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Participation des usagers : une MECS analyse son expérience

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La maison d’enfants à caractère social (MECS) du Chaudan à Albertville (Savoie) a mis en place des groupes d’expression de parents et d’enfants afin de favoriser leur implication. Une recherche effectuée pour l’Observatoire national de l’enfance en danger examine les freins à la mobilisation des familles, mais aussi les conditions de sa réussite.

L’association des familles et des enfants à la vie des institutions en reste souvent au stade de la figuration dans les projets d’établissement. D’où l’intérêt de l’expérience de démocratie participative menée par la maison d’enfants à caractère social (MECS) du Chaudan à Albertville (Savoie). Cet établissement en a d’ailleurs fait le sujet d’une recherche réalisée pour l’Observatoire national pour l’enfance en danger (ONED) (1), en partenariat avec l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) (2).

Au Chaudan, la participation est une longue histoire. La thématique apparaît dès 2001 au sein d’un groupe de réflexion réunissant des cadres et des éducateurs de l’institution. Celui-ci recense les actions organisées par la MECS pour impliquer les parents et les enfants et les projets à développer en ce sens. Conforté par la loi 2002-2, ce groupe met en place différents moyens – groupes de parole, ateliers d’expression graphique – pour co-élaborer les outils réglementaires avec les enfants et les parents (livret d’accueil, règlement de fonctionnement, charte des droits et des libertés…). A partir de 2008, la MECS se trouve à la tête d’une palette de dispositifs participatifs qui sont, pour partie, prévus par la loi 2002-2 et, pour partie, des innovations « maison ». Il en est ainsi de l’instauration d’une contribution écrite des parents et des jeunes au rapport de fin de mesure, où ils peuvent faire état de leur propre bilan. Pour veiller à l’application de ces dispositifs et en promouvoir d’autres, un comité de pilotage « droits et participation des usagers » (DPU) se réunit deux heures chaque mois. Il est notamment composé d’un éducateur de chaque service (garant de la diffusion de la réflexion auprès de son équipe) et de membres de la direction – le directeur, ses adjoints et le chargé de mission DPU – (garants au plan institutionnel).

UN APPRENTISSAGE DE LA PAROLE

L’Odenore a étudié de près les groupes d’expression mis en œuvre en lieu et place du conseil de vie sociale dont les MECS sont dispensées. Groupes d’expression des enfants, d’une part, et groupes d’expression des parents, d’autre part, sachant que le public concerné est mixte : il rassemble celui de l’internat et celui des services d’accompagnement social et éducatif de proximité (SASEP) de la MECS – deux accueils de jour dont les prestations se situent à mi-chemin entre aide éducative en milieu ouvert et placement. Chez les adultes, comme chez les jeunes, les groupes d’expression sont co-animés par deux usagers et un professionnel sans rôle éducatif auprès des participants. Tous trois bénéficient au préalable d’une formation à l’animation de groupe par une intervenante extérieure. A la différence d’autres espaces de rencontre avec les professionnels destinés à gérer des problématiques personnelles, les groupes d’expression visent à favoriser l’expression des usagers sur les sujets qui les concernent collectivement (organisation, encadrement, moyens matériels) afin que les projets répondent à leurs attentes. Soit un apprentissage de la parole et du débat et une prise de conscience de sa capacité d’agir sur son environnement.

Au vu de l’enquête réalisée sur la session des groupes d’expression en 2012, le niveau d’engagement des usagers se révèle très inégal. Pour les spécialistes du non-recours aux droits sociaux de l’Odenore, la recherche doit précisément mettre à jour les freins à la participation. Du côté des jeunes, la répartition par tranches d’âge et par modes de prise en charge (internat et hébergement exter­nalisé de jeunes majeurs, ou milieu ouvert) a été déterminante sur la venue des intéressés à la réunion. En hébergement, les petits (5-12 ans) et les moyens (13-15 ans) sont très présents. Même si la participation se fait sur la base du volontariat, ces jeunes semblent être un public « captif ». Leurs aînés, en revanche, paraissent affranchis de tout sentiment d’obligation : plus de la moitié des internes ou hébergés extérieurs de 16-21 ans se sont abstenus de venir. En SASEP, au contraire, les plus petits (5-10 ans) – tributaires de l’accompagnement de leurs parents – sont nettement moins présents que leurs aînés (11-17 ans) : ces derniers sont amenés au service par les éducateurs depuis leur lieu de scolarisation. Globalement, « les causes de la non-participation renvoient le plus souvent à des motifs d’ordre matériel et on ne trouve pas de franche opposition de principe dans les entretiens réalisés auprès des non-recourants », commentent les chercheurs.

Les groupes d’expression ont été très riches en propositions. Les co-animateurs jeunes et éducateurs sont allés les défendre lors d’une séance de concertation avec le directeur et le chargé de mission DPU. De la demande des internes de 5-12 ans que les douches de leur unité soient renovées à celle, émanant des ados de SASEP, de varier les repas du mercredi et d’être associés à l’élaboration des menus, en passant par le désir des 16-21 ans en hébergement (ou hébergement externalisé) de ne pas rester sans activités pendant les vacances scolaires ou par le vœu de résidents de 13-15 ans d’une plus grande transparence sur l’utilisation des 5  € mensuels prélevés sur leur argent de poche, au total vingt-cinq revendications ont été présentées. « La grande majorité d’entre elles a eu des suites favorables » et leur mise en œuvre a été, autant que possible, le fruit d’un travail collaboratif entre les jeunes et l’équipe éducative, précise Laurent Pachod, chargé de mission « droits et participation des usagers ».

