Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, avait, à l’été 2013, promis un équilibre dans la réforme du système d’asile, entre l’objectif de renforcer les droits des demandeurs – par de meilleures garanties dans les procédures, la réduction des délais d’instruction et l’accès à l’hébergement – et celui de limiter les abus. Après la phase de concertation nationale, jusqu’à l’automne dernier, et le rapport parlementaire qui a suivi, force est de constater que beaucoup d’acteurs, parmi les associations ou les professionnels de la justice, sont déçus du résultat. « Suspicion et contrôle sont les maîtres mots de la réforme » présentée le 23 juillet en conseil des ministres (voir ce numéro, page 57), résume la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA). Selon elle, « l’architecture globale » du projet de loi « montre clairement que les associations n’ont pas été entendues ».
Ses membres – une vingtaine d’organisations, dont Amnesty International, la Cimade, le Groupe d’information et de soutien aux immigrés, Médecins du monde ou le Secours catholique – reconnaissent que le texte apporte plusieurs avancées, qui découlent essentiellement de la transposition du droit européen. C’est le cas du droit au maintien sur le territoire (jusqu’à la fin de la procédure, contentieux compris) pour tous les demandeurs, de la possibilité d’être assisté par un tiers lors de l’entretien devant l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), ou encore de la prise en compte de la composition familiale dans le versement de l’allocation proposée à ceux qui ont accepté l’offre de prise en charge. Il en est de même pour la révision des modalités de désignation des pays d’origine « sûrs ».
Pour autant, « de sérieuses régressions viennent ternir ces quelques avancées », juge la coordination. « Les cas d’examen accéléré des demandes et les cas d’irrecevabilité sont multipliés », déplore-t-elle. Le manque de « coopération » du demandeur pourrait, par exemple, être un motif de clôture de son dossier. Des déclarations incohérentes ou contradictoires pourraient motiver un classement en procédure accélérée (décision qui, néanmoins, pourrait être révisée par l’OFPRA en cours d’examen).
En attribuant à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) la gestion du dispositif d’accueil et l’évaluation de la vulnérabilité du demandeur (en vue d’aménager les modalités d’examen), le projet crée « une confusion dangereuse entre les missions de protection sociale et sanitaire et les activités de surveillance et de contrôle d’une population », s’insurge par ailleurs la CFDA. Au cœur des critiques associatives : la création d’un système d’hébergement directif qui a vocation à mieux répartir le public sur le territoire, mais dont les modalités s’apparentent, selon les organisations, « à une assignation à résidence généralisée ». En cas de refus de l’hébergement proposé, les demandeurs se verraient en effet retirer leur droit aux conditions d’accueil. Idem en cas d’absence prolongée sans autorisation de l’autorité administrative, qui pourrait également entraîner la clôture du dossier par l’OFPRA.
Ces dispositions inquiètent particulièrement la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale). Elles contreviennent « au principe d’accueil inconditionnel des sans-abri », sans compter que le « fichage systématique des personnes hébergées » par la mise en place d’un traitement des données transmises aux autorités est « contraire à la déontologie des associations de solidarité ». Seule solution pour sortir de la crise du dispositif d’accueil, réclame de nouveau la FNARS : « l’ouverture de 20 000 places d’accueil supplémentaires en CADA d’ici à 2017 ». La fédération s’oppose aussi aux dispositions prévoyant qu’un demandeur relevant de la procédure de Dublin puisse être assigné à résidence le temps de la détermination de l’Etat membre responsable de sa demande. « Les associations n’ont pas vocation à se substituer aux services de l’Etat en matière de police des étrangers ! », s’indigne-t-elle.
Pour Forum réfugiés, qui salue au contraire une « dynamique positive », la mise en place d’un schéma national incluant l’ensemble des lieux d’hébergement (CADA ou non) « devrait permettre, en répartissant l’accueil sur tout le territoire et lorsque le nombre de places créées d’hébergement accompagné sera suffisant, d’éviter qu’une partie significative d’entre eux reste sans solution dans les agglomérations où se concentrent les arrivées ». Mais pour être efficace, il devra « prendre en compte la pluralité des besoins du demandeur d’asile » et harmoniser « par le haut » l’accompagnement dans les centres d’urgence, demande l’association. Et quels moyens seront-ils « affectés au très beau slogan “hébergement pour tous” » ?, s’inquiète France terre d’asile.
