Des parents aimants et préoccupés par le devenir de leurs enfants, remuant parfois ciel et terre pour les « récupérer », mais cumulant des facteurs de vulnérabilité sociale : tel est le portrait du public des services de protection de l’enfance, tel qu’il se dégage de la recherche sur les parents d’enfants placés réalisée pour l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) (1) par Patricia Fiacre, chargée d’études du Cedias-Creahi Ile-de-France, et Claudine Bigote, chargée de mission au CREAI du Nord-Pas-de-Calais, sous la direction scientifique de Jean-Yves Barreyre, directeur du Cedias-Creahi Ile-de-France (2).
La grande majorité des parents rencontre des problèmes de santé, souvent invalidants, et une forte proportion d’entre eux sont sans emploi. « Ces familles peuvent être représentées comme des ensembles en équilibre », commentent les auteurs. Un équilibre instable qui peut à tout moment être perturbé par un événement extérieur. Perte d’un conjoint ou d’un enfant, d’un travail, d’une maison en raison d’un surendettement, du réseau familial ou amical : les parents font état d’une série de pertes subies au cours des années jusqu’à une intervention des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE). La mesure de protection est la plupart du temps justifiée par un fonctionnement familial inadapté, par exemple une confusion des rôles et des places au sein de la famille, une difficulté des parents à poser un cadre aux enfants, ou encore une inconstance dans les soins qu’ils leur apportent.
Les familles se distinguent par leur abord de la mesure. Certaines étaient d’emblée demandeuses d’aide – mais n’ont pas toujours trouvé la réponse souhaitée –, d’autres ont acquis la conviction qu’elles avaient besoin d’être étayées au cours de la mesure, d’autres, enfin, ne partagent toujours pas cette opinion. Quand il existe des divergences entre parents et professionnels sur cette question du type de soutien éducatif adapté, une situation de blocage et un risque de déplacement apparaissent : ce n’est plus l’intérêt supérieur de l’enfant qui guide la nécessité d’une intervention, « le danger est apprécié au regard de la “résistance” qui s’instaure de la part des parents, souvent de manière implicite ou dans la passivité, pour tenir leur position face aux travailleurs sociaux », soulignent les auteurs. Autrement dit, c’est le fait de ne pas adhérer au point de vue des professionnels qui incarne le danger pour les enfants et non la réalité de la relation parents-enfants. La coopération n’est alors plus possible, parce que les attentes réciproques sont déçues : l’attitude escomptée par les uns n’est pas celle des autres. A cet égard, la personnalité des parties en présence joue beaucoup et les situations étudiées ont montré à quel point les relations interpersonnelles peuvent déterminer l’axe de travail. Ainsi, un changement de professionnel peut avoir une incidence importante sur la collaboration des familles, ce dont témoignent les intéressées : « Avec Mme D., ça passe mieux » ; « M. R., lui quand il parle, je sais qu’il est droit ». Dans ce réseau d’acteurs, le référent du service de l’ASE a une place centrale – et la question de sa subjectivité est prégnante. De l’évaluation de la situation à la communication avec le magistrat – auprès de qui il sait quelles informations mettre en avant pour obtenir telle ou telle décision –, le référent de l’ASE a une influence capitale sur le rôle que pourra jouer la famille.
Les modes de représentation du « parent d’enfants placés » chez les professionnels de l’enfance surdéterminent la manière dont ils vont collaborer ou pas avec les familles. « Trop souvent encore, les travailleurs sociaux “estiment” que le prendre soin de l’enfant en danger est incompatible avec le prendre soin de leurs parents. Le danger encouru par l’enfant disqualifie les parents de leurs rôles de protection, de filiation, d’identification et d’éducation. Derrière ces rôles, ce sont les compétences qui sont oblitérées et les potentialités qui sont évacuées, oubliées. » Cette représentation stéréotypée des parents d’enfants placés n’est pas le seul fait des travailleurs sociaux, elle résulte de l’ensemble d’un système qui produit des lois, des décrets et des circulaires dans le cadre de financements prescrits, font observer les chercheurs. « Il est “facile” pour la réglementation en général de prôner la collaboration avec les parents. Si les moyens, en temps notamment, en formation ensuite, ne sont pas donnés, les “autorités” envoient une injonction paradoxale aux acteurs et le système finit, après avoir digéré son malaise, par s’autoréguler… Et donc à faire comme d’habitude », concluent-ils.
La recherche s’est déroulée dans une zone urbaine du Nord de 200 000 habitants et un très vaste territoire « rurbain » de Seine-et-Marne, à la limite sud-est de l’Ile-de-France, composé d’un ensemble de petites communes comptabilisant 30 000 habitants. Les données recueillies, après accord des détenteurs de l’autorité parentale, proviennent de la lecture des dossiers de l’aide sociale à l’enfance et d’un service d’aide éducative à domicile. 28 configurations familiales (dans plusieurs situations, les enfants des fratries sont issus de couples parentaux différents) et 62 enfants bénéficiant d’une mesure judiciaire ou administrative (58 mineurs et 4 jeunes majeurs) constituent le panel de l’étude. Ce matériau a été complété par des entretiens auprès de 17 parents ou couples parentaux et 20 professionnels.
(1) Et présentée également le 13 juin dernier lors de la journée d’étude de l’ONED.
(2) Cf. « Les implicites de la protection de l’enfance. Les parents d’enfants placés dans le système de protection de l’enfance » – Octobre 2013 – Disponible sur