« INCITER CHACUN À S’ENGAGER »

Néanmoins, au vu des résultats mitigés sur le niveau de participation, l’institution s’interroge sur la façon de favoriser la venue des enfants et adolescents. « Les professionnels de la MECS insistent sur l’importance qu’ils accordent aux explications et aux encouragements à apporter pour inciter chacun à s’engager », notent les auteurs de l’étude. Il y a aussi un effet d’entraînement à voir se concrétiser les avis émis. A contrario, des laps de temps trop importants constituent un facteur très démobilisateur. En 2012, trois mois se sont écoulés entre la tenue des groupes d’expression et la séance de concertation. Puis à nouveau plusieurs mois ont été nécessaires pour certaines réalisations. Or les durées de séjour à la MECS étant relativement courtes, « ces délais sont la difficulté principale que nous rencontrons aujourd’hui », reconnaît Laurent Pachod – « même si le fait de ne pas avoir une réponse immédiate fait partie de l’apprentissage d’un processus démocratique ». Les chercheurs invitent, par ailleurs, à réfléchir sur la notion même de « participation organisée » : celle-ci a pour inconvénient d’occulter la participation spontanée aux multiples échanges qui ont lieu au quotidien. Pour autant, une nouvelle vague de groupes d’expression a démarré début 2014 – sur des bases légèrement modifiées, notamment dans le mélange des âges. Sachant que participer est un droit et pas une obligation, « la MECS du Chaudan n’a pas d’autre choix que de persévérer pour que le plus grand nombre s’engage délibérément dans les dispositifs proposés », estime l’Odenore.

S’agissant des adultes cependant, le maintien des groupes d’expression destinés aux parents d’enfants placés est beaucoup plus problématique. En effet, les parents des SASEP sont relativement nombreux à se mobiliser sur ce temps collectif (entre un quart et un tiers du public concerné en 2012), contrairement à ceux de l’internat. Depuis le lancement des groupes d’expression en 2010, aucune réunion n’a pu se tenir avec les parents de l’hébergement, les propositions s’étant soldées par l’absence des intéressés le jour J. L’abondante offre de participation empêche certains parents « de situer clairement les groupes d’expression dans la panoplie des rencontres organisées par la MECS », diagnostique l’Odenore. Des professionnels évoquent aussi « une possible fatigue des parents, qui seraient en quelque sorte essorés par la demande permanente de parole en provenance de l’institution ». A cela s’ajoute l’absence d’intérêt pour les réunions, en général exprimé par des non-participants que les chercheurs ont interviewés. Ces réfractaires se disent las d’échanges qui ne changent pas grand chose à leurs problèmes ou bien ils sont carrément « en colère après une institution qui ne les écoute pas assez sur les questions qui les préoccupent au premier chef, à savoir l’éducation et la prise en charge de leurs enfants ».

REVOIR LES MODALITÉS DE PARTICIPATION

La différence de participation entre les parents du milieu ouvert et ceux de l’hébergement traduirait leur plus ou moins grande adhésion à la mesure éducative. « Les parents des SASEP sont plutôt dans l’empathie avec l’intervention institutionnelle, qu’ils assimilent plus souvent à une aide qu’à une contrainte imposée […]. Il n’en est pas de même pour les parents de l’hébergement, dont l’histoire est plus lourde et compliquée à gérer », analysent les chercheurs. Aussi préconisent-ils de repenser le protocole de mobilisation de ces derniers, ainsi que les modalités de parole à leur proposer (par exemple en petits et non en grands groupes, avec des thèmes ciblés, en utilisant le support de moments festifs). « Il nous apparaît également utile d’imaginer une formation collective des professionnels, susceptible de mettre au travail la question des postures, des outils favorisant la participation des usagers » et les effets de celle-ci sur les interactions usagers-travailleurs sociaux, complète Laurent Pachod, précisant que cette formation est prévue pour 2015. « Nous avons aussi repéré les limites d’une recherche qui a été construite uniquement par des professionnels et des universitaires, c’est-à-dire dans laquelle les parents et les enfants n’ont pas été sollicités autrement que comme objets d’étude », ajoute-t-il. Désormais, pour privilégier une dynamique plus ascendante, le comité de pilotage « droits et participation des usagers » comprend quatre parents – dont une mère qui a ses enfants placés et une autre dont les enfants, après l’avoir été, bénéficient aujourd’hui d’une mesure SASEP. S’il n’y a pas encore de jeunes dans cette instance – il faut d’abord penser leur place et la forme de leur participation parmi dix-huit adultes (quatorze professionnels et quatre parents) –, leur intégration est à l’ordre du jour.

Notes

(1) Elle a été présentée le 13 juin dernier, à Paris, lors d’une journée d’étude de l’ONED sur « La parole des familles et des enfants en protection de l’enfance » – http://oned.gouv.fr.

(2) « Analyse compréhensive de la participation et non-participation des usagers de la MECS du Chaudan aux groupes d’expression » – Par Michelle Daran, Pierre Mazet et Philippe Warin pour l’Odenore, Patrice Calmo et Laurent Pachod pour la MECS – Juillet 2013 – Disponible sur odenore.msh-alpes.fr/etudes.

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