Les enfants handicapés qui partent en vacances en dehors de leur famille ou de leur établissement habituel peuvent bénéficier de l’infrastructure des centres de vacances pour mineurs. Les adultes handicapés n’ont pas cette chance : lorsqu’ils ne sont pas assez autonomes pour partir par leurs propres moyens et même s’ils bénéficient d’un accompagnement en matière de santé, de logement et de travail, ce temps particulier des vacances, hors du temps familial et du temps institutionnel, reste considéré pour eux comme secondaire. « Il n’y a pourtant pas de raison qu’au motif de l’âge les adultes soient empêchés de vivre ce temps indispensable dans la vie de tout un chacun », observe Jean-Louis Garcia, président de la Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés (APAJH).
Impossible toutefois de nier les avancées réalisées depuis une quarantaine d’années. A la suite d’importants précurseurs, comme les Eclaireurs et éclaireuses de France (EEDF) qui, dès les années 1950, ont créé des séjours spécifiques pour adultes handicapés, la décennie 70 a vu fleurir de petites structures composées de bénévoles (en partie des parents d’adultes handicapés), souvent à l’initiative d’établissements médico-sociaux. « Les premières associations de tourisme adapté sont nées dans la mouvance de mai 68 : il s’agissait de promouvoir l’accès aux loisirs, à la culture et aux vacances des personnes handicapées », explique Jean-Jacques Delattre, président du Conseil national des loisirs et du tourisme adaptés (CNLTA) (1). Cette préoccupation a été prise en compte par la loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées qui leur reconnaît un ensemble de droits, dont celui aux vacances. Dès l’origine, les vacances adaptées sont également une réponse aux besoins de répit des familles. Elles offrent, en outre, une solution d’accueil aux résidents lors de la fermeture des établissements, principalement en août et durant les vacances de Noël – périodes où se concentrent la majorité des départs.
Bien qu’à la croisée de législations diverses (accueil de groupe, sécurité sanitaire, transports…) et malgré les risques inhérents à l’accueil de ces personnes vulnérables, le secteur se déploie alors en dehors de tout cadre juridique. « A cette époque, nous ne dépendions d’aucun ministère, observe Jean-Jacques Delattre. Nous nous occupions de personnes handicapées, mais les Affaires sociales nous orientaient vers le ministère de la Jeunesse et des Sports, lequel nous répondait qu’il s’occupait exclusivement de séjours de vacances pour mineurs. Et, côté tourisme, la seule exigence ministérielle consistait à nous conformer au code du tourisme qui ne prend nullement en compte le handicap. »
Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que certains organismes proposent des séjours peu scrupuleux. « Même si la DDASS [direction départementale des affaires sanitaires et sociales] intervenait en cas de dysfonctionnement, il n’y avait aucune inspection systématique », poursuit Jean-Jacques Delattre. « Beaucoup de structures en ont profité pour faire n’importe quoi », complète Alain Marché, responsable national vacances adaptées aux EEDF. « Le meilleur côtoyait le pire avec, d’un côté, des séjours calqués sur les colonies de vacances qui accueillaient parfois jusqu’à cinquante ou soixante personnes et, de l’autre, des vacances inspirées du tourisme familial avec une organisation sur le modèle des séjours pour personnes âgées : il a fallu tout inventer », se rappelle Jean-Pierre Kubiak, directeur de l’association Loisirs Culture Vacances (LCV).
Le secteur, qui souffre d’une mauvaise image, s’organise et se professionnalise au cours des années 1980. Créé en 1990, le CNLTA s’attache à développer des références communes. Mais c’est la loi « handicap » du 11 février 2005 qui marque un tournant en reconnaissant les« vacances adaptées organisées ». Les organismes doivent désormais obtenir un agrément dont les conditions sont précisées par le décret du 29 décembre 2005.
Près de dix ans plus tard, alors qu’on estime entre 200 et 250 les organismes de vacances adaptées en France (en majorité des associations mais aussi quelques structures commerciales), les pouvoirs publics ont décidé de mieux encadrer le secteur : un nouveau décret devrait préciser la législation en matière de sécurité et de bien-être des usagers (voir page 29).
