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Droit d’asile : en attendant la réforme, le Conseil d’Etat réécrit la procédure d’asile en rétention

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Dans un arrêt du 30 juillet dernier, le Conseil d’Etat a annulé la note du 5 décembre 2013 du ministre de l’Intérieur dans laquelle ce dernier indiquait aux préfets la marche à suivre en cas de demande d’asile en rétention(1) – modus operandi transitoire en attendant la future loi réformant le droit d’asile(2). Les Hauts Magistrats administratifs reprochent en particulier au pensionnaire de la Place Beauvau d’avoir confié à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) la détermination du placement en procédure prioritaire de ce type de demande. Au passage, ils émettent également une réserve d’interprétation à propos du délai de cinq jours imposé par la loi pour déposer une demande d’asile en rétention.

Ce que disait la note attaquée

Le mode opératoire décliné dans la note du ministère – attaquée par la Cimade – était le suivant. Point de départ de la procédure : un étranger placé en rétention en vue de son éloignement et désireux de déposer une demande d’asile (ce qu’il ne peut faire, aux yeux de la loi, que dans les cinq jours suivant la notification de son droit de réclamer une protection internationale). Confronté à ce cas de figure, le chef du centre de rétention – ou, le cas échéant, le responsable du local de rétention – devait, selon la note, systématiquement et immédiatement en informer – et non saisir – le préfet à l’origine de la mesure de placement en rétention. Une fois la demande d’asile transmise dans les conditions habituelles à l’OFPRA, ce dernier devait statuer dans un délai de 96 heures (délai prévu par la loi en cas de procédure prioritaire déclenchée en rétention).

Rappelons en effet que, dans des cas limitativement prévus par la loi – et notamment lorsque la demande d’asile est abusive ou a pour seul but de faire échec à une mesure d’éloignement –, une procédure accélérée d’examen de la demande d’asile – dite prioritaire – est mise en œuvre. L’OFPRA statue en principe sur la demande dans les 15 jours de sa transmission par la préfecture mais ce délai est ramené à 96 heures si le demandeur est placé en rétention administrative.

Trois situations pouvaient alors se présenter selon le ministère :

→ soit le directeur général de l’OFPRA faisait droit à la demande d’asile et accordait le bénéfice d’une protection (statut de réfugié ou protection subsidiaire), avec en conséquence la fin de la rétention et une invitation de l’intéressé à se rendre en préfecture pour y accomplir les formalités en vue de la délivrance d’un titre de séjour ;

→ soit il rejetait la demande d’asile (la mesure d’éloignement pouvant alors être exécutée, sauf recours devant le tribunal administratif) ;

→ soit il signalait au préfet la demande d’asile en indiquant qu’elle ne paraît pas manifestement infondée et qu’elle nécessite, de ce fait, un examen plus approfondi. En conséquence de quoi le préfet devait mettre fin à la rétention et pouvait délivrer un sauf-conduit pour permettre à l’intéressé d’accomplir les formalités qui lui incombent en tant que demandeur d’asile, sa requête étant alors instruite selon ses caractéristiques en procédure normale ou prioritaire.

Autrement dit, le problème était le suivant : avec sa note du 5 décembre 2013, le ministère de l’Intérieur prévoyait que les étrangers placés en rétention en vue de leur éloignement et présentant une demande d’asile postérieurement à leur placement étaient maintenus en rétention et automatiquement placés en procédure prioritaire sans que le préfet ait préalablement pu porter une quelconque appréciation sur leur situation individuelle. Et ce n’était qu’après un premier examen par l’OFPRA de la demande d’asile dans un délai de 96 heures, et uniquement dans l’hypothèse où l’office avait signalé au préfet qu’une demande nécessitait un examen plus approfondi, que le préfet était invité à mettre fin à la mesure de rétention, le candidat à l’asile pouvant alors présenter une demande d’admission provisoire au séjour. Ce qui permettait ainsi de bénéficier, enfin, d’une appréciation approfondie pour déterminer la procédure selon laquelle sa demande devait être examinée.

