« Rencontrer les enquêteurs de la brigade des mineurs, c’est faire le pari de pouvoir enquêter sur notre jeunesse dans ce qu’elle a de plus intime. Les flics ouvrent toutes les portes, fouillent tous les recoins ; ils observent la société au plus près. » C’est par hasard que Claire Berest s’est intéressée à la brigade de protection des mineurs (BPM). Elle faisait des recherches pour son prochain livre, dans lequel un des personnages devait être enquêteur. Le policier qu’elle rencontre l’impressionne – « Entendre le récit de crimes commis sur des enfants, et par des enfants, ouvre une porte qu’on laisse d’habitude soigneusement fermée », commente-t-elle. Depuis son expérience de professeure dans un lycée sensible, la jeune romancière s’interrogeait sur une jeunesse « en pleine mutation ». Enfants perdus répond à ce questionnement. C’est un document qui relève davantage de l’observation, de l’immersion, que de l’analyse. S’il est surtout centré sur les policiers parisiens du 12, quai de Gesvres, on y croise également, tour à tour, un pédopsychiatre, un homme politique, une éducatrice spécialisée et de nombreux enseignants, qui donnent peu d’espoir sur l’avenir des enfants et des adolescents dont les valeurs ont été chamboulées parce qu’ils ont grandi avec Internet et la pornographie. « Des adolescents égarés dans le labyrinthe d’Internet, lieu de surexposition qu’ils ne maîtrisent finalement pas assez pour jouer avec lui et s’en protéger, analyse un témoin. […] On peut avoir une petite fille toute sage, et sur Facebook elle a un profil de call-girl. C’est déroutant. » A la BPM, on parle à Claire Berest d’histoires glauques, de cas souvent similaires, mais aussi de la tendance à l’abaissement de l’âge des auteurs et des victimes dans les affaires d’agressions sexuelles : « Il n’y a pas de chiffres ni d’études pour confirmer leur impression. Il n’y a qu’une évidence, qui s’impose à eux. » Elle est surprise d’entendre parler de « miols », terme qui désigne les situations où les filles sont « molles dans leurs déclarations ». « Ce sont ces viols bancals, pas clairs, commis sur des personnes dont le statut de victime est difficile à établir sans ambiguïté, les “mictimes”, explique un policier de la brigade. Les gamines zonent, elles peuvent être émoustillées par un compliment, ou elles connaissent un mec de vue. […] Elle est d’accord pour le suivre. Chez lui, il a trois mecs. Voilà. » Ces filles piégées deviennent victimes. Mais quand elles racontent leur histoire, c’est une gageure pour les policiers d’en dénouer les fils. Ils avouent « se planter », parfois.
Au fur et à mesure de son enquête, l’auteure est confrontée à ses propres tabous. Elle se dit répugnée par « cet étalage cru, chez de jeunes adolescents, d’une sexualité brutale, parfois violente, toujours prête à déraper dans l’ignoble ». Ses pérégrinations la ramènent à son point de départ : « Il y a une jeunesse abandonnée à ses dérives, et qui doit se débrouiller avec ce qu’elle a – pas grand-chose, en réalité. Une génération sacrifiée. »
Enfants perdus. Enquête à la brigade des mineurs
Claire Berest – Ed. Plein jour – 18 €