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Participation des usagers : une mobilisation très inégale

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En traçant le cap d’une participation des usagers au fonctionnement des institutions sociales et médico-sociales, la loi 2002-2 met au défi les professionnels d’inventer des pratiques plus démocratiques. Toutefois, malgré l’engagement d’une minorité d’institutions, toutes les enquêtes montrent que les relations usagers-professionnels peinent à évoluer. L’usager-citoyen reste encore dans les limbes.

En 2005, l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) dressait un premier bilan de l’application des droits des usagers dans les institutions socia­les et médico-sociales définis par la loi 2002-2(1). Celui-ci montrait que la loi promue trois ans plus tôt était à peine plus incitative que la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales sur les formes de participation. Près de 40 % des structures n’avaient toujours pas installé de conseil de la vie sociale. En outre, si 93,5 % des directions qui s’étaient conformées aux nouvelles dispositions légales affirmaient avoir associé, peu ou prou, leurs personnels à l’élaboration des outils, elles n’étaient plus que 7 % à mentionner l’implication des usagers. « Ce résultat montre clairement que nous ne sommes pas encore dans l’affirmation la plus large de l’expression directe des personnes accueillies », faisait remarquer l’Uniopss.

Malgré la piqûre de rappel de la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », les signaux n’ont cessé de montrer des grincements dans l’organisation d’une dynamique participative. Une étude menée en 2012 par la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) Bourgogne sur la participation des usagers dans les structures de la lutte contre les exclusions de la région (voir encadré, page 25) faisait même état d’un essoufflement. Sur 54 institutions ayant répondu à un questionnaire, 45 % seulement avaient installé un conseil de la vie sociale et un quart s’en étaient servies pour mettre en débat leur projet, alors que les textes imposent à tous cette consultation(2). « Si les outils de la loi 2002-2 concer­nant la participation de l’usager à la construction de son projet personnel sont aujourd’hui quasiment en place dans toutes les structures [notamment, document individuel de prise en charge, contrat de séjour], la question de la participation en tant que processus d’implication des usagers dans le fonctionnement de l’établissement reste complexe », concluait la FNARS Bourgogne.

UN OBJECTIF LOINTAIN

L’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), dans une étude parue le 4 septembre dernier(3), apporte un nouvel éclairage. Après avoir enquêté auprès de 33 établissements sociaux et médico-sociaux (dont la moitié avait été sélectionnés pour leurs bonnes pratiques participatives), l’agence observe que, « de l’avis très large des directions rencontrées, les instances de participation sont créées pour prendre un avis, écouter la parole, mais ne sont pas des espaces de coélaboration ». Dépasser ce rôle de « bureau des doléances » qui colle à la participation pour aller vers la construction d’« un espace de citoyenneté » semble donc encore un objectif lointain pour une majorité des acteurs.

C’est la question de la difficile évolution du rapport entre professionnels et usagers qui est posée. En témoigne l’étonnement de Madeleine Pellois-Renaudat, responsable d’un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) du Var, après les résultats d’une enquête de satisfaction conduite en 2008(4). Chaque personne accompagnée s’était vu remettre un questionnaire anonyme lui demandant son sentiment sur les prestations dont elle bénéficiait. Résultat : un taux de satisfaction dépassant 90 % sur toutes les actions mises en place par le service, y compris l’accueil physique « alors que la grande majorité des usagers ne s’était jamais déplacé dans les locaux ». Satisfecit également sur les relations avec les travailleurs sociaux, quand, dans le même temps, les usagers exprimaient « des sentiments de solitude et de souffrance » et réclamaient plus de soutien. « Entre sentiment d’isolement exprimé et taux de satisfaction déclaré, quelle pouvait être la dépendance des personnes fragilisées par le handicap dans leurs liens et relations avec les travailleurs sociaux ? », se demandait la responsable du service. Et d’évoquer un accompagnement socio-éducatif qui, « loin de s’inscrire dans la codécision, maintenait l’usager en position d’homme fragile et dépendant ». Si le SAVS varois s’est engagé, à la suite de cette enquête, dans un programme de recueil de l’expression de ses usagers et de sensibilisation de ses professionnels, combien d’institutions ont les moyens, voire l’envie, de dépasser les scores dithyrambiques des enquêtes de satisfaction ?