Une annulation pour incompétence

Dans sa décision, le Conseil d’Etat rappelle deux exigences qui découlent directement du droit de l’Union européenne et auxquelles la note du ministère de l’Intérieur ne répond pas. Tout d’abord, le fait d’être l’objet de mesures d’éloignement et de rétention n’est pas à lui seul un motif pour considérer la demande comme un recours abusif. Le préfet doit examiner au cas par cas s’il admet au séjour ou non. Par ailleurs, même dans le cas où une demande d’asile se révèle être un recours abusif, le préfet doit examiner au cas par cas la possibilité de maintenir en rétention le demandeur en vérifiant si ce placement est proportionné et nécessaire au regard des risques de voir l’intéressé se soustraire définitivement à son retour.

La Haute Juridiction insiste également sur l’obligation pour le préfet de procéder à l’examen des demandes d’asile en rétention là où la note du ministère de l’Intérieur a préféré appliquer systématiquement la procédure prioritaire en rétention… et confier à l’OFPRA – établissement public qui n’est pas au nombre des services placés sous l’autorité de la Place Beauvau – l’examen individuel de ces situations. Ce alors que, en vertu des textes qui le régissent, il n’appartient pas à l’office de contribuer à la détermination de la procédure selon laquelle les demandes d’asile doivent être instruites.

Ainsi, non seulement le dispositif transitoire mis en place par la note n’était pas conforme aux exigences du droit européen rappelées ci-dessus mais, en plus, le ministre de l’Intérieur n’était pas compétent pour l’édicter. D’où l’annulation de la note par le Conseil d’Etat.

Cette annulation, précisent les sages, impose aux services placés sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, dans l’attente d’une prochaine réforme, de « procéder au cas par cas à un examen préalable des demandes d’asile présentées par des personnes placées en rétention administrative afin de déterminer la procédure d’instruction qu’elles appellent ainsi que la nécessité du maintien en rétention de ces personnes ». Autrement dit, les préfectures doivent désormais nécessairement se livrer à un premier examen de fond des demandes d’asile en rétention pour les orienter vers une procédure normale ou une procédure prioritaire.

L’OFPRA ne doit pas toujours tenir compte du délai de 5 jours

Le Conseil d’Etat s’est également arrêté sur l’article L. 551-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), mentionné dans la note du ministère de l’Intérieur. Selon cet article, le directeur général de l’OFPRA peut refuser d’enregistrer une demande de protection déposée par un étranger qui présente ou complète sa demande d’asile après l’expiration du délai de cinq jours qui lui est imparti à compter de la notification de ses droits. Il peut alors la rejeter pour irrecevabilité après un délai de 96 heures par une décision qui ne peut faire l’objet, compte tenu de son classement en procédure prioritaire, que d’un recours non suspensif.

Pour le Conseil d’Etat, ces dispositions ne sont pas contraires aux exigences européennes… mais ne doivent pas s’appliquer indistinctement aux personnes placées en rétention sauf à méconnaître, « eu égard à l’extrême brièveté des délais en cause », le droit au recours effectif. Cette interprétation se déduit à la fois de la gravité des effets qui s’attachent, pour des étrangers retenus, au refus d’enregistrement de la demande d’asile mais aussi des exigences découlant du droit européen. Ainsi, pour les sages, l’OPFRA ne doit pas tenir compte du délai de cinq jours prévu à l’article L. 551-3 du Ceseda « dans certains cas particuliers ». Et la Haute Juridiction donne un exemple : tel est le cas lorsqu’une personne invoque des faits survenus après l’expiration du délai de 96 heures ou qui n’a pas pu présenter une demande d’asile faute d’avoir bénéficié d’une assistance juridique et linguistique effective.

[Conseil d’Etat, 30 juillet 2014, n° 375430, disponible sur www.legifrance.gouv.fr]
Notes

(1) Voir ASH n° 2844 du 24-01-14, p. 64.

(2) Voir ASH n° 2872 du 29-08-14, p. 57.

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