaire, c’est pourquoi je ne suis pas l’animatrice des résidents psy. Ils viennent à toutes les activités d’animation que nous organisons l’une ou l’autre et, si nous sommes disponibles toutes les deux, je peux me consacrer davantage à eux. »

UNE ADMISSION EN LIEN AVEC L’ÉQUIPE HOSPITALIÈRE

Cet après-midi, par exemple, Aurélie Valdenaire a ainsi prévu d’emmener les résidents disponibles sur l’atelier jardinage. Damien Bravo, 25 ans, accueilli chaque matin en hôpital de jour, et Bruno Toussaint, qui sort tout juste d’une hospitalisation, sont présents, accompagnés d’un troisième résident. « Pour l’instant, c’est surtout une activité bien-être, souligne l’animatrice, comme beaucoup de nos activités. Il s’agit de sortir du foyer, d’avoir un objectif collectif, d’évoquer aussi l’importance de l’alimentation. » Ramassage des doryphores, arrosage, semis et désherbage peuvent être réalisés par les résidents. « Mais leur capacité de concentration est encore limitée dans le temps », note l’animatrice. Quant à la récolte, si elle est suffisamment abondante, elle permettra d’alimenter l’un des trois repas intergénérationnels annuels organisés avec le logement-foyer pour personnes âgées de la ville.

« L’admission dans le programme Re.Vi.S se fait sur proposition du médecin psychiatre hospitalier, qui nous fait parvenir une présentation brève de la situation du patient et de son projet professionnel de sortie », détaille Marie-France Costantini. Une réunion de préadmission est ensuite organisée dans les locaux de l’hôpital avec les animatrices sociales, l’équipe hospitalière (psychiatre, infirmière, assistante de service social) ainsi que celle de l’ESAT (si le patient y est orienté), l’usager et son tuteur. « Nous lui présentons l’établissement et il nous présente son projet », poursuit la directrice. « Comme il n’est pas facile pour des professionnels du secteur social d’être admis dans l’univers psy, nous déplacer à l’hôpital nous permet d’être mieux intégrés dans le projet et de mieux nous connaître les uns les autres », remarque Aurélie Valdenaire. Si toutes les parties s’accordent, une période d’essai de un mois renouvelable est proposée, durant laquelle le patient s’installe progressivement au FJT. « Par exemple, un de nos résidents a commencé en alternant quatre jours au foyer puis trois au pavillon de réhabilitation sociale, raconte Marie-France Costantini. Cela lui a permis de faire un bilan infirmier et d’évaluer ses compétences et son autonomie. Mais la période d’essai est aménagée à la carte en fonction des résidents. »

PROPOSER AUX RÉSIDENTS DES ACTIVITÉS COLLECTIVES

Chaque résident dispose évidemment d’un projet personnalisé, élaboré avec ses référents sociaux et les soignants, qui précise sa situation médicale, son degré d’autonomie dans les actes de la vie quotidienne et ses objectifs : passer un brevet de secouriste ou un permis de conduire, augmenter le temps partagé avec ses enfants, trouver un médecin traitant, mettre à jour ses vaccinations… Tous les six mois, une synthèse est réalisée avec l’ensemble de l’équipe et de nouveaux objectifs sont fixés. « Mon but, c’est d’aller mieux et de partir vivre en appartement, explique pour sa part Damien, dans la petite chambre sobre qu’il occupe depuis un an au premier étage du FJT. J’aimerais travailler en espaces verts, car j’ai un CAP d’agent d’entretien et j’ai déjà eu deux contrats d’insertion de six mois dans ce domaine. » Patrice Dore, 53 ans, lui, travaille à l’ESAT de Villersexel : « Avant de vivre ici, j’étais seul, renfermé, je ne me mêlais pas aux gens. Je souhaite participer aux activités, aller vers les autres dans les activités du foyer, et voilà. »

Outre le jardinage, d’autres ateliers sont proposés l’après-midi : une activité carton, pour réaliser du petit mobilier de rangement ou de décoration tout en travaillant la dextérité, la collaboration et l’imagination ; et une animation socio-esthétique, afin de travailler la confiance en soi. Ponctuellement, des activités de rédaction de curriculum vitæ et de lettres de motivation ou d’initiation à l’informatique sont mises en place. « Nous pouvons aussi faire venir des intervenants extérieurs qui font le point sur les formations accessibles », poursuit Emily Ballay. Enfin, le jeudi, un atelier cuisine permet de préparer un repas collectif qui aidera à passer ensemble la soirée, un moment parfois difficile pour les malades psychiques.

