Pour beaucoup, vacances riment avec évasion, dépaysement ou détente. Pour les familles suivies par l’aide sociale à l’enfance (ASE), cette parenthèse peut signifier bien davantage. Si de tels séjours sont encore peu développés en France, de plus en plus de conseils généraux et d’associations ont pris conscience de leur intérêt pour travailler sur la relation parent-enfant. Organisées sur un temps suffisamment long, sans discontinuité, les vacances peuvent être l’occasion de conforter ou resserrer des liens distendus dans une atmosphère radicalement nouvelle. « Les vacances représentent un espace à part, libéré des contingences du quotidien », défend Marc Pili, délégué général de Vacances ouvertes, qui permet chaque année à 500 familles suivies par l’ASE de partir en vacances, sur un total de 3 500 familles accompagnées par l’association. « L’idéal, ce sont les séjours dans un village de vacances, surtout pour les mères seules, poursuit-il. Hébergées en pension complète, elles sont libérées de la préparation des repas et expérimentent un autre rapport avec leurs enfants. » Pour des raisons budgétaires, de plus en plus de séjours sont cependant organisés dans des caravanes, des chalets ou des mobiles-homes.
« Sortir du cadre habituel permet d’aborder une multitude de thèmes de manière positive », poursuit Marc Pili. De nombreuses problématiques peuvent ainsi être abordées : rythmes de lever et de coucher, alimentation, déplacements, partage d’activités entre parents et enfants… « Eloignées pendant un temps de leurs difficultés quotidiennes, les familles profitent de ce moment de répit pour se retrouver, reconstruire du lien et rencontrer de nouvelles personnes », souligne à son tour Karar Mebarek, délégué général de Vacances et familles, qui organise des séjours familiaux accompagnés par des bénévoles. « Nous nous adressons à des familles qui ont peu ou pas d’expérience des vacances », explique Lydie Le Goff, déléguée départementale de l’association dans les Côtes d’Armor, qui accompagne aussi bien des familles en situation précaire que des familles suivies dans le cadre d’une mesure éducative, voire concernées par un placement en famille d’accueil. « Nous sommes beaucoup plus en lien avec les travailleurs sociaux dans ces situations. »
Chaque séjour, d’une durée de quinze jours, se déroule dans un gîte ou un camping du département, au bord de l’océan ou à la campagne. Les vacanciers sont accompagnés dès le projet de départ. « On les aide à préparer leur budget, leurs déplacements, à se renseigner sur la destination ou à prévoir des animations pour leurs enfants, poursuit la déléguée départementale. Notre rôle est avant tout de conforter les gens dans leurs capacités à prendre en charge leur séjour. » Pour Marc Pili, préparer ses vacances « permet de se projeter dans l’avenir et d’expérimenter un autre rapport au temps que celui de l’immédiateté ». L’appropriation du projet de séjour par la famille conditionne, selon lui, sa réussite : « Il faut une participation active de la famille dans le choix de la destination et le programme du séjour. Si ce départ est perçu comme une punition ou que la famille n’en est pas actrice, il y a peu de chances que cela fonctionne… »
Présents dès l’arrivée de la famille, les bénévoles de Vacances et familles se montrent disponibles à tout moment. Mais ils modulent leur présence en fonction du degré d’autonomie des familles. « Les bénévoles sont là pour leur faire découvrir la région et les aiguiller, surtout les premiers jours, mais il n’est pas question de faire le programme des vacances à leur place », précise Lydie Le Goff. Outre des sorties collectives, proposées aux familles présentes sur le même secteur, les bénévoles veillent à ce que parents et enfants trouvent des centres d’intérêt communs pour partager de bons moments et se forger des souvenirs ensemble. « Certaines familles nous confient avoir découvert les jeux de société pendant leurs vacances. » Enfin, ces dernières expérimentent un regard moins stigmatisant que celui qui est porté sur elles dans leur quartier. « Elles se retrouvent dans un cadre tout neuf avec d’autres personnes qui ne connaissent pas leur histoire », poursuit la responsable.
Accueillir ces familles telles qu’elles sont dans une destination de vacances prisée et valorisante, c’est ce que propose l’association CAVAL, sur l’île d’Yeu (Vendée). Fondée en 1976 pour soutenir des jeunes en difficulté à travers la pratique de la voile, l’association a élargi son activité aux familles dès 1984 (1). Elle propose notamment des séjours familiaux à des parents et des enfants séparés par une mesure de placement le reste de l’année. La famille est étroitement suivie, durant le séjour, par le chef de service ou l’éducatrice spécialisée de l’association, mais aussi par des moniteurs de voile, souvent des jeunes en formation au travail social, et un skippeur, pour encadrer les activités nautiques.