Si réglementer se révèle indispensable, le secteur défend toutefois bec et ongles la dimension « vacances » : pas question pour les organisateurs de devenir des établissements « bis ». « Il faut travailler à un juste équilibre entre la sécurité et la qualité, avance Sébastien Bort, responsable national des vacances adaptées à l’Union française des centres de vacances (UFCV), l’un des plus importants organisateurs de séjours adaptés en France – plus de 7 000 adultes accueillis chaque année. Les pouvoirs publics nous observent de très près et c’est une bonne chose. Pour autant, nous ne sommes ni des médecins ni des éducateurs : si la sécurité prend le dessus, le propre de nos séjours – la notion de vacances – risque de disparaître. » Même son de cloche chez Alain Marché : « La réglementation est nécessaire, mais elle ne doit pas remettre en cause notre projet de départ qui n’a rien à voir avec celui de l’institution : l’encadrement, par exemple, n’est pas réalisé par des professionnels du handicap mais par des accompagnateurs qui ont reçu une formation interne. » « Il n’est pas question pour nous de corseter ce moment privilégié des vacances, renchérit Jean-Jacques Delattre. Il faut garder à l’esprit que nous n’avons pas la même mission que les établissements médico-sociaux : nous revendiquons un cadre plus léger avec une médicalisation moins poussée et une équipe dont le socle ne repose pas sur des éducateurs spécialisés. »
Pour Jean-Louis Garcia, les séjours adaptés n’ont ainsi rien à voir avec les transferts d’établissements tels qu’ils se sont longtemps pratiqués – et qui existent parfois encore : « Partir avec le même groupe et les mêmes professionnels dans une autre institution, ce ne sont pas des vacances. Ces dernières doivent marquer une rupture avec le secteur médico-social pour que la personne handicapée découvre d’autres individus, d’autres murs, d’autres activités… » « Un séjour adapté est une respiration dans la vie des résidents : les encadrants sont différents, de vraies rencontres peuvent avoir lieu, des liens se créent entre adultes qui débouchent même parfois sur des liens entre établissements », observe Régis Mangeant, directeur du foyer de vie Michèle-Bezeulin à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire). « Ce qui compte, c’est l’ambiance », complète Jean-Pierre Kubiak. Un séjour repose, selon lui, sur la notion de « projet » telle qu’elle est développée par le mouvement de l’éducation populaire : « Il ne suffit pas de respecter les normes alimentaires ou sanitaires, il faut aussi prendre en compte la personne dans sa globalité et lui proposer des moments d’animation autour d’interventions théâtrales, artistiques… pour qu’elle vive des choses auxquelles elle n’est pas habituée le reste de l’année. » « Nous faisons en sorte que les personnes vivent la collectivité d’une autre façon qu’en institution dans une atmosphère agréable où la dimension d’échanges et de bien-être est centrale : dans ces conditions, pourquoi interdire aux vacanciers de manger deux fois de suite des frites comme cela arrive à tout un chacun en vacances ?, se demande Denis Gaboriau, directeur de l’association Roulottes et Nature. Légiférer, oui, mais pas à n’importe quel prix : on ne doit pas perdre le climat familial, l’authenticité et surtout le plaisir ! » Se coucher tard pour assister à un feu d’artifice, partir à deux en vélos pendant que le reste du groupe préfère rester au gîte : autant de bons moments que l’institution permet rarement.
Affranchis du cadre souvent routinier et parfois surprotecteur des établissements, certains adultes révèlent des capacités insoupçonnées ; d’autres redécouvrent une liberté qu’ils n’ont plus l’habitude d’exercer : « Je me souviens d’une vacancière qui, au réveil, me demandait comment elle devait s’habiller. Elle n’en revenait pas de pouvoir le faire comme elle le souhaitait », raconte Denis Gaboriau. « Les vacances sont tout simplement une façon d’aborder la vie, de sortir du comportement-type que la personne s’est forgée au fil des années dans l’établissement, de se redécouvrir soi-même », avance Béatrix Caruel, responsable Vacances et Loisirs au sein de l’Association des amis et des parents d’enfants inadaptés (AAPEI) Epanou à Seynod (Haute-Savoie).
Ce qui n’empêche pas les membres du CNLTA d’aller globalement bien au-delà de la réglementation en vigueur : dès son origine, l’organisme a élaboré une série de normes internes pour améliorer la qualité des séjours. Depuis 1999, une charte de qualité fixe des exigences (encadrement, taille du groupe, hébergement…) contrôlées par des visiteurs bénévoles. En complément, une grille d’évaluation de l’autonomie des publics permet de déterminer le taux d’encadrement nécessaire. « Ce qui nous intéresse, ce n’est pas le handicap des personnes – nous n’avons pas vocation à remplacer l’accompagnement médico-social – mais leur degré d’autonomie pour qu’elles puissent l’exercer pleinement dans le cadre d’un groupe homogène », explique Jean-Jacques Delattre.