Ali Boukelal, sociologue et formateur-consultant, n’hésite pas à évoquer l’existence d’une « langue de bois du secteur » : « Le discours du terrain pourrait nous renvoyer au sentiment que la participation fonctionne, mais nous sommes souvent dans le déclaratoire. Les pratiques dépassent rarement le stade de la conformité à la loi. Le problème de la légitimation de la parole des usagers reste entier, l’étayage peu efficace, les outils alternatifs à la communication verbale, quand ils existent, ne sont pas toujours efficients. » Quant au lien entre outils participatifs et citoyenneté des usagers, il demeure au mieux théorique pour la plupart des institutions. « Alors que la loi 2002-2 fait de l’exercice de la citoyenneté une des finalités de l’action sociale et médico-sociale, c’est-à-dire en se référant à une citoyenneté en devenir, beaucoup de professionnels considèrent que la citoyenneté, celle de monsieur tout le monde, est inatteignable en raison du statut des personnes dont ils s’occupent, et que la priorité est dans la qualité des accompagnements, la démarche “qualité” ou les évaluations. » Conséquence : alors que les instances participatives pourraient permettre de promouvoir la place des personnes laissées sur la touche de la société par leur statut, leur handicap, leur fragilité sociale ou psychique, elles contribuent trop souvent à assigner les usagers à une parole sans portée réelle.

MANQUE DE VOLONTARISME ?

Les établissements reproduiraient-ils à leur manière le manque de volontarisme affiché dans la Cité, comme en attestent les difficultés persistantes sur l’accessibilité des bâtiments publics ou l’intégration scolaire des enfants en situation de handicap ? Jenny Antoine, responsable du centre d’activités ingénierie et recherche de l’Institut de formation Saint-Simon, à Toulouse, n’est pas loin de le penser, se demandant si « la répétition du mot d’ordre de la participation n’aurait pas sur les professionnels un effet hypnotique qui amène à croire que, puisque la chose est nommée, elle existe ». Sauf que, en déplaçant le regard du côté des usagers membres d’un conseil de la vie sociale, la réalité est tout autre. Beaucoup d’entre eux, comme l’a constaté Jenny Antoine dans des entretiens en vis-à-vis, disent ne pas participer vraiment au processus de décision, simplement parce que les éléments qu’on leur soumet en réunion ont déjà été préparés en amont par la direction. « Faute d’un travail de pédagogie préalable, comment se prononcer, par exemple, sur un changement dans l’ordonnance des tables du restaurant qui vient tout à coup à l’ordre du jour ? Si on ne laisse pas à des personnes vulnérables le temps de réfléchir à une question, elles n’auront jamais d’avis. Si bien que ce qui est décidé est souvent vécu comme une manipulation. » Résultat ? Le rapport de confiance qui devrait se développer dans cette enceinte est cassé et plus d’un participant se retient de parler. Pour Jenny Antoine, au vu des contraintes des professionnels et des fragilités des publics accueillis, il serait vain de croire que la participation peut exister de manière spontanée. « Il faut créer les conditions de la démarche. Le pouvoir est toujours du côté des professionnels et les usagers le savent. Mais ça n’interdit pas un travail de coélaboration, dans lequel le rôle et les limites de chacun sont fixés clairement. » Une telle démarche suppose d’élargir la relation usagers-professionnels au-delà du traditionnel jeu de questions-réponses, d’offrir aux personnes des opportunités pour qu’elles trouvent peu à peu leur place et de prendre le temps d’élaborer avec elles. « Quand les professionnels font ce travail de coélaboration au rythme de l’usager, celui-ci parle au nom du collectif et du bien-vivre ensemble. Il défend donc autant ses intérêts que ceux des professionnels. »