Durant douze jours, sept familles sont accueillies en même temps dans de petits appartements situés à 60 mètres de la plage. La durée du séjour n’a pas été choisie par hasard. « Douze jours, cela peut sembler court à certains parents. Mais pour ceux qui n’ont pas du tout de droit d’hébergement de l’enfant, cela peut être long, explique Marc Escanecrabe, chef de service de l’association. C’est un temps intermédiaire durant lequel il peut se passer des choses. » Le cadre insulaire a toute son importance. « Ceux qui viennent d’un cadre urbain découvrent un espace facile à appréhender, poursuit-il. Sur une île, les distances sont courtes et les trajets faciles à retenir, ce qui permet de prendre de l’autonomie. » Là encore, pas question pour l’équipe de faire à la place des personnes : « Quand ils nous demandent “que fait-on aujourd’hui ?”, nous leur répondons “qu’avez-vous envie de faire ?” »
Sur place, toutes les occasions sont bonnes pour restaurer l’image des parents et de la famille. « Ici, des enfants voient souvent leurs parents faire du vélo pour la première fois », raconte Marc Escanecrabe. Outre la kyrielle d’activités liées à la mer, l’équipe essaie sans relâche de susciter de nouvelles envies. Comme le plaisir de préparer à manger, en lien avec la cuisinière du lieu de vie. « On veut faire de la cuisine un lieu de découverte », note Marc Escanecrabe, citant l’exemple de parents sans domicile qui ont pu démontrer leur savoir-faire en préparant des repas pour tout le monde. Venus plusieurs années consécutives sur l’île d’Yeu, ces derniers ont fini par quitter la rue. « Leurs revenus ont progressé chaque année, ils ont trouvé un hébergement et ont fait une cure de désintoxication, raconte-t-il. Nous recevons ainsi des familles qui cheminent d’année en année. »
Les vacances comme accélérateur de changement ? Christine Delettre, responsable du service d’accompagnement des familles à la Maison d’enfants à caractère social (MECS) Saint-Charles du Vésinet (Yvelines), gérée par la fondation Apprentis d’Auteuil, en est persuadée. « Un projet de vacances permet de gagner entre six mois et un an de travail, avance cette assistante sociale. Certes, cela demande de l’investissement en temps et en moyens, mais au final, on récolte du temps et de l’argent. » Accompagner des familles en vacances permet d’évaluer au plus près les compétences comme les difficultés parentales. « Quand un parent parvient à dire non à son enfant, on valide en direct sa posture éducative, illustre Christine Delettre. En lui disant qu’il a eu raison d’agir de cette manière, on le remet debout. » Dans le sens inverse, les difficultés sont pointées avec davantage de sérénité.
Dans cette MECS, plusieurs types de séjours sont proposés aux familles en fonction de leur degré d’autonomie. Le premier, organisé durant cinq à six jours pendant les vacances de la Toussaint, s’adresse aux parents qui éprouvent des difficultés à occuper leurs enfants. Environ quatre familles sont hébergées en pension complète dans une résidence hôtelière du Jura. Si cette dernière se charge des animations, plusieurs travailleurs sociaux de la MECS font le déplacement avec les familles. Le second séjour, organisé pendant les vacances de février, se tient pendant une semaine dans une grande maison familiale de l’Eure. « On l’appelle le séjour “cocooning”, précise Christine Delettre. Il s’adresse à des familles peu autonomes qui ont besoin d’un étayage quotidien. » Dans cette configuration, les travailleurs sociaux de la MECS se retrouvent 24 heures sur 24 avec elles, « du petit déjeuner à la douche du soir ». L’équipe gère elle-même l’intendance, des courses à la préparation des repas en passant par les sorties.