Ce jeudi, il s’agit de préparer un barbecue de fin d’année : l’un des travailleurs portugais du foyer se charge de préparer des pasteis de nata et des beignets pour toute la maisonnée, pendant que deux autres résidents préparent le feu à l’extérieur du bâtiment. En cuisine, Bruno, Damien et Patrice épluchent des pommes de terre et déballent des bâtonnets de surimi pour la confection de salades. Tous les résidents présents ont été conviés. « Si nous avions les moyens, nous aimerions pouvoir faire participer davantage nos résidents à la vie extérieure, complète Aurélie Valdenaire. Par exemple, participer à des vide-greniers ou des sorties loisirs avec d’autres publics. Nous aimerions aussi monter une association avec nos résidents afin de participer à l’organisation de manifestations tout public telles que des lotos, des kermesses, etc. »

Pour l’ouverture de droits et les différentes démarches administratives, les animatrices travaillent également en lien avec Apolline Hantzberg, l’assistante de service social hospitalière du centre de psychiatrie général d’Héricourt, ainsi qu’avec les curateurs présents. « Nous travaillons en lien permanent, et en fonction de notre disponibilité, résume Emily Ballay. Mais il est vrai que quand il y a un curateur, c’est plus pratique car tout est cadré au niveau des dépenses… » Certaines démarches initiées par Apolline Hantzberg seront menées à terme par elle. « Mais s’il faut récupérer une pièce auprès du résident, les animatrices s’en chargent facilement, remarque l’assistante sociale. Moi, je m’occupe de récupérer les certificats médicaux et, parfois, elles terminent le travail que j’ai commencé. » Il est vrai que seuls quatre patients sont actuellement concernés. La travailleuse sociale souligne en outre l’apport des animatrices concernant le projet professionnel : « Nous nous complétons et pouvons vraiment proposer un accompagnement spécifique et global. Elles ont un réseau très intéressant sur la ville pour trouver des terrains de stage. »

En individuel, les animatrices peuvent accompagner les résidents à divers rendez-vous, travailler avec eux sur la gestion de leur budget, sur l’équilibre alimentaire, le bien-être et la santé, etc. « Bruno a ainsi décidé de voir une tabacologue, car il est très angoissé par son addiction au tabac, explique Emily Ballay. Il m’a demandé de l’accompagner à son rendez-vous. » Mais, la plupart du temps, les rendez-vous de type médical exigent plutôt la présence de l’infirmière spécialisée du centre hospitalier de Saint-Rémy. « Les résidents qui ont une pathologie psychique exigent énormément d’attention et d’explication, rappelle Aurélie Valdenaire. Alors il vaut mieux que l’infirmière du service psychiatrique soit présente. »

La convention signée entre les trois partenaires stipule qu’une réhospitalisation est possible à tout moment si l’état de santé du résident l’exige, ou qu’un rééquilibrage de son traitement est nécessaire. « Cela s’est produit récemment avec un de nos résidents qui présentait un problème d’addiction, ce qui dépasse nos compétences, se souvient Marie-France Costantini. Un autre a voulu retourner vivre auprès de sa mère et un troisième avait quitté trop tôt l’hôpital, il a été réadmis en pavillon de réhabilitation sociale car il n’était pas suffisamment autonome. » Si l’établissement dispose d’une femme de ménage et que les draps sont changés tous les quinze jours, chacun est néanmoins chargé de passer le balai dans sa chambre, de se faire le plus souvent à manger et de s’occuper de sa propre lessive. « Nous vérifions les chambres, car avec les résidents psy il y a plus de soucis de ce côté-là, note Marie-France Costantini. Parfois, nous avons pu mettre en place une heure d’aide ménagère, histoire qu’elle leur montre un peu comment faire. »

