« La loi “hôpital, patients, santé et territoires” (HPST) du 21 juillet 2009 (1), “afin de garantir une mise en concurrence sincère, loyale et équitable et la qualité de l’accueil et de l’accompagnement” (2), a instauré une procédure d’appel à projet pour la délivrance des autorisations des établissements et services sociaux et médico-sociaux et lieux de vie et d’accueil. C’est peu dire que cette “innovation” n’a pas suscité la franche adhésion du secteur au moment du vote de la loi. Un certain nombre d’unions et de fédérations s’y sont opposées. Les bénéfices attendus par le ministère étaient présentés dans une brochure d’information : répondre plus rapidement aux besoins et attentes des usagers, rendre publiques les priorités des décideurs, permettre l’innovation et l’expérimentation (3). Deux bilans ont été réalisés par la direction générale de la cohésion sociale et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (4), mettant en avant les bienfaits de cette réforme tout en soulignant l’attente par les agences régionales de santé et les services déconcentrés de l’Etat d’outils mutualisés. Comment dès lors expliquer que, loi après loi, les exonérations se multiplient ou vont se multiplier ? L’appel à projet serait-il un frein à certaines évolutions du secteur ou à certaines pratiques administratives ? A force d’aborder partiellement la question de l’autorisation et de l’appel à projet, des aspects plus fondamentaux ne sont-ils pas occultés ?
Entre 2010 et 2012, la procédure a connu trois modifications législatives visant à en exonérer certaines opérations ou gestionnaires. En juin et juillet 2014, ce ne sont pas moins de deux projets de loi qui proposent à nouveau des changements en la matière : celui sur l’adaptation de la société au vieillissement et celui qui est relatif à la réforme de l’asile.
Initialement, les projets de création et de transformation d’établissements et services sociaux et médico-sociaux et lieux de vie et d’accueil ainsi que les projets d’extension importante relevaient de la procédure d’appel à projet pour être autorisés et ce quel que soit le décideur et le gestionnaire.
Dès une ordonnance du 23 février 2010 (5), à la demande du ministère de la Justice, une première brèche fut introduite. Son article 18 a prévu que la procédure d’appel à projet n’est pas applicable “aux établissements et services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse [PJJ] pour les investigations et mesures éducatives qui ne peuvent être mises en œuvre en application de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante par les autres établissements et services”. Le ministère de la Justice aurait voulu aller plus loin car, dans la version du texte soumise au Comité national de l’organisation sanitaire et sociale, c’était tous les établissements et services du secteur public de la PJJ qui auraient été exonérés de la procédure, mais bien sûr pas les acteurs associatifs. Mais, à l’époque, une telle évolution, dénoncée par les unions d’associations, se heurtait au droit. En effet, la loi HPST n’avait pas prévu une exonération en la matière et une ordonnance prise sur son fondement ne pouvait l’instaurer d’elle-même. D’où la rédaction pour le moins subtile de l’ordonnance du 23 février 2010 cherchant à prévoir que, pour les mesures où le secteur privé ne peut pas intervenir dans le cadre de l’ordonnance de 1945 et où un monopole est confié au secteur public, il ne saurait y avoir d’appel à projet.
Le ministère de la Justice ne désarma pas pour autant. Dans le cadre de la loi du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines (6), il obtint que les établissements et services de l’Etat intervenant dans le champ de la PJJ soient exonérés de la procédure. Le ministère de la Justice considérait que l’Etat délivrant les autorisations de création n’avait pas à se mettre en concurrence avec les acteurs privés pour les structures qu’il voulait créer et gérer. On remarquera qu’il s’agit là d’une vision bien particulière du rôle de l’Etat. Soit l’Etat, en tant que garant de l’intérêt général, cherche le meilleur projet pour les enfants et adolescents concernés et pour la société tout entière et il n’est pas possible de préjuger à l’avance que celui-ci soit forcément une réponse publique d’Etat. Soit l’Etat adopte une approche purement gestionnaire et alors il privilégie ses propres structures. C’est cette incapacité du ministère de la Justice à distinguer sa mission de gardien de l’intérêt général d’un rôle de gestionnaire qui éclate au grand jour à cette occasion. Notons que d’autres ministères auraient pu demander à l’époque une même exonération pour des établissements publics nationaux, certes gérant moins d’établissements et services, mais ils se sont bien gardés de le faire. Cela étant, le précédent était créé et il ne fallut pas longtemps pour que l’Assemblée des départements de France (ADF) demande à bénéficier de la même exonération, ce qui lui fut dans un premier temps refusé.
