La réforme pénale, qui devait être adoptée définitivement par le Parlement le 17 juillet (voir ce numéro, page 34), après plusieurs rebondissements lors de son examen, constitue-t-elle une révolution pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ?
Si la contrainte pénale – nouvelle peine exécutée en milieu ouvert pour les délits punis de cinq ans de prison au maximum, en vue de favoriser la réinsertion des condamnés et de lutter contre la récidive – doit bien entrer en vigueur en janvier 2015, les déceptions demeurent. « Ce n’est pas une vraie peine de probation qui permettrait que la prison ne soit plus une peine de référence », comme le rapport de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive l’avait préconisé en février 2013 (1), regrette Sarah Silva-Descas, référente « travailleurs sociaux » à la CGT-pénitentiaire. « Le fait que son application puisse être étendue à l’ensemble des délits seulement à partir de 2017 n’est pas non plus satisfaisant, d’autant que cette échéance correspond à la veille d’une élection présidentielle… » De même, la loi renvoie à un rapport au Parlement, dans les deux ans qui suivront sa promulgation, l’étude de la possibilité de sanctionner certains délits d’une contrainte pénale à titre de peine principale.
La coexistence de cette nouvelle peine avec le sursis avec mise à l’épreuve (SME) fait, en outre, craindre qu’elle soit sous-utilisée. « La plus-value de la contrainte pénale restant assez timide par rapport à ce qu’elle aurait pu être, les juges pourraient préférer recourir au SME, qu’ils connaissent bien, analyse Sylvain Roussilloux, secrétaire national du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (Snepap)-FSU. Certains magistrats seront même bloqués par le fait que, après l’évaluation effectuée par le SPIP, le juge de l’application des peines ait le pouvoir de remettre en cause les obligations et interdictions prononcées dès le départ. »
Au-delà, la contrainte pénale va-t-elle modifier le travail des SPIP ? Le problème est que le groupe de travail mis en place par l’administration pénitentiaire pour accompagner la réforme est loin d’avoir abouti. Après que les syndicats ont, au début de l’année, contesté son fonctionnement – qui reposait initialement sur trois commissions –, le groupe a été renforcé par des référents (conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation et directeurs de services) désignés dans les interrégions après un appel à candidatures, explique Sylvain Roussilloux. Une première réunion a eu lieu le 26 juin, en présence de chercheurs et de professionnels, et les participants aux travaux devraient de nouveau se rencontrer en septembre. Parallèlement, un appel à projets a été lancé pour mener des expérimentations sur les outils d’évaluation du profil et des besoins des condamnés, en vue de remplacer le « diagnostic à visée criminologique », abandonné depuis plusieurs mois. En attendant, les méthodes vont « de la grille d’entretien à l’outil étoffé d’évaluation du “risque, des besoins et de la réceptivité” – un modèle canadien à partir duquel certains services, à la suite de la conférence de consensus, essaient de travailler », témoigne Sylvain Roussilloux. Pour lui, le pari de la contrainte pénale sera « de permettre un changement de pratiques, adossé à la recherche et aux règles européennes de probation ».
Mais les contours de cette peine font également ressurgir les vieux débats sur les missions des SPIP, davantage dans le champ du travail social pour les uns, plutôt dans celui de l’exécution des peines pour les autres. Par les termes employés, la loi renforce la notion d’accompagnement. Elle prévoit ainsi que le condamné peut « bénéficier des mesures d’aide prévues à l’article 132-46 du code pénal ». Lequel précise que ces dernières peuvent prendre la forme d’une « aide à caractère social et, s’il y a lieu, d’une aide matérielle » mises en œuvre « par le service de probation avec la participation, le cas échéant, de tous organismes publics et privés ». Or aujourd’hui, « la logique est davantage d’orienter vers le droit commun, avec de moins en moins de prise en charge directe », commente le secrétaire national du Snepap, qui craint un décalage entre les objectifs assignés par le législateur et la réalité de l’organisation des services. Le syndicat exprime aussi des réserves sur « la connotation très sociale » du public visé par la contrainte pénale. La version adoptée par la commission mixte paritaire, le 8 juillet, indique que cette peine peut s’appliquer « lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans et les faits de l’espèce justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu ». Ce dont se félicite la CGT-pénitentiaire. « Le fait de prendre en compte la situation globale des personnes valorise le travail des SPIP, estime Sarah Silva-Descas. Beaucoup de conseillers d’insertion et de probation revendiquent de prendre en charge une personne, et non une peine. » Le Snepap y voit, au contraire, une ambiguïté. « Lorsque l’on défend l’idée de mission régalienne des SPIP, c’est celle de l’exécution des peines, alors qu’en nous réduisant à une mission d’assistance, le législateur pensait qu’il pouvait déléguer nos missions au secteur associatif ! » Une possibilité de transfert que, devant le tollé syndical, la commission mixte paritaire a rejetée. « Il ne faut pas confondre le partenariat et la mise en concurrence », souligne Sarah Silva-Descas.
Pour Sylvain Roussilloux, les termes choisis pour définir le périmètre de la contrainte pénale laissent, par ailleurs, