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Détente sous-marine

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Depuis deux ans, le Dispositif accueil adolescents de La Sauvegarde 56 (Morbihan) propose des baptêmes de plongée aux jeunes que l’association accueille en internat éducatif. Objectif : développer leur confiance en eux-mêmes et dans les adultes.

Ile de Groix (Morbihan), juillet 2014. Marina, 15 ans, serre fort la main de Marco Lejoly, son éducateur, alors que le Zodiac bondit sur les vagues. A leurs côtés, fermement accrochés aux boudins de caoutchouc, se tiennent quatre adolescents et un éducateur de l’internat éducatif de Lorient, ainsi que le directeur adjoint du pôle enfance de l’association La Sauvegarde 56 (1). Tous volontaires, ils ont mis ce matin leur combinaison et leurs chaussons en néoprène pour faire leur baptême de plongée en mer, accompagnés par cinq plongeurs expérimentés, sous la houlette de Malika Belkhir, éducatrice et plongeuse, à l’origine du projet.

DES JEUNES EN MANQUE DE CONFIANCE

Tétanisée par sa crainte de mettre la tête sous l’eau, d’être emportée par les courants et de perdre pied, Marina supplie l’éducateur de rester tout près d’elle lorsqu’ils plongeront. Une fois l’ancre jetée dans une jolie crique, le masque fixé et les palmes enfilées, la ceinture de plomb attachée autour de la taille, la bouteille sur le dos, la jeune fille se lance, entourée de deux initiateurs bienveillants et de son éducateur. D’abord, elle s’agite en criant très fort sa peur. De longues minutes sont nécessaires pour qu’elle se calme, accepte de prendre le détendeur dans la bouche et, finalement, s’immerge dans l’océan. Vingt minutes plus tard, remontée sur le canot pneumatique, un sourire éclatant sur le visage, l’adolescente ne cache pas sa fierté d’avoir réussi à surmonter ses angoisses et d’avoir pu admirer quelques merveilles de la faune sous-marine. Une fois les baptêmes achevés, les adolescents se jettent par-dessus bord chacun leur tour, dans une joyeuse euphorie. Lors du trajet retour, Marina, soulagée, délaisse son éducateur pour se rapprocher de son ami Fabien, 17 ans.

Marina et Fabien sont tous deux hébergés depuis le mois de mars à l’Unité la Maison (dite ULM), internat éducatif de Lorient rattaché au Dispositif accueil adolescents (2) de La Sauvegarde 56. Une quinzaine de jeunes de 14 à 21 ans, placés sur demande du juge des enfants ou de l’aide sociale à l’enfance (ASE), y résident dans un bâtiment collectif tout neuf, deux studios indépendants ou deux appartements semi-collectifs en ville, selon leur degré d’autonomie. Ils sont encadrés par une équipe constituée de sept éducateurs spécialisés, d’une maîtresse de maison, d’une chef de service, d’un veilleur de nuit et d’une psychologue à mi-temps. Malika Belkhir, y travaille comme éducatrice depuis dix ans et y propose des baptêmes de plongée pour la troisième année. « Pour moi, tout a commencé en 2009, lorsque j’ai fait mon premier baptême avec quatre adolescents et deux éducateurs au cours d’un séjour extérieur, raconte-t-elle. Les jeunes en avaient très envie, mais aussi très peur. Je me souviens notamment d’un jeune qui fumait beaucoup. Il avait un rapport au corps difficile, peur de se montrer, de s’immerger. Pour lui, l’impact a été très positif. Cette initiation a eu des effets tellement incroyables sur eux, ils en sont sortis si détendus, ravis et révolutionnés que j’ai décidé de me former. »

Au fil de son apprentissage de deux ans, qui lui a permis d’acquérir un niveau 3 et un brevet d’initiateur de plongée, l’éducatrice devient de plus en plus certaine de l’intérêt de cette pratique pour des jeunes qui manquent de confiance en eux à cause d’une histoire familiale souvent chaotique. Lorsqu’elle propose de mettre en place des baptêmes de plongée pour les adolescents de son internat, la direction de La Sauvegarde 56 (lire encadré page 28), soucieuse de la sécurité avant tout, lui demande un encadrement professionnel, la certitude qu’il ne s’agit pas d’un sport à risques pour les compagnies d’assurances et l’autorisation des parents. « Une fois ces garanties obtenues, j’ai été assez vite conquis par l’implication de Malika », témoigne Jean-Louis Cartron, directeur adjoint du pôle enfance et responsable du dispositif, venu lui aussi faire son baptême à Groix.

