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Pérennisation de l’ISEMA d’Eure-et-Loir : un établissement « hors normes » reconnu

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L’expérience de l’Internat socio-éducatif médicalisé pour adolescents illustre la pertinence d’une approche novatrice des jeunes « incasables ». Bilan, après cinq ans d’expérimentation et deux ans après notre reportage dans les ASH(1).

On les surnomme tantôt « incasables », tantôt « jeunes en difficultés multiples »… Au début des années 2000, la direction départementale de l’action sanitaire et sociale (DDASS), le conseil général et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) d’Eure-et-Loir constatent qu’un certain nombre de jeunes – entre 30 et 50 – « tournent » dans les dispositifs sociaux et médico-sociaux sans y trouver leur place. Agés de 12 à 18 ans, ils présentent des difficultés cumulées sur les plans psychologique, psychiatrique, éducatif, scolaire, familial, social, parfois judiciaire et mettent en échec tous les dispositifs classiques, malgré l’énergie déployée par les professionnels et le travail conjoint et en réseau de l’ensemble des partenaires.

Nouveau modèle d’intervention

A la fin 2007, les trois institutions, qui s’appuient sur la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de l’enfance(2), lancent un appel à projet pour la création d’une structure visant à répondre à la prise en charge de ces adolescents. Deux ans plus tard, l’Association départementale de l’enfance à l’adulte en Eure-et-Loir (ADSEA 28) obtient l’autorisation d’ouvrir pour une durée de cinq ans, à titre expérimental, l’ISEMA (Internat socio-éducatif médicalisé pour adolescents) d’Illiers-Combray, avec six places pour des jeunes relevant de la PJJ et venant de toute la France et six places pour des adolescents suivis par l’aide sociale à l’enfance d’Eure-et-Loir(3). Alors que les besoins spécifiques de ces jeunes invitent à réinventer les pratiques, les autorités valident la proposition de l’ISEMA d’expérimenter un nouveau modèle d’intervention : l’approche interactionnelle et stratégique développée par l’Institut Grégory-Bateson, également nommée « modèle de Palo Alto »(4).

L’équipe de l’ISEMA – 28 professionnels dont des moniteurs-éducateurs, des éducateurs spécialisés, des éducateurs sportifs, des infirmières, un psychiatre, deux psychologues, des maîtresses de maison – les accueille pour une période de six mois à deux ans durant laquelle elle travaille sur « un changement de contexte relationnel et institutionnel favorisant le changement de conduite, au lieu de s’acharner pour tenter de changer le jeune », explique Gilles Pain, directeur de l’établissement depuis son ouverture.

A l’issue de la première période d’expérimentation de trois ans, les autorités de tutelle – l’agence régionale de santé, le conseil général et la direction départementale de la PJJ – décident de prolonger, en 2012, l’autorisation pour une durée de deux ans. A la fin 2013, pour préparer la sortie de la phase expérimentale, les autorités réalisent conjointement un audit dont les conclusions actent la réussite du projet. Elles mènent également une enquête sur le profil, le parcours et le devenir des jeunes placés à l’ISEMA. Leur conclusion : « La séquence de vie au sein de l’établissement […] a permis une stabilisation et mis en évidence des modifications profondes de la dynamique des jeunes accueillis, pour une grande majorité d’entre eux, y compris ceux qui ont connu une détention. »

Les premières années, la structure a connu une grande instabilité de ses ressources humaines – inhérente au fonctionnement des établissements accueillant un public difficile –, ce qui a fait craindre pour la pérennité du projet. Mais « l’audit nous a rassurés sur la qualité du travail effectué et l’appropriation du cadre d’intervention partagé par tous », précise Dominique Perigois, directeur territorial de la PJJ Centre-Orléans. En mars dernier, et à la suite d’une évaluation externe positive, l’autorisation de l’établissement est renouvelée pour une période de 15 ans. Celui-ci intègre ainsi le régime juridique de droit commun des établissements ou services sociaux ou médico-sociaux (ESSMS) : « Entrer dans la nomenclature était très compliqué. Nous avions la crainte que ce soit l’ISEMA lui-même qui devienne “incasable”, mais nous avons réussi tout en gardant notre originalité, notre budget et notre nom », se réjouit Gilles Pain. L’ISEMA est aujourd’hui autorisé à accueillir un public multicatégoriel, c’est-à-dire des jeunes en danger, délinquants mais aussi relevant de la pédopsychiatrie et de la psychiatrie. « La reconnaissance est encore trop récente pour qu’elle ait des répercussions dans notre travail. Mais, dans un environnement hors normes, dans lequel les professionnels prennent chaque jour des risques, cela nous enlève une pression », concède Gilles Pain.

