Sauf s’il existe une menace pour la sécurité publique dans l’établissement pénitentiaire ou si ce dernier fournit des éléments objectifs pour s’y opposer, les détenus doivent être autorisés à recourir aux enregistrements vidéo lorsque les faits qui fondent la poursuite disciplinaire engagée à leur encontre ont eu lieu dans une zone couverte par des caméras vidéo de l’établissement. C’est ce qui ressort d’une récente décision du nouveau défenseur des droits, Jacques Toubon, dans laquelle il formule des recommandations (1) à la suite de plusieurs saisines de détenus qui se sont vu refuser l’accès aux enregistrements vidéo lors de procédures disciplinaires. Des recommandations qui pourraient contribuer à l’élaboration d’un décret d’application de la loi du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (2).
L’article 11 de cette loi dispose que le décret qui doit définir le régime disciplinaire des détenus doit aussi déterminer les conditions dans lesquelles le dossier de la procédure disciplinaire sera mis à leur disposition et celles dans lesquelles l’avocat, ou l’intéressé s’il n’est pas assisté d’un avocat, peut prendre connaissance de tout élément utile à l’exercice des droits de la défense. Une disposition que le défenseur des droits a accueillie favorablement au regard de la « jurisprudence incertaine » en la matière. Ce, d’autant que le code de procédure pénale ne prévoit pas expressément l’utilisation des vidéos au cours des procédures disciplinaires pénitentiaires. Seules une circulaire du 9 juin 2011 et une note du 17 octobre 2011 du ministère de la Justice évoquent cette possibilité, mise en œuvre dans des conditions peu satisfaisantes, selon Jacques Toubon.
D’après la note de 2011, les enregistrements vidéo constituent un moyen de preuve au même titre que les constatations du personnel pénitentiaire ou les témoignages recueillis. Toutefois, le chef de l’établissement pénitentiaire peut refuser leur utilisation dans deux hypothèses. Tel peut être le cas lorsque les faits sont suffisamment établis par ailleurs et que le détenu n’apporte pas de raisons de douter de la véracité ou de la sincérité des observations du personnel ou des témoignages recueillis. Mais, pour Jacques Toubon, cette possibilité est « critiquable à plusieurs égards ». D’abord, parce que « les écrits pénitentiaires – plus particulièrement les comptes rendus d’incident – sont souvent trop peu détaillés, ce qui ne permet pas à l’autorité disciplinaire de prendre des décisions sur la base de faits suffisamment établis ». Le chef d’établissement pénitentiaire peut aussi refuser la production d’enregistrements vidéo lorsqu’il existe un risque d’atteinte à la sécurité des personnes ou de l’établissement. Pour le défenseur des droits, cette hypothèse ne peut être avancée que si elle est « justifiée par des éléments objectifs dûment vérifiables ».
En outre, le défenseur explique que, s’agissant des témoignages, le code de procédure pénale ne prévoit pas, en phase d’enquête, la possibilité pour le détenu de solliciter auprès de l’enquêteur des auditions de témoins utiles à sa défense. L’opportunité d’entendre des témoins relève en effet du seul enquêteur. Or, rappelle Jacques Toubon, « le principe des droits de la défense, à valeur constitutionnelle, est applicable aux procédures disciplinaires, y compris en phase d’enquête ». Il recommande donc, « dans la continuité de la note du 17 octobre 2011, qu’obligation soit faite à l’enquêteur désigné de décrire le contenu des enregistrements vidéo des faits donnant lieu à poursuites disciplinaires ». Il suggère par ailleurs que leur visionnage soit possible au stade de la préparation de la défense du détenu, seul ou assisté d’un avocat.
De même, en vertu de la circulaire de 2011, le détenu ne peut faire entendre un témoin au cours de l’audience de la commission de discipline que sur autorisation du président de l’instance. Un principe là encore en contradiction avec les droits de la défense, estime Jacques Toubon. D’autant, a-t-il constaté, qu’il est « fréquent que les seuls témoins des faits – en dehors de la personne détenue – soient les agents de l’établissement et que, dans les rares cas où d’autres personnes détenues [ont] assisté aux faits, ces dernières [sont] souvent réfractaires à témoigner craignant des représailles ». Une situation plaçant les détenus dans une « position inégale vis-à-vis de l’autorité disciplinaire qui, tout en disposant du pouvoir d’engagement des poursuites, détient également entre ses mains tous les moyens matériels d’investigation, au premier rang desquels l’accès aux enregistrements vidéo ». Pour le défenseur, il est aussi regrettable de ne pas autoriser l’utilisation de ces enregistrements qui peuvent « aider à dégager de toute responsabilité disciplinaire tant la personne détenue que le personnel pénitentiaire qui serait injustement mis en cause ». Au regard de ses réflexions, Jacques Toubon préconise que, « sauf impossibilité matérielle avérée, la personne détenue puisse demander le visionnage des images enregistrées au cours de l’audience disciplinaire afin que tous les membres de la commission [disciplinaire] puissent également en prendre connaissance ».
Afin d’harmoniser les délais de conservation des vidéos dans les établissements pénitentiaires – qui varient de quelques jours à une semaine ou deux –, Jacques Toubon recommande enfin que ce délai soit calqué sur celui qui est accordé pour engager des poursuites disciplinaires, à savoir six mois.
(1) Décision du défenseur des droits MDS-2014-118 du 1er août 2014, disponible sur
(2) Voir ASH n° 2861 du 23-05-14, p. 34.