Alors qu’elle demande de longue date la fin des privations de liberté à la frontière pour tous les mineurs isolés, l’ANAFE (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) déplore la timidité des progrès obtenus. Si le projet de loi « annonce que les mineurs isolés demandeurs d’asile ne seront plus maintenus en zone d’attente, cette mesure est diminuée par des exceptions largement définies » (pays d’origine « sûrs », irrecevabilité de la demande, faux documents d’identité ou de voyage…), regrette l’association. Quatre organisations syndicales – le Syndicat de la juridiction administrative, l’Union syndicale des magistrats administratifs, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature – fustigent quant à elles ce qui pourrait apparaître comme la contrepartie de la généralisation du recours suspensif. « Rendement et éloignement » sont deux « mots d’ordre » de la réforme, estiment-elles, condamnant, notamment, la disposition selon laquelle le bien-fondé des requêtes formulées en rétention devant la Cour nationale du droit d’asile serait examiné par le tribunal administratif (avec un délai de recours réduit à 48 heures). Décriée également : la création d’une procédure de jugement à juge unique devant la CNDA, en un mois, pour les procédures accélérées. Autant de sujets sur lesquels les associations et les syndicats espèrent peser lors de l’examen parlementaire du texte, annoncé pour l’automne, mais dont la date reste encore incertaine.
La plus grande déception suscitée chez les associations par le projet de loi relatif au droit des étrangers porte sur le non-rétablissement de la carte de résident de dix ans renouvelable de plein droit, dispositif « détricoté » au fil des réformes successives. Le texte, également présenté au conseil des ministres le 23 juillet, prévoit de généraliser l’octroi d’un titre de séjour pluriannuel (quatre ans) pour les étrangers ayant déjà bénéficié d’un titre de séjour de un an et répondant à un certain nombre d’obligations. Une mesure qui entraîne l’incompréhension des quelque 160 associations de solidarité signataires du « Manifeste pour un titre de séjour unique, valable dix ans et délivré de plein droit ». Pour elles, l’octroi de cette carte pluriannuelle, qui « pourrait de surcroît être retirée à tout moment », ne suffira pas à gommer les effets de la précarité du séjour des étrangers. D’autant, précise la Cimade, que des « pouvoirs de contrôle démesurés » sont confiés au préfet, puisque ce dernier pourrait « vérifier l’exactitude des informations dont il dispose auprès d’interlocuteurs aussi divers que les fournisseurs d’énergie et de télécommunications, les banques, les entreprises de transport des personnes, la sécurité sociale, les collectivités territoriales, les hôpitaux ou les écoles, au risque de dénaturer leurs missions ». L’association juge, par ailleurs, certaines dispositions dangereuses, comme « la généralisation du bannissement des personnes expulsées par le développement des interdictions de retour en France et en Europe pour une période de trois ans », la « création d’une interdiction de circuler sur le territoire français pour les communautaires », ou encore « la possibilité d’interpeller à leur domicile les personnes assignées à résidence » sur autorisation du juge des libertés et de la détention, y compris dans les établissements d’hébergement. De quoi alimenter les inquiétudes sur la création de centres « semi-fermés » pour les déboutés de la demande d’asile qui, même si elle ne figure pas dans le projet de loi, pourrait y être introduite par voie d’amendements.
Enfin, les craintes de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers sur le transfert de l’évaluation médicale des étrangers malades des agences régionales de santé vers l’Office français de l’immigration et de l’intégration (sur la base d’un avis d’un collège de médecins du service médical de l’OFII) se confirment. En juin dernier, l’observatoire avait estimé qu’une telle réforme, « quel que soit le niveau de tutelle envisagé pour le ministère de la Santé sur cette seule mission, ne ferait qu’aggraver le déséquilibre entre les logiques de contrôle de l’immigration et de protection de la santé ».