Conforme à l’esprit de la loi 2002-2

Du côté de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), qui a conduit des travaux sur les jeunes en difficultés multiples, on se dit satisfait de ce pas franchi : « Le passage de l’ISEMA au statut d’établissement médico-social à part entière est tout à fait conforme à l’esprit de la loi n° 2002-2 relative aux institutions sociales et médico-sociales, ainsi qu’à celle de la loi du 5 mars 2007, et tel que prévu au code de l’action sociale et des familles, détaille une chargée de mission. Le législateur a en effet ouvert des opportunités pour créer de nouveaux établissements, constitués pour faire face à une situation de non-réponse à des besoins, mais a prévu que l’impact de ces structures expérimentales sur la prise en charge et le parcours des jeunes soit évalué préalablement avant de confirmer leur autorisation dans la durée. »

D’autres établissements de ce type(5) verront-ils le jour dans les prochaines années ? Pas si sûr, répond l’ONED, tant les critères à réunir sont exigeants et les secteurs clivés. « Il faut d’abord réussir le croisement des champs judiciaire, socio-éducatif et médical, ce qui suppose de mobiliser de multiples acteurs et de trouver un consensus sur la part qui revient à chacun dans le montage et le fonctionnement de l’établissement. Par ailleurs, outre les croisements juridiques et administratifs, ce type de structure nécessite d’articuler des cultures professionnelles différentes et de faire fonctionner une transversalité pour élaborer et conduire les projets individuels de chaque jeune, ainsi que de définir la spécificité de ce que chacun peut apporter à la prise en charge plurielle. Se pose, enfin, un problème de cohérence des temporalités dans les programmations sociales, médico-sociales, et sanitaires. »

« Tout le monde voudrait avoir son “ISEMA” au vu des résultats obtenus, ajoute Dominique Perigois, mais une telle structure demande d’importants financements et autant de personnel qu’un centre éducatif fermé. Pour le moment, il ne peut s’agir que d’initiatives locales. » Il existe déjà un autre ISEMA, à Saint-Michel-de-Montjoie dans la Manche, mais celui-ci, qui n’a pas de lien direct avec celui de l’ADSEA 28, est encore en période expérimentale et ne suit pas le même modèle clinique. D’autres dispositifs ont également été créés pour tenter de répondre aux besoins multiples des jeunes en grande difficulté, comme les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques expérimentaux et des centres éducatifs fermés renforcés en santé mentale, mais qui sont « peu nombreux et de création trop récente pour être évalués », selon Dominique Perigois.

La prochaine étape pour l’établissement d’Illiers-Combray est de communiquer sur le travail réalisé durant ses cinq premières années de fonctionnement. « Nous avons étudié plus de 120 dossiers et accueillis plus de 50 enfants, rappelle Gilles Pain. Ce qui nous a permis de repérer des constantes dans les problématiques et d’observer les failles qui, dans le système de protection de l’enfance, entraînent l’“incasabilité”. »

Notes

(1) Voir ASH n° 2764 du 15-06-12, p. 36.

(2) Voir ASH n° 2505 du 27-04-07, p. 17.

(3) ISEMA : 25, rue de Chartres – 28120 Illiers-Combray – Tél. 02 37 23 86 35 – isema@adsea28.org.

(4) www.igb-mri.com.

(5) ISEMA n’est pas un « label », mais l’ADSEA 28 n’est pas opposée à une dénomination constante.

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