En outre, alors qu’il n’existe pas de diplôme spécifique pour le tourisme adapté adulte, un « référentiel de formation de l’animateur-accompagnateur et du responsable de séjours adaptés » a vu le jour à l’initiative du CNLTA dans les années 2000. Une garantie de qualité dans un secteur où les encadrants s’engagent ponctuellement – sous le statut de volontaires dans le cadre d’un contrat d’engagement éducatif – avec un taux de renouvellement important d’une année sur l’autre. « A l’avenir, on pourrait même imaginer un brevet d’aptitude pour les accompagnateurs sur le modèle du BAFA pour les mineurs », avance Jean-Jacques Delattre. Cette dernière option fait cependant débat au sein même du CNLTA. « Un adulte handicapé est certes une personne vulnérable, mais c’est aussi un individu majeur qui, dans de nombreux cas, a une autonomie importante. Savoir animer des veillées, cela peut être très utile pour gérer un groupe d’enfants mais c’est beaucoup moins vrai lorsqu’on a affaire à des adultes », précise Jean-Jacques Delattre.
Construire des outils propres au secteur n’est pas sans difficulté compte tenu des situations très variées auxquelles sont confrontés les organisateurs de séjour : de l’adulte polyhandicapé très dépendant à la personne qui vit seule dans son appartement le reste de l’année. Pour répondre à la diversité des cas, outre le cadre proposé par le CNLTA (2), les organismes les plus sérieux ont fait le choix de petits groupes homogènes. Pas question « d’effectuer un “ramassage national” comme certains organismes le pratiquent pour constituer des groupes de plusieurs dizaines de personnes », martèle Jean-Pierre Kubiak. Dans sa structure, qui privilégie des séjours de huit vacanciers dans des lieux familiaux (Gîtes de France par exemple), il n’est pas rare que deux véhicules soient prévus pour individualiser au maximum les vacances.
Opter pour des groupes réduits constitue en outre « une condition fondamentale pour favoriser l’intégration sociale », avance Jean-Jacques Delattre. « Comment tendre vers l’inclusion lorsque cinquante personnes handicapées sortent d’un car avec la même casquette jaune en guise de repère visuel ? Tout se fait de façon beaucoup plus aisée quand quatre ou cinq vacanciers se promènent dans un marché ou s’installent sur une plage », confirme Jean-Pierre Kubiak. Lorsque le degré d’autonomie le permet, certains séjours adaptés sont d’ailleurs organisés en milieu ordinaire. A Grenoble, l’Association loisirs et promotion des activités sociales (ALPAS) favorise les séjours en mobil-home dans des campings ouverts à tous. Quelques organismes proposent même des séjours avec un encadrement à distance pour des adultes handicapés très autonomes – c’est le cas des EEDF : « Les personnes partent seules, à deux ou en couple avec un encadrant qui séjourne soit sur le même lieu, soit à quelques kilomètres et qui passe une fois par jour voir si tout va bien », explique Alain Marché.
En revanche, pour les adultes très dépendants, en complément d’un encadrement qui peut aller jusqu’à un accompagnateur pour un vacancier, il est nécessaire de prévoir des lieux spécifiques avec des locaux accessibles en fauteuil et éventuellement des lits médicalisés. « Même si l’accompagnement est beaucoup plus complexe – nous proposons d’ailleurs des modules de formation spécifique –, il y a un vrai besoin pour ces personnes qui sortent très peu de l’institution : les amener au bord de la mer, c’est parfois pour elles une vraie révolution », explique Sébastien Bort.
« Les personnes handicapées sont au cœur de nos séjours, affirme Jean-Pierre Kubiak. C’est à nous de nous adapter, pas l’inverse ! C’est pourquoi nous ajustons sans cesse notre catalogue en fonction de leurs remarques et de leurs besoins. » Le conseil d’administration de son association compte d’ailleurs plusieurs personnes handicapées, qui interviennent régulièrement pour expliquer ce qu’elles attendent de leurs vacances lors des formations à destination des encadrants. Même préoccupation au sein de Roulottes et Nature : « Nous invitons nos animateurs à prendre en compte en permanence les attentes des vacanciers : ils doivent être extrêmement attentifs à ne pas influencer les personnes et imposer leur volonté – ne serait-ce que pour le choix des chambres ou une séance de cinéma », précise Denis Gaboriau.
Certains adultes handicapés sont toutefois trop en difficulté pour partir : « Nous sommes en mesure d’organiser la continuité de soins légers avec des infirmiers ou des services médicaux locaux – remplacer un pansement, réaliser une injection, voire organiser un déplacement à l’hôpital pour une dialyse –, mais nous ne sommes pas compétents pour organiser un séjour totalement médicalisé. Nous ne sommes pas non plus en capacité de gérer des adultes qui ont d’importants troubles du comportement », observe Sébastien Bort.