ADOLESCENTS ET ÉDUCATEURS SUR UN MÊME PLAN

En 2012, les premières initiations en piscine débutent pour une dizaine de jeunes et trois éducateurs avec le Club subaquatique lorientais. Chaque baptisé bénéficie de son propre initiateur bénévole. « Le club a été très performant pour la sécurité et a mis en confiance les jeunes comme les adultes, malgré des angoisses fortes, témoigne Yves Colley, éducateur spécialisé à la retraite depuis 2013, après des années à travailler dans les internats éducatifs de La Sauvegarde. Les jeunes ont été surpris de leurs compétences, de leur réussite. Cela a été marquant et a poussé ma collègue à continuer. » L’expérience permet à chacun de relever un défi à sa mesure, en toute sécurité. Adolescents et éducateurs se retrouvent ensemble au bord du bassin à écouter les explications et consignes de sécurité, aussi néophytes les uns que les autres face aux masques, bouteilles, stabs et détendeurs… « C’est intéressant de se retrouver sur la même ligne, avec les mêmes sentiments, alors que d’habitude nous sommes en position haute et eux en position basse, observe Valérie Le Bail, éducatrice spécialisée à l’ULM depuis douze ans, qui a participé au premier baptême. Alors que j’étais très réticente à l’idée d’aller sous l’eau, les jeunes dans la même difficulté que moi m’ont poussée. » Cela a permis de nouer un lien éducatif plus fort, nourri d’une expérience partagée dont les jeunes ont pu se rappeler par la suite, notamment lorsqu’ils traversaient des moments difficiles.

Frédérique Dupont, maîtresse de maison à l’ULM jusqu’en 2013, a elle aussi réussi à surmonter sa phobie de mettre la tête sous l’eau avec l’aide des adolescents. « Notre rôle au quotidien est de rassurer les jeunes, de les amener à dépasser leurs problèmes familiaux, témoigne-t-elle. Grâce à cette épreuve qui nous a fait partager l’angoisse, la peur, le stress, ils ont pu constater que nous et eux étions faits du même bois, que nous pouvions traverser des difficultés et pourtant être toujours là pour eux. » Une expérience enrichissante pour des jeunes dont les parents ont parfois été défaillants. « A la fin, se souvient la maîtresse de maison, nous étions tellement réjouis d’avoir réussi tous ensemble qu’on s’est pris dans les bras en poussant des cris de joie, alors que le contact physique n’est habituellement pas facile pour eux. Il n’y avait plus d’éducateur ou de maîtresse de maison, mais un groupe qui avait partagé une épreuve de dépassement de soi. C’était un grand moment ! »

A l’issue de ce premier baptême, tout le monde s’est retrouvé au club autour d’une collation préparée par les jeunes, afin de rendre à leur manière ce qui leur avait été donné. « Cette première rencontre a été très marquante, se rappelle Valérie Le Bail. La plongée a duré quinze minutes, mais il s’est passé énormément de choses autour : des moments partagés, de la convivialité. Les jeunes ont découvert des personnes qui ont fait du bénévolat pour eux et les bénévoles du club ont appris à connaître des jeunes dont ils avaient peut-être une image négative. » Cela a permis de dépasser de nombreuses idées reçues. Les adolescents ont affiché leur diplôme aux murs de leur chambre, remplis de la fierté d’avoir réussi, de s’être dépassé, d’être allé au bout de quelque chose… « C’est important que ces jeunes soient valorisés et la plongée est une activité rare, qui apporte un petit plus par rapport à leurs amis », souligne Marc Libeau, éducateur spécialisé à l’ULM.