Le troisième séjour, organisé également pendant une semaine dans des petits chalets en Normandie, permet aux familles d’évoluer en semi-autonomie. Ce sont elles qui gèrent leur budget, leur repas et leur organisation quotidienne, laissant au personnel de la MECS la mise en place d’animations et de sorties. Quatrième et dernier échelon : des séjours en autonomie de quinze jours, organisés en Bretagne durant les vacances d’été. Dans un village de vacances, situé à côté de la plage, les familles ont leur propre mode d’organisation et participent à une seule sortie collective par semaine. « On propose souvent ces séjours en amont d’un projet de retour de l’enfant à domicile, explique Christine Delettre. Cela permet aussi de dire au revoir à l’équipe de la MECS dans des conditions un peu différentes. »
Durant ces séjours comme ceux de l’île d’Yeu, le fait de partir à plusieurs familles peut avoir des incidences positives. Partager une activité ou un repas permet d’échanger conseils et bonnes pratiques. « Quand une maman dit à une autre, “pourquoi tu acceptes que ton enfant te dise ça”, cela passe mieux que si c’était une professionnelle, constate Christine Delettre. Je crois beaucoup à l’émulation entre pairs, le tout dans un cadre détendu, sur une serviette de plage face à la mer… » Mais cette dimension collective n’est pas si évidente à mettre en œuvre. « L’alchimie entre les familles ne fonctionne pas toujours, reconnaît Marc Escanecrabe, de la CAVAL. L’effet miroir peut être très violent, et les enfants n’ont pas toujours les mêmes âges ni les mêmes préoccupations. »
Au centre équestre et de loisirs La Rotourelle, dans l’Orne, qui propose des séjours accompagnés depuis une douzaine d’années, l’accueil se veut davantage individuel. Seules deux ou trois familles sont hébergées durant la même période, dans des chalets indépendants. Le séjour, qui varie entre deux et dix jours, concerne des familles suivies par l’aide sociale à l’enfance, adressées par les conseils généraux de toute la France. L’association reçoit aussi des familles un week-end par mois toute l’année à la demande d’un juge. « Ici, les familles apprécient d’avoir leur espace à elles, indique Nelly Greusard, directrice du lieu. Des mamans sans domicile retrouvent l’occasion de s’occuper d’une maison. Tandis que des mamans étrangères apprécient de faire des repas de leur pays à leurs enfants qui vivent dans une famille d’accueil française le reste de l’année. »
La Rotourelle accueille cinquante familles chaque année dont vingt-quatre durant l’été. L’équipe, composée d’une directrice et de trois éducatrices spécialisées, propose des activités à partager en famille (équitation, sortie à la mer), mais aussi des activités réservées aux enfants (escalade, kayak…). De quoi permettre aux parents (en majorité des mères seules) de souffler un peu. « Pour une maman, devoir tout d’un coup s’occuper de son enfant 24 heures sur 24 peut être lourd à porter », souligne Nelly Greusard. De la même manière, les parents qui ne sont pas capables de préparer leurs repas peuvent venir les chercher dans la cuisine centrale du site. Les éducatrices se montrent présentes à plusieurs moments clés de la journée : « Nous sommes souvent là pour le moment du coucher car les enfants peuvent être angoissés et les parents peuvent avoir des difficultés à les endormir. »
A l’issue des vacances, l’équipe de La Rotourelle rédige une note d’observation aux services sociaux qui suivent la famille. « Nous concevons ces séjours comme un temps privilégié d’observation et d’évaluation sur le quotidien de la famille et la relation parent-enfant », explique la directrice, qui assiste à de belles trajectoires, surtout après plusieurs séjours : placement raccourci ou évité, retour en famille… Mais l’inverse arrive également. « Ces vacances peuvent permettre à une maman de se rendre compte qu’elle n’est pas prête à gérer ses enfants, ce qui facilite le travail de son référent social. » Les bénévoles de Vacances et familles dressent, quant à eux, le bilan du séjour avec la famille, en listant les points positifs et négatifs. « Il faut rester modeste, prévient Lydie Le Goff. Ces quinze jours ne vont pas tout transformer. Mais d’après les retours des travailleurs sociaux, certains parents rebondissent. Ils vont reprendre une formation, mieux suivre la scolarité des enfants… Quand une dynamique s’enclenche, l’enjeu est de ne surtout pas la faire retomber. »
Pour Christine Delettre, dresser le bilan des vacances permet souvent de repartir sur une nouvelle dynamique avec les parents. « On repère des choses très concrètes à améliorer dans l’année à venir. Comme cuisiner autre chose que du riz ou des pommes de terre pour l’enfant, s’adapter à son rythme, redonner sa place à l’aîné d’une fratrie, etc. » De sont côté, l’équipe de la CAVAL, sur l’île d’Yeu, se montre plus prudente sur cette notion de bilan. « Notre évaluation se limite à la question de savoir si la famille a passé de bonnes vacances, indique Marc Escanecrabe. Des services nous demandent si les familles sont capables de vivre ensemble. Nous leur répondons que oui, sur le temps de vacances, c’était le cas. Mais ce n’est qu’un indicateur. »