La deuxième exception fut votée dans le cadre de la loi Fourcade du 10 août 2011 (7). Il fut prévu que certaines opérations de transformation d’établissements et services soient autorisées mais échappent à la procédure d’appel à projet. Il faut que la transformation reste dans la même catégorie d’établissements et services au sens de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles. En d’autres termes, la transformation d’un institut médico-éducatif (IME) en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) peut être autorisée hors appel à projet contrairement à la transformation d’un IME en maison d’accueil spécialisée (MAS). Un décret du 30 mai 2014 portant adaptation de certaines dispositions de la procédure d’appel à projet (8) a offert de nouvelles possibilités sur le terrain d’autoriser des extensions de capacité hors appel à projet en réinterprétant la notion de capacité initialement autorisée et en revoyant le seuil distinguant une petite extension de capacité autorisée hors appel à projet d’une extension de capacité autorisée à l’issue de cette procédure.
Deux projets de loi récents invitent également à de nouvelles exonérations. L’article 45 du projet de loi portant adaptation de la société au vieillissement (9) propose de donner gain de cause à l’ADF en exonérant à l’avenir les établissements et services gérés en propre par le département de la procédure d’appel à projet dès lors qu’ils relèvent de la compétence exclusive d’autorisation du président du conseil général. La création et l’extension des lieux de vie et d’accueil seraient également autorisées hors appel à projet. Pour des établissements ou services dont la capacité serait inférieure à dix places, les projets d’extension inférieure à un seuil en seraient également exonérés. Une autre exception concerne les transformations d’activités hospitalières en activités sociales ou médico-sociales. Aujourd’hui, il convient d’analyser ces opérations comme la fermeture totale ou partielle d’un établissement de santé et la création d’un établissement social ou médico-social, d’où l’obligation d’avoir recours à la procédure d’appel à projet. Le projet de loi prévoit la possibilité d’autoriser ces opérations hors appel à projet sous réserve de la conclusion d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens et à condition que cette transformation ne s’accompagne pas d’une extension de capacité supérieure à un seuil qui sera fixé par décret. Sous réserve de ces deux mêmes conditions, les transformations d’établissements et services sociaux et médico-sociaux impliquant une modification de catégorie de bénéficiaires et d’établissements et services (par exemple, la transformation d’un IME en MAS) pourraient être autorisées hors appel à projet. Enfin, l’article 16 du projet de loi relatif à la réforme de l’asile (10) propose d’exonérer les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) de la procédure d’appel à projet. Selon l’exposé des motifs, il s’agit “de simplifier et d’accélérer la transformation de structures d’hébergement”.
L’auteur de cette tribune ne déplore pas la remise en cause de la procédure d’appel à projet. Le malaise vient plutôt du fait que la déconstruction est à géométrie variable. Plutôt que de prendre acte des limites de cette procédure et d’en réserver l’application au seul cas où il y a des besoins sur un territoire et aucun porteur de projet pour y répondre spontanément et de manière satisfaisante selon la ou les autorités compétentes, les pouvoirs publics maintiennent celle-ci pour certains opérateurs ou certaines opérations. Ainsi, la procédure d’appel à projet n’est pas applicable pour la création ex nihilo de certains établissements sociaux, lorsque c’est l’Etat et à l’avenir les départements qui sont gestionnaires, mais l’est pour le secteur public communal ou privé lucratif ou non lucratif.
Tout cela en dit long sur les pratiques à l’œuvre sur le terrain. Sans vouloir généraliser, car il y a des administrations locales qui ont cherché à appliquer sérieusement le cadre législatif et réglementaire, on remarquera cependant que la procédure d’appel à projet pour les CADA fut un exemple même de ce qu’il ne faut pas faire : absence de schéma régional, dialogue entre certaines administrations et certains gestionnaires visant à obtenir des baisses de tarif en cours de procédure sans que les autres gestionnaires en soient informés. Dans d’autres secteurs, fléchage très net du gagnant dès le calendrier d’appel à projet ou dans les conditions posées par l’avis ou le cahier des charges démontrant une volonté de continuer à faire du gré à gré, association d’un gestionnaire à l’élaboration du cahier des charges, croyance de certaines administrations que le lancement d’un appel à projet fait tomber les autorisations existantes sur le territoire considéré… Si le juge administratif avait dû être saisi de tous ces cas, il y aurait eu des annulations massives sans parler de possibles sanctions pénales.
Au-delà de l’application de la procédure d’appel à projet, les projets de loi en cours devraient permettre de réaborder plus fondamentalement la question du droit des autorisations car nous ne sommes plus en 1975.