Dès la deuxième année, le baptême en piscine a été complété par la découverte de l’apnée et suivi par un baptême en mer sur l’île de Groix avec le club Subagrec. Y ont été conviés les jeunes et les professionnels d’autres services pour adolescents de La Sauvegarde (les deux internats éducatifs de Vannes, le service d’accueil de jour pour jeunes déscolarisés, le service d’accueil familial et un dispositif pour jeunes en grande difficulté). Laurent Trapani, ancien directeur du Club subaquatique lorientais, qui initie depuis trois ans les adolescents de La Sauvegarde 56, a observé des différences avec le public habituel. « Ces jeunes sont plus renfermés au départ, mais plus joyeux après. Et ils posent beaucoup plus de questions que les autres. » « Est-ce qu’on peut mourir ? », a ainsi demandé Marina lors du rappel des consignes de sécurité à Groix. Une question fondamentale, mais inhabituelle pour un instructeur de plongée…

APPRENDRE À LÂCHER PRISE, À DÉPENDRE D’UN AUTRE

Fabienne Evennou, la psychologue de l’ULM, y voit un élément essentiel de cette expérience : la découverte de la nécessité de faire confiance à l’autre pour vivre quelque chose de nouveau, d’inconnu et qu’on ne peut pas maîtriser. « Pour les jeunes que nous accueillons, la confiance à l’adulte peut être compliquée par des maltraitances ou des carences éducatives, explique-t-elle. S’accorder à faire confiance est un long processus. Et quand ils arrivent à accepter d’aller dans l’eau, c’est que cette confiance a été mise en place. » Le temps passé et les cris poussés par Marina avant de s’immerger totalement dans l’océan en témoignent. « On doit lâcher prise, se laisser couler, dépendre d’un autre, d’une bouteille… », poursuit la psychologue. Un chemin qui peut nécessiter plusieurs étapes et un temps plus ou moins long. Ainsi Marion, 16 ans, a fait le baptême en piscine mais a préféré cette fois-ci accompagner la plongée en mer en observatrice. Deux garçons de l’internat qui s’étaient portés volontaires ne se sont pas présentés à l’heure prévue. « L’un d’eux n’est pas venu à cause de sa peur, car il a un gros passif avec la mer. L’autre a privilégié une fête au dernier moment, sans nous prévenir, détaille Marc Libeau. Nous allons ensuite retravailler avec eux sur leur attitude. »

Avec la nécessité impérative de respecter les consignes de sécurité, la plongée est un outil éducatif très puissant. « Les jeunes qu’on accueille ont souvent des difficultés avec les règles, soit parce que leurs parents ne se sont pas référés à la loi, soit parce que la loi n’a pas été intégrée dans leur espace psychique, souligne Fabienne Evennou. Or, dans la plongée, ne pas respecter la règle, c’est se mettre en danger.  » Au lieu d’être vécue comme répressive, la règle devient protectrice.