Reste que les difficultés sont dans certains cas trop difficiles à surmonter. « Parfois, enfants et parents n’ont jamais vécu aussi longtemps ensemble, indique Marc Escanecrabe. Il nous est donc déjà arrivé d’interrompre un séjour qui devenait trop compliqué. Mais ce n’est pas l’objectif. Même si des disputes éclatent, ce n’est pas grave, l’important c’est que les relations évoluent. » Les addictions des parents peuvent aussi perturber le séjour. « Sur une visite médiatisée de deux heures, il est possible de tenir sans boire, mais sur plusieurs jours, c’est moins évident, constate Nelly Greusard. Or nous n’acceptons pas qu’une maman s’alcoolise devant ses enfants. » Une mauvaise évaluation des capacités de la famille peut parfois être à l’origine de complications. « Je pense à une maman de la MECS partie en séjour cocooning à qui nous avions proposé par la suite des vacances en semi-autonomie, raconte Christine Delettre. Mais c’était encore trop tôt car elle se sentait complètement perdue et avait besoin de beaucoup d’étayage. »
Du côté de Vacances et familles, les bénévoles ne sont pas toujours informés par les travailleurs sociaux des problématiques des familles. « On se demande parfois si ces vacances n’ont pas valeur de test, confie Lydie Le Goff. Le problème, c’est que cela peut mettre en difficulté les bénévoles et il est déjà arrivé que des enfants soient placés après le séjour. » Les efforts demandés aux familles, peu habituées à changer d’air, sont parfois trop importants. « On fait le pari de sortir ces familles de leur environnement urbain, souligne Christine Delettre. Elles se retrouvent tout d’un coup en pleine nature ou face à la mer. Cela demande un énorme effort d’adaptation. » Non-respect des règles du camping, budget vacances dépensé en une semaine au lieu de deux, famille qui veut repartir à peine arrivée…, toutes sortes de difficultés peuvent émerger durant ces séjours.
Accompagner parents et enfants en vacances suppose également une posture particulière de la part des professionnels. « Se retrouver en maillot de bain dans un jacuzzi avec une famille n’a rien d’évident, avoue Christine Delettre. Il faut être au clair sur sa posture professionnelle et accepter une certaine proximité. » Selon Magali Scaramuzzino, responsable du pôle « protection de l’enfance » à la fondation Apprentis d’Auteuil, vivre au quotidien avec les parents des enfants hébergés par la MECS constitue « une autre manière d’exercer son métier. Cela ne peut fonctionner qu’avec l’adhésion des équipes, et on n’en est pas encore là dans tous les établissements. »
Le déplacement des travailleurs sociaux sur les lieux de vacances requiert également une bonne organisation. « La principale difficulté, c’est la planification du temps de travail, poursuit Magali Scaramuzzino. Quand on sort un personnel de la prise en charge des enfants à la MECS pour qu’il parte en séjour accompagné avec des familles, cela nécessite d’anticiper son départ et l’organisation du travail dans l’établissement. » Le coût de ces séjours peut aussi représenter un obstacle.
Reste enfin à convaincre de l’utilité d’un projet de vacances dans un contexte de précarité galopante. « Les usagers ne s’autorisent pas à y penser et les travailleurs sociaux sont tellement pris dans l’urgence qu’ils ne prennent pas toujours le temps de travailler sur un tel projet, observe Anne-Marie de Marco, directrice adjointe de l’action sociale au conseil général de Dordogne, qui a permis cette année à quarante familles bénéficiant d’une mesure d’aide éducative (AED) de partir en vacances. Anne-Marie de Marco espère mettre en place dès l’année prochaine des séjours accompagnés pour une à deux familles séparées de leurs enfants. « Les vacances restent perçues comme un luxe, alors que c’est un outil qui permet de travailler autrement », regrette Christine Delettre.
Organiser des séjours familiaux accompagnés requiert plusieurs sources de financements. A la maison d’enfants à caractère social (MECS) Saint-Charles du Vésinet (Yvelines), ces vacances reviennent à 60 € par jour et par personne. Elles sont financées par la participation des parents, le conseil général via le prix de journée de la MECS, la caisse d’allocations familiales via le dispositif Vacaf, le centre communal d’action sociale, les associations caritatives (Secours catholique et populaire) et par des Chèques-Vacances non réclamés donnés par l’Association nationale des Chèques-Vacances, partenaire de la fondation Apprentis d’Auteuil.
A la CAVAL, sur l’île d’Yeu, le séjour revient à 105 € par jour et par personne. Tandis qu’à La Rotourelle, il s’élève à 118,50 € par jour et par personne. « Les conseils généraux ont de plus en plus de mal à réunir ce budget, constate sa directrice Nelly Greusard. Pour l’enfant, c’est assez simple car il est pris en charge par l’aide sociale à l’enfance [ASE]. Mais pas ses parents, sauf à l’ASE de Paris, par exemple, qui possède un budget pour eux aussi. »
(1) L’association propose également des accueils de longue ou de courte durée le reste de l’année –