Sept ans après la réforme des tutelles qui a créé la profession de mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM), les associations de professionnels ou de services mandataires planchent sur la déontologie de ce nouveau métier, qui peut être exercé dans un service associatif, en libéral ou dans un établissement en tant que préposé.
Comment protéger une personne dont les facultés sont altérées tout en recherchant son autonomie et son consentement ? Comment mesurer son intérêt et respecter ses droits ? Comment ne pas être trop interventionniste tout en étant protecteur ? « Le mandataire judiciaire est face à plusieurs interrogations : le périmètre et les limites de son intervention, ce que signifie protéger et à partir de quand et au nom de quoi », explique Pierre Bouttier, président de l’Association nationale des délégués et personnels de services de tutelles (ANDP). « L’éthique doit permettre d’explorer les points aveugles de la loi. Par exemple, le mandataire est chargé de réaliser, dans les trois mois qui suivent l’ouverture de la mesure de protection, un inventaire des biens de la personne protégée. Comment faire si elle refuse que le mandataire entre chez elle ? La question éthique est de savoir s’il doit aller au forceps pour être en conformité avec la législation ou respecter la vie privée de la personne et tenter, en prenant plus de temps, de gagner sa confiance. »
Certes, la formation que doivent suivre tous les mandataires depuis 2009 prévoit un volet sur l’éthique et la déontologie, mais elle ne suffit pas à aborder toutes les situations complexes (1). Conscients des manques en la matière, six réseaux de professionnels et de services – l’ANDP, l’UNAF (Union nationale des associations familiales), la CNAPE (Convention nationale des associations de protection de l’enfant), la FNAT (Fédération nationale des associations tutélaires), la Fédération nationale des mandataires individuels et la Fédération nationale des préposés d’établissements – ont décidé, depuis quelques mois, de partager leur réflexion (2).
Pour l’heure, pas de projet commun, chaque organisation s’est surtout attelée à élaborer son propre document de référence. L’ANDP vient ainsi de finaliser une charte professionnelle de quinze articles qui « posent des fondamentaux » et « visent autant à introduire une déontologie du MJPM qu’à favoriser l’éthique dans les situations singulières et difficiles dans lesquelles nous sommes pris au quotidien ». Ce document indique que le MJPM a pour rôle de « promouvoir l’effectivité des droits fondamentaux et libertés individuelles de la personne sous protection juridique ». Son action a pour finalité « l’intérêt de la personne protégée », il « promeut et assiste autant que possible l’autonomie de la volonté de la personne ». Selon le texte, le mandataire doit « garantir un désintéressement personnel dans tous les actes promus ou accomplis dans l’exercice de sa mission ». Autant de principes qui viennent compléter le référentiel métier diffusé par l’association en mars dernier, une somme de 80 pages qui retrace l’ensemble du cadre de travail des mandataires et présente leurs principales fonctions.
De son côté, l’UNAF – dont les services des unions départementales exercent environ 140 000 mesures sur tout le territoire – a élaboré, dès 2010, un document de « références éthiques et déontologiques » diffusé dans ses services. La CNAPE s’apprête aussi à lancer des travaux sur « la professionnalité » et « les pratiques professionnelles » du mandataire judiciaire. Enfin, la chambre régionale des MJPM libéraux du Nord-Pas-de-Calais a présenté un projet de charte déontologique en avril dernier et un centre de formation – l’Association française de formation et d’études des curatelles et des tutelles (Affect) – devrait aussi terminer prochainement un projet de code de déontologie de ce nouveau métier (3).
Face à ce foisonnement d’initiatives, le Comité national de bientraitance et des droits (CNBD) – instance consultative placée auprès des secrétariats d’Etat chargés des personnes âgées et des personnes handicapées, dont la mission est d’aider à la définition, à la mise en œuvre et au suivi des politiques de promotion de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance – pourrait proposer une synthèse. La question de la déontologie des mandataires est en effet au menu de la commission « droit et éthique de la protection des personnes » du CNBD, qui devrait émettre des propositions après avoir auditionné l’ensemble des organisations. « Sachant que les MJPM ont des modalités d’exercice différentes – les indépendants n’ont pas les mêmes obligations que les services associatifs –, le challenge est d’arriver à un consensus sur les règles de déontologie. Il semble important qu’il y ait au moins un tronc commun qui laisserait à chaque type d’exercice de la profession sa spécificité », explique Karine Lefeuvre, docteure en droit de la protection des majeurs, professeur à l’EHESP et rapporteure de la commission « droit et éthique de la protection des personnes » au CNBD. « La loi ne peut pas apporter toutes les réponses. Il est important que nous ayons des règles communes même si nos moyens d’action sont différents », ajoute Josiane Tirmarche, mandataire indépendante, membre de la chambre régionale des MJPM libéraux du Nord-Pas-de-Calais, formatrice, consultante et membre des commissions ministérielles travaillant sur la réforme de la protection des majeurs. « En matière de santé par exemple, le code de la santé publique ne précise pas que le tuteur doit être sollicité si la personne protégée doit être opérée, alors que la loi de mars 2007 indique bien que les soins font partie de la protection. Résultat, sur le terrain, nous sommes confrontés à des médecins qui refusent que le tuteur prenne des décisions », poursuit-elle. D’où la nécessité de fixer un cadre commun, qui aurait aussi l’intérêt de porter « un sens politique en direction des institutions et de la société dans son ensemble et, d’une certaine façon, la reconnaissance du métier », relève l’UNAF. Cette dernière souhaiterait d’ailleurs que ce chantier soit piloté par l’Etat, de façon conjointe entre les ministères des Affaires sociales et de la Justice, et qu’une concertation soit menée avec l’ensemble des organisations représentatives et des professionnels concernés (MJPM, juges, greffiers).
(1) L’ANESM, dans une recommandation de bonnes pratiques professionnelles pour rendre effectif le droit à la participation des majeurs protégés, aborde aussi les questions éthiques – Voir ASH n° 2767 du 6-07-12, p. 15.
(2) La création d’un code de déontologie figure aussi dans les propositions du « Livre blanc sur la protection juridique des majeurs », réalisé par la CNAPE, la FNAT, l’UNAF et l’Unapei en 2012 – Voir ASH n° 2765 du 22-06-12, p. 20.
(3) Voir ASH n° 2844 du 24-01-14, p. 17.