Reste la difficulté de l’exercice. Lorsque l’APIM (Accompagner, partager, innover dans le médico social), une association du Tarn-et-Garonne accompagnant 400 personnes handicapées ou âgées, a décidé en 2012 de faire de la promotion de la citoyenneté des personnes fragilisées un de ses axes stratégiques, c’est l’ensemble de son fonctionnement qui a dû être remis à plat. « Nous avons veillé à ce que, au-delà du caractère déclaratoire de cette ambition, le travail sur la citoyenneté corresponde réellement à des leviers d’action parfaitement intégrés aux logiques et aux pratiques professionnelles », explique Anne-Sophie Hervé, directrice générale de l’APIM. Accompagnant une refonte du projet associatif, un décryptage de toutes les situations qui interrogent les droits des personnes a été conduit avec les professionnels – accès à la culture, droit de vote, droit à une vie affective dans un collectif, contradiction entre protection de la personne et respect de sa liberté, impossibilité de s’exprimer –, chacune faisant l’objet d’un recensement des bonnes pratiques et d’une action de formation spécifique. Des groupes d’analyse de la pratique permettent également aux équipes de consolider les démarches participatives, notamment à destination des résidents qui ne peuvent manifester leur volonté. Enfin, en plus des conseils de la vie sociale des différents établissements qui accueillent déjà les représentants légaux ou les familles, l’APIM a installé en 2012 un collège des familles au sein du conseil d’administration. « Cette ouverture fait peur, car il y a la crainte chez les professionnels de se sentir jugés. Donc il a fallu travailler sur la notion d’un contre-pouvoir exercé par les familles. C’est un apprentissage qui bouscule beaucoup de représentations », assure Anne-Sophie Hervé. Et de mettre en garde : sans volonté politique ferme de trouver « des prolongements opérationnels » à des notions aussi théoriques que la citoyenneté des personnes fragilisées et leur participation réelle, rien n’est possible.

Même constat du côté de l’Adapei 44 (Association départementale des parents et amis de personnes handicapées mentales de Loire-Atlantique), où les délégués de ses 11 ESAT (établissements et services d’aide par le travail) spécialisés dans le handicap mental siègent au comité d’entreprise dans le cadre d’une commission spécifique. Ces élus des travailleurs handicapés relaient à chaque réunion mensuelle du comité d’entreprise les avis de leurs collègues d’atelier sur les conditions de travail ou les projets de l’association. Une fois par an, la commission se réunit au grand complet en présence des représentants de la direction pour faire le point sur les demandes et les réponses. « Ce qui remonte par le biais du comité d’entreprise, c’est la vie quotidienne des personnes avec le moins de filtrage possible. Dès lors, l’un des risques dans cette expression serait qu’elle se trouve confisquée par la projection des désirs des professionnels. C’est pourquoi il faut que la volonté d’écoute soit dans les gènes de l’association et que cette auto-représentation des personnes handicapées soit soutenue par les instances représentatives du personnel autant que par la direction de l’association », insiste Marc Marhadour, directeur général de l’Adapei 44.

Autre exemple de concertation, l’ESAT de l’association vendéenne ARIA 85 (Association pour la réadaptation et l’intégration par l’accompagnement) organise depuis une vingtaine d’années des groupes de parole à destination de ses 90 travailleurs en situation de handicap psychique. Composés chacun de sept ou huit ouvriers et d’un encadrant, ces groupes – placés sous la supervision d’un médecin psychiatre – sont l’occasion d’ouvrir, tous les deux mois, une conversation libre sur les mille et un aspects de la vie institutionnelle : relations entre collègues ou avec l’encadrement, évolution du travail, mais également difficultés plus personnelles ou simples réactions à l’actualité du moment. Des espaces si privilégiés que c’est sur eux, et non sur le conseil de vie sociale, que l’ESAT s’est appuyé pour refonder son projet institutionnel. « Le psychiatre a demandé à tous les groupes ce qu’ils attendaient de l’établissement. Nous les avons écoutés se prononcer sur leur vision du futur ESAT, puis nous avons intégré leurs demandes dans un plan d’action. Et c’est seulement après un dernier retour auprès des salariés que le nouveau projet d’établissement a été présenté au conseil d’administration », témoigne le directeur, Guy-Noël Monnier.