Au-delà des aspects éducatifs, les baptêmes de plongée apportent surtout une dimension de plaisir pur. « On a l’impression d’être léger, de se déplacer plus lentement que d’habitude, et j’adore ça ! », lance Mario, 18 ans, en décrivant ce qu’il a ressenti lors de son premier baptême en piscine. « C’est une expérience très régressive d’être coupé du langage, de l’air, de ne plus être soumis à la pesanteur, analyse la psychologue. Le corps flotte dans l’eau tout en étant hyper-contenu par la combinaison. On peut y retrouver une sensation qu’on a pu avoir dans le ventre de sa mère… » Dans les quinze jours qui ont suivi le baptême de mars, l’équipe éducative a observé une plénitude et un bien-être régner dans l’internat. Le plaisir est aussi présent dans le partage des passions entre les éducateurs et les adolescents. Outre la plongée, depuis quelques mois, deux éducateurs passionnés de surf proposent ainsi des sessions de bodyboard et un camp de surf aura lieu cet été. Une autre va initier les ados volontaires à la pêche à pied. « Il y a plein de mômes qui n’ont pas de “kiff” et ne sont que dans le passage à l’acte, observe Marco Lejoly. En les initiant à nos différentes pratiques, on ne leur transmet pas que les bases techniques, mais notre passion. Ça nous fait du bien et ça peut devenir un kiff pour eux. » L’idée est de formaliser davantage ces activités construites au fil de l’eau. « En réécrivant au début de l’année le projet du service adolescent, nous avons décidé de faire des activités nautiques et aquatiques un fil rouge », développe Jean-Louis Cartron. Le soutien des professionnels qui souhaitent assurer la promotion des sports nautiques est donc devenu un des huit axes de travail à court et moyen terme du service, au sein d’une association dont la philosophie générale est de s’appuyer sur les compétences et la motivation de l’équipe éducative. Car ces pratiques bénéficient aussi à cette dernière, au sein de laquelle règne une excellente ambiance. « Nous sommes une équipe pleine d’envies, qui travaille dur et propose des activités que nous aimons et dont nous nous servons comme support de la relation éducative », affirme Malika Belkhir, qui a organisé le week-end à Groix sur son temps de vacances… « Cette autonomie dont bénéficient les membres de l’équipe encourage à être inventifs et créatifs », ajoute Isabelle Jouan, chef de service.

À TERME, ASSOCIER LES FAMILLES AUX ACTIVITÉS

L’année prochaine, des baptêmes en piscine seront proposés avec le club de plongée local de Vannes, avec les deux internats de la ville et quatre autres dispositifs d’accueil d’adolescents. Une manière de rendre l’activité plongée, inscrite depuis cette année dans le projet de service, plus indépendante de son initiatrice Malika Belkhir. Il faudra ensuite proposer d’associer les familles à ces baptêmes. « Nous essayons de nous appuyer sur les potentialités et les compétences des familles, mais nous ne faisons pas encore assez d’activités qui réunissent parents et enfants, reconnaît Jean-Louis Cartron. Or j’ai des souvenirs de navigation sur le Corbeau des mers, avec des pères très éloignés de leurs enfants qui ont été de formidables supports pour retisser du lien. » Une réflexion devra être menée sur ce sujet au sein de l’association, car il inquiète un peu les équipes. « Les parents ont des compétences qu’il faut valoriser, même en cas de placement par le juge des enfants, souligne Isabelle Jouan. Mais nous ne connaissons pas l’impact éducatif de la présence des familles. »

LA SAUVEGARDE 56 Un long périple en mer

Née dans le Morbihan dans les années 1930, l’association La Sauvegarde 56 a une longue tradition maritime. En son sein, des cadres et des personnels ont toujours souhaité accompagner vers la mer ses publics défavorisés, qui en sont éloignés notamment du fait du coût élevé des activités nautiques. Dans les années 1980-1990, le musée de la Résistance lui a confié la gestion du Corbeau des mers, un vieux gréement qui avait rallié l’Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale à l’appel du général de Gaulle. Il a permis de faire naviguer beaucoup de jeunes, jusqu’à ce que des difficultés financières fassent cesser l’aventure. « Nous avons abandonné l’idée d’avoir nos propres moyens comme le Corbeau des mers, mais nous voulons travailler en partenariat avec des associations comme les clubs de plongée, de surf ou Grand Largue » (3), explique Jean-Louis Cartron, directeur adjoint du pôle enfance et skipper bénévole de cette association qui emmène naviguer plusieurs week-ends par an des mineurs sous protection administrative ou judiciaire.

Notes

(1) La Sauvegarde 56, dont le siège est à Lorient, emploie 400 salariés qui ont suivi en 2013 près de 11 000 situations au sein de trois pôles : ressources, insertion adultes et protection de l’enfance.

(2) Appartenant au pôle protection de l’enfance et financé par le conseil général du Morbihan, le Dispositif accueil adolescents a pris en charge l’an dernier 322 jeunes de 14 à 21 ans dans le cadre d’actions éducatives renforcées, de mesures de placement éducatif à domicile ou d’accueil en hébergement collectif, semi-collectif ou diversifié.

(3) www.grandlargue.org.

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