Malgré ces limites, la qualité des séjours – en particulier en termes de ratio d’encadrement – a un coût loin d’être négligeable. Pour trois semaines de vacances, il faut compter de 2 000 à 2 500 € pour les associations qui respectent la charte de qualité du CNLTA, soit un prix de journée moyen d’environ 110 €. Un montant qui peut descendre à 70 € chez d’autres organismes. « Mais, dans ce cas, les prestations ne sont pas les mêmes tant dans les activités proposées que le nombre de vacanciers qui peut s’élever à quarante personnes contre une vingtaine maximum pour les adhérents du CNLTA », observe Alain Marché. Les personnes handicapées peuvent certes obtenir un appui financier par le biais de l’aide exceptionnelle de la prestation de compensation du handicap ou de subventions allouées par certains conseils généraux. Néanmoins, la plupart des organisateurs constatent une baisse de la durée des séjours – désormais plus proche d’une dizaine de jours contre trois semaines auparavant – qu’ils attribuent principalement au prix élevé.
Dans ce contexte, certains redoutent que le portail Internet, qui devrait voir le jour en complément du nouveau décret – pour recenser les organismes de vacances adaptées et pour délivrer des informations utiles au public –, ne fasse du tarif « la seule variable influençant le choix d’un séjour », indique Alain Marché. Si les prix ne devraient finalement pas apparaître, la crainte n’est pas sans fondement : « Certains établissements médico-sociaux ne se préoccupent nullement de la qualité ; des équipes se contentent de montrer le catalogue aux usagers qui choisissent le séjour associé à l’image qui leur plaît le plus », déplore Jean-Pierre Kubiak. C’est le cas lorsque les personnes sont inscrites faute d’autres solutions, pour répondre à la fermeture (ou au fonctionnement à effectif réduit) de leur institution.
Une réalité inadmissible, pour Jean-Jacques Delattre, qui se félicite que les établissements soient de plus en plus nombreux à assurer un service toute l’année : « Il n’est pas question pour nous d’être considérés comme une roue de secours des institutions. Pour que le séjour soit réussi, l’accueil doit se faire avec une personne volontaire dans le cadre d’un partenariat avec l’établissement, la famille ou le tuteur avec des réunions d’information en amont et un bilan en aval du séjour. » « Les liens noués avec les établissements sont fondamentaux car ils permettent d’instaurer une relation de confiance nécessaire à l’orientation des personnes vers le bon séjour », confirme Alain Marché. « Nous ne sommes pas que des prestataires de services. Entretenir des relations durables avec les établissements nous permet de connaître au mieux les personnes handicapées qui partiront avec nous : pas question, par exemple, de proposer une destination éloignée à quelqu’un que le voyage risque d’éreinter », renchérit Jean-Pierre Kubiak. Si des expériences positives existent (voir encadré, page 27), la sensibilisation des institutions quant à l’intérêt de vacances adaptées de qualité n’en est toutefois qu’à ses prémices…
L’Association des amis et des parents d’enfants inadaptés (AAPEI) Epanou, qui gère plusieurs établissements en Haute-Savoie, s’est dotée d’un chef de service entièrement consacré aux loisirs et aux vacances. Si la démarche reste une exception, son intérêt est indéniable. En termes de connaissance du secteur, d’abord : « Malgré leurs brochures aguicheuses, je refuse de travailler avec certains organismes dont j’estime que les pratiques sont trop commerciales, explique Béatrix Caruel qui occupe ce poste. Je me détourne également de ceux qui organisent des départs en grands groupes. Notre public vit déjà toute l’année en institution et il aspire à autre chose. Je fais également très attention à la formation des encadrants. En effet, même si le lieu est formidable, que la literie est parfaite, que les repas sont bons, le séjour est raté si les accompagnateurs ne sont pas à la hauteur. » L’existence de ce service atypique permet aussi de respecter au mieux les attentes des usagers. « Il n’est pas question pour moi d’inscrire quinze personnes à un même séjour, précise Béatrix Caruel. Grâce à un questionnaire, je prends le temps d’évaluer chaque résident globalement pour connaître avec précision son autonomie, son rythme de vie, ses goûts. Je reçois ensuite individuellement les personnes, leur famille et/ou leur éducateur pour effectuer un pré-choix. Lorsque la brochure définitive est publiée, l’inscription se fait très rapidement, ce qui est nécessaire pour être sûr d’avoir le séjour demandé. »
(1) Le CNLTA regroupe une quarantaine de structures organisatrices de séjours adaptés, principalement en direction d’adultes handicapés mentaux et psychiques, ainsi que des représentants d’usagers, comme l’Unapei – Le CNLTA organise une journée de réflexion interrégionale sur la place des vacances dans le projet de vie des personnes handicapées le 9 décembre à Montpellier –
(2) Petit dernier des outils réalisés par le CNLTA, un mémento juridique, en cours de finalisation, sera bientôt diffusé.