« Le 22 juillet dernier, à l’occasion d’une réunion du comité de pilotage des “états généraux du travail social”, Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, a installé des groupes de travail thématiques(1). Cette initiative, annoncée début 2013 avec enthousiasme par le président de la République, dans la poursuite du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, a déjà fait l’objet de deux reports. Ces “états généraux” visant à “refonder le travail social” devraient avoir lieu en janvier 2015. Le travail social n’avait plus fait l’objet d’un traitement depuis plus de trente ans. Cependant, comment interpréter ces différents reports liés en partie à la difficulté de faire participer les acteurs de terrain lors des assises interrégionales qui se terminent cet été ?
En effet, plusieurs réunions préparatoires ont été annulées comme celle du 27 juin dernier prévue à Marseille, pour l’assise “Grand Sud”, en raison d’une manifestation syndicale(2). Dans d’autres régions, les réunions ont eu lieu ; cependant, à de nombreuses reprises, les participants ont déploré la sur-présence des cadres et l’absence des professionnels de terrain. A un niveau local, j’ai pu constater que l’initiative n’a pas suscité véritablement d’engouement sur le terrain. Certains cadres m’ont signalé qu’ils ont eu “vent” du questionnaire diffusé pour les acteurs de terrains. Quant aux travailleurs sociaux, pour certains d’entre eux, ils ont eu accès à ce formulaire, mais pour la plupart, ils n’ont même pas connaissance de la tenue prochaine de ces “états généraux”.
Certaines associations de professionnels déplorent la méthodologie et les finalités de la démarche(3). En effet, on ne peut que constater le décalage entre la mise en place de ces “états généraux” et le malaise grandissant sur le terrain. La transformation du travail social en intervention sociale suscite des tensions des deux côtés du guichet. La montée de la précarité économique chez les usagers ajoutée à l’évaluation des pratiques, la bio-informatisation des données individuelles accentuent les logiques de “tri social” entre bons et mauvais pauvres. De nouvelles techniques managériales liées à l’économie comportementale se diffusent sur le terrain telles que la “nudge theory”(4). De nombreux professionnels craignent la refonte des diplômes du travail social tendant notamment à l’homogénéisation des professions de l’action sociale(5). De plus, ces dernières années les tensions identitaires vécues par les individus en situation de marginalité avancée se retrouvent répercutées en retour sur les professionnels. Ces “états généraux” ont été lancés en amont de la réforme budgétaire et de celle relative aux collectivités territoriales avec la disparition à l’horizon 2020 des conseils généraux(6) – ce qui a entraîné le retrait de l’Assemblée des départements de France de la coprésidence de la démarche. Quelles seront les conséquences de ce “big-bang” en matière d’action sociale territoriale ? Comment également espérer l’amélioration des conditions de travail des professionnels du secteur à l’heure où le gouvernement a pour objectif de réduire le déficit public à 3 % du PIB en 2015 ?
Le travail social, tout comme la culture, est un secteur peu à la mode, une variable d’ajustement pour l’Etat social. Le financement de ses services est de plus en plus délaissé aux “bonnes œuvres” des fondations et autres entreprises privées. La redéfinition du travail social passe par un questionnement des logiques économiques, identitaires, sécuritaires étroitement liées à ce secteur d’activité. Un plan d’action pour refonder le travail social ne peut pas être concevable sans la participation effective des travailleurs sociaux eux-mêmes. Cependant, à l’heure où des secteurs entiers du travail social sont confrontés à de multiples réformes et restrictions budgétaires, il y a lieu de craindre que ces “états généraux” ne soient qu’une énième réunion de concertation au plan national éloignée des préoccupations effectives, quotidiennes des professionnels de terrain et des bénéficiaires des services. »
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(3) On lira à ce sujet les tribunes de Jean-Marie Vauchez, président de l’ONES, ASH n° 2866 du 27-06-14, p. 40, et de l’ANAS, ASH n° 2849 du 28-02-14, p. 34.
(4) Théorie du « coup de pouce » qui défend l’idée qu’en agissant sur les comportements des gens – influencés inconsciemment par leurs réflexes innés –, on peut les inciter à prendre les « bonnes décisions ».
(5) Comme l’ANAS (voir ASH n° 2869-2870 du 18-07-14, p. 16), l’ONES (voir ASH n° 2852 du 21-03-14, p. 13) et le collectif Avenir éducs (voir ASH n° 2856 du 18-04-14, p. 18).