« Le tournage a bien failli s’arrêter plusieurs fois car les voyageurs ne sont pas des acteurs dociles, entre bagarres et courses-poursuites », avoue Jean-Charles Hue. Cela fait pourtant dix ans que le cinéaste connaît la famille Dorkel et s’est immiscé dans leur communauté yéniche de gens du voyage, à Beauvais. Depuis, il les filme pour des courts métrages, des documentaires(1) et, cette fois, les met en scène dans une fiction – « Même si mon cinéma se nourrit de leur vie », précise Jean-Charles Hue. Ainsi, Mange tes morts s’inspire à la fois d’histoires vécues par les Dorkel – chaque comédien amateur joue d’ailleurs son propre rôle – et de la « mythologie des Gitans », que l’on considère souvent comme des tchouraveurs (voleurs). La virée infernale en voiture, fil rouge du long métrage, a effectivement eu lieu, mais des éléments imaginaires ont été ajoutés pour en faire un véritable road movie, une sorte de chevauchée proche du western. Le film – sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes et couronné du prix Jean-Vigo 2014 – débute quand Fred, le frère aîné de la famille Dorkel, sort d’un séjour en prison de quinze ans. Il n’est pas forcément le bienvenu parmi les anciens, dont beaucoup se sont tournés vers la religion, sont très attentifs au respect des lois et aspirent « à une petite vie tranquille ». Mais pour Fred, la tchor (le vol), il la conçoit comme le meilleur moyen de pouvoir nourrir sa famille. Très vite, il va entraîner son pral (frère) Jason, 18 ans, qui s’apprête à célébrer son baptême chrétien, à braver les schmidts (la police) en volant une cargaison de cuivre. Trop improvisé, le larcin tourne mal. La course-poursuite de nuit sur la route des frères Dorkel, totalement survoltée, ressemble alors à un rituel initiatique où le plus mûr des deux hommes n’est pas celui que l’on croit… L’expression « mange tes morts », qui donne son titre au film, est « l’insulte suprême des Gitans qui n’a pas d’équivalent chez les “gadgé” mais signifie que la personne n’est plus digne de ses racines », précise le réalisateur. Une fois proférée, une telle insulte peut conduire à un drame.
Mange tes morts
Jean-Charles Hue – 1 h 34 – En salles le 17 septembre