LE SOUTIEN DES SOIGNANTS EN CAS D’URGENCE

Pas facile, néanmoins, d’accueillir des personnes en souffrance psychique dans un FJT. « Nous ne sommes pas seuls. Au moindre souci, on peut appeler et on a une réponse quasiment immédiate, précise Emily Ballay. Que ce soit une interrogation par rapport à la pathologie ou le constat d’un comportement à risque. » En effet, le centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) et l’hôpital de jour, gérés par l’AHFC, se trouvent à quelques centaines de mètres du foyer. Il est convenu qu’un membre de l’équipe soignante se déplace pour rencontrer un résident à sa demande ou en cas d’urgence. Ainsi, lorsqu’un des résidents est rentré alcoolisé, l’animatrice a pu immédiatement contacter l’infirmière spécialisée. « Catherine est venue aussitôt pour s’assurer qu’il ne risquait pas de se blesser ou de tomber dans le coma », se souvient-elle.

Le lien avec l’ESAT AHS-FC de Viller­sexel est tout aussi essentiel, même si un seul des résidents du foyer y est actuellement employé : « S’il n’avait pas eu cet étayage global, il y a longtemps que ce résident ne pourrait plus travailler chez nous », reconnaît Sébastien Dumond, le directeur de l’ESAT, qui connaît bien l’équipe hospitalière dans la mesure où elle suit déjà plusieurs de ses salariés. « Avec le FJT, nous sommes encore en train de construire le lien, mais le relais avec le lieu de vie peut être important pour réagir plus vite en cas de souci, d’absence inexpliquée, de changement de comportement inopiné », remarque Pascale Ragot, éducatrice spécialisée à l’ESAT.

Chaque mois, deux à quatre réunions sont organisées entre les partenaires. Elles permettent de suivre au plus près l’évolution des résidents et de coordonner les actions et emplois du temps. « Quand un patient n’est pas là, on sait que c’est parce qu’il est en rendez-vous en stage extérieur, remarque Catherine Villemenot, l’infirmière spécialisée du centre hospitalier Saint-Rémy. Et quand on relève une difficulté, par exemple sur le plan de l’hygiène personnelle, on s’arrange pour travailler ce point, à la fois en individuel au foyer et en hôpital de jour. »

Deux ans après sa signature, la convention tripartite vient d’être renouvelée, portant le nombre d’accueils possibles à huit. « Au départ, nous voulions commencer doucement, afin de ne pas être considérés comme l’annexe de Saint-Rémy », explique Marie-France Costantini. Au demeurant, l’intégration des patients au sein du FJT se déroule parfaitement. « Il n’y a vraiment aucun problème entre les différentes typologies de résidents, au contraire, ajoute Emily Ballay. Ceux qui le peuvent s’occupent des plus fragiles. Ils nous sollicitent s’ils voient que leur voisin a besoin d’écoute ou d’aide. » Autre changement : l’âge maximal des résidents a été relevé à 60 ans. Au total, depuis la signature de la première convention, six patients ont été accueillis, sans limite de durée de séjour. L’un a intégré une annexe du FJT située en centre-ville, où son autonomie est plus grande. « Je vois ces patients revivre, constate le docteur Luc Thiery. Quand on sait combien il leur est difficile d’avoir confiance en eux et de reprendre confiance dans l’autre, c’est fantastique ! » Deux autres candidats présentés en réunion d’équipe devraient rejoindre le FJT sous peu. La direction du foyer, elle, poursuit activement ses recherches de financement. Condition sine qua non pour maintenir cet accueil et, peut-être, profiter des compétences d’Aurélie Valdenaire à temps plein.

Notes

(1) FJT de Lure : rue du Bourdieu – 70200 Lure – Tél. 03 84 30 09 22 – fjt.lure@wanadoo.fr.

(2) Le budget du FJT provient (pour près de 40 %) du tarif des chambres réglé par les résidents, APL incluse, mais aussi des prestations de la caisse d’allocations familiales, des subventions du conseil général (pour 30 %), de la municipalité et de l’Etat.

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