UNE INTELLIGENCE COLLECTIVE À CONSTRUIRE

Comment expliquer que de tels exemples aboutis de concertation et de coopération usagers-professionnels, même s’ils peuvent apparaître complexes à mettre en œuvre, ne fassent pas plus école ? Roland Janvier, directeur général de la Fondation Massé-Trévidy et coauteur d’un ouvrage sur la participation appelant à une institution démocratique et citoyenne, régulièrement réactualisé depuis 1999(5), évoque une « lutte des places » entre usagers et professionnels, à l’origine du gel de la situation sur le terrain. « Imaginer une participation réelle des usagers dans les établissements et services, c’est aussi une façon de repenser un vivre-ensemble différent. Mais cette perspective politique de refondation des rapports sociaux au sein des institutions reste encore très largement sous contrôle des professionnels. Il subsiste chez eux cette idée qu’il y aurait quelque chose à perdre d’une reconnaissance de l’expertise et de la citoyenneté des usagers. Force est de reconnaître qu’on n’a pas encore réussi à ouvrir l’intelligence collective qui pourrait naître d’un croisement des regards. »

Dominique Cam, administrateur de la FNARS Bretagne et directeur du centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de Morlaix (Finistère), pointe néanmoins les difficultés objectives des professionnels. Dans son établissement d’une trentaine de places, qui a inscrit la participation dans les fiches de postes des éducateurs et pousse certains résidents à s’impliquer dans les travaux du conseil consultatif régional des personnes accueillies (CCRPA)(6), « la démarche partici­pative n’est pas anodine, puisque ce sont du temps de travail des éducateurs et de l’encadrement qui sont investis ». Pas certain non plus qu’une telle implication soit toujours aussi facile pour une grosse structure. Le bagage des professionnels est, lui aussi, en question. Intervenant dans différentes écoles du travail social de Bretagne, Dominique Cam s’est résolu à transformer un module d’enseignement théorique sur la participation à destination d’élèves aides médico-psychologiques en une rencontre d’une demi-journée avec les usagers de son CHRS. « On leur présente le CCRPA, la démarche participative et ce qu’en retirent les personnes pour leur parcours, justement parce qu’on est conscient que cette dimension de vécu manque cruellement dans la formation des travailleurs sociaux. »

Une graduation des niveaux de participation

L’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) distingue quatre niveaux de participation :

• L’expression et la communication. Il s’agit de permettre à une personne de s’affirmer par la prise de parole, sans préjuger de la portée de cette action sur son environnement.

• La consultation. Celle-ci a pour objet de faire se prononcer des personnes sur un dispositif, donc d’obtenir de leur part des éléments avant d’effectuer des choix, la décision prise n’étant toutefois pas obligatoirement liée aux points de vue émis.

• La concertation. Elle consiste à associer des personnes dans la recherche de solutions communes.

• La codécision. Etape la plus aboutie de la participation, elle vise le partage de la décision entre les intervenants. Le codécision implique la négociation pour parvenir à une résolution commune.

Toutefois, l’ANESM met en garde contre toute injonction à la participation qui reviendrait à imposer « une nouvelle norme » aux usagers. « Autrement dit, mettre en place des conditions acceptables d’expression et de participation relève des “bonnes pratiques” professionnelles, mais la participation elle-même ne saurait en aucun cas relever d’une “bonne pratique” exigible de l’usager. »

Recommandation de bonnes pratiques : « Expression et participation des usagers dans les établissements relevant du secteur de l’inclusion sociale » – ANESM – Avril 2008 – www.anesm.sante.gouv.fr, rubrique « Recommandations ».
Notes

(1) Voir ASH n° 2404 du 22-04-05, p. 31.

(2) « Les instances de participation […] sont obligatoirement consultées sur l’élaboration et la modification du règlement de fonctionnement et du projet d’établissement ou de service » (code de l’action sociale et des familles, art. D. 311-26).

(3) Voir ASH n° 2874 du 12-09-14, p. 5.

(4) Elle relate son expérience dans « Pratiques professionnelles au service de personnes en situation de handicap » – Forum n° 138 – Mars 2013.

(5) Comprendre la participation des usagers – Roland Janvier, Yves Matho – Ed. Dunod, 2011 – Voir ASH n° 2715 du 24-06-11, p. 32.

(6) Porté par la Fondation de l’Armée du Salut, la FNARS et l’Uniopss, le CCPA (Conseil consultatif des personnes accompagnées) représente la première instance nationale consultative sur l’hébergement et le logement associant des usagers et se décline en conseils régionaux (CCRPA) composés de personnes accompagnées et de travailleurs sociaux qui se réunissent quatre fois par an pour réfléchir sur des thèmes tels que l’emploi, l’accès au logement…

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