En premier lieu, que fait-on pour les établissements et services qui sont financés par les pouvoirs publics mais qui n’ont pas d’autorisation de création, de transformation ou d’extension ? Cela recouvre plusieurs réalités. Par exemple des établissements qui ont été créés sur la base d’une déclaration à l’autorité administrative en vertu d’une loi de 1971. En 1975, ces établissements n’ont pas eu à solliciter d’autorisation. Il en va de même de certains établissements et services gérés par les collectivités locales qui, avant la loi du 2 janvier 2002, ne donnaient pas lieu à une autorisation de création, de transformation ou d’extension mais simplement à un avis de l’autorité administrative compétente (préfet ou président du conseil général) et d’une habilitation financière. L’article 80 de la loi du 2 janvier 2002 prévoit que les établissements et services autorisés (et non pas déclarés ou habilités) au 3 janvier 2002 le demeurent jusqu’au 3 janvier 2017. De même, un certain nombre de structures ou de dispositifs de lutte contre les exclusions ont été inclus dans le champ de la loi du 30 juin 1975 par la loi de lutte contre les exclusions de 1998 (boutiques de solidarité, SAMU sociaux…) puis logiquement repris dans la loi du 2 janvier 2002. Or nombre de ces structures ne sont pas autorisées. Il en va de même d’un grand nombre d’équipes de prévention spécialisée intégrées clairement dans le champ de la loi du 2 janvier 2002 depuis une ordonnance du 1er décembre 2005… Or le paradoxe de la situation, c’est que l’administration habilite parfois, conventionne et finance très souvent ces structures. Dès lors une mesure législative de régularisation est demandée depuis plusieurs années par les fédérations du secteur et il serait temps pour les pouvoirs publics d’y faire droit.
En deuxième lieu, à l’heure où la frontière entre le monde du logement et de l’hébergement devient de plus en plus floue, qu’est-ce qui doit relever d’une autorisation de création et dans quels cas une autre forme de régulation s’applique-t-elle ? Ainsi, on voit se multiplier des résidences séniors pour personnes âgées qui, par leur fonctionnement, s’apparentent largement à des EHPA. Dans un cas, les promoteurs jouent à fond la carte de la défiscalisation pour l’investisseur et pour la personne accompagnée (via les exonérations des charges des intervenants dits d’aide à domicile) sans se considérer astreints à l’autorisation de création, là où d’autres ne peuvent bénéficier d’un certain nombre d’exonérations de charges et doivent obtenir l’autorisation.
En troisième lieu, la façon de compter l’activité prévue par les textes (nombre de lits, places ou bénéficiaires) est héritée du passé, à un moment où on encadrait essentiellement des établissements et où la diversification des prestations n’était pas aussi importante qu’aujourd’hui. Comment mesure-t-on l’activité des établissements fonctionnant en file active en dispositif ? Comment mesurer l’activité des services mettant en œuvre des mesures judiciaires de protection des majeurs ? Normalement, c’est le nombre de mesures qui devrait figurer dans l’arrêté d’autorisation. On en est loin dans certains cas, de même que pour certains services d’aide à domicile où l’arrêté mentionne le territoire d’intervention sans toujours faire référence à un nombre d’heures…
En quatrième lieu, en cas de transformation, comment mesure t-on les équivalences entre l’ancienne activité autorisée et la nouvelle ? Pour être plus clair, en cas de transformation d’un IME en service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), raisonne-t-on en termes de places (vingt places d’IME transformées en vingt places de Sessad, mais alors le gestionnaire perdra des moyens financiers) ou en termes de budget (le budget de l’IME étant la base pour obtenir le nombre de places en Sessad) ? Idem pour les transformations d’activités hospitalières en activités sociales ou médico-sociales.
Bien d’autres exemples pourraient également être mis en avant. Il est donc temps de s’atteler sérieusement à ces questions. Le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, en prévoyant des modifications à la procédure d’autorisation, pourrait être le bon vecteur, sachant que les établissements et services pour personnes âgées sont majoritaires parmi les établissements et services couverts par la loi du 2 janvier 2002.
Au-delà de questions juridiques et techniques, c’est bien la question politique de l’accompagnement des personnes fragiles qui est posée. Quel mécanisme de protection à l’œuvre ? Comment faire en sorte que le droit s’adapte aux importantes évolutions en cours visant à raisonner en termes de parcours et à prendre en compte la personne dans sa globalité ? Comment faire en sorte qu’une équité de traitement soit réellement à l’œuvre dans l’examen des dossiers…? »
Contact :
(1) Voir ASH n° 2632 du 13-11-09, p. 37.
(2) Article L. 313-1-1 du CASF.
(3) Document disponible sur
(4) Dont le dernier a été présenté au Comité national d’organisation sanitaire et sociale le 27 février 2013 – Voir ASH n° 2803 du 29-03-13, p. 6.
(5) Voir ASH n° 2649 du 5-03-10, p. 10.
(6) Voir ASH n° 2750 du 9-03-12, p. 5.
(7) Voir ASH n° 2733 du 18-11-11, p. 45.
(8) Voir ASH n° 2863 du 6-06-14, p. 42.
(9) Voir ASH n° 2866 du 27-06-14, p. 53.
(10) Voir ASH n° 2872 du 29-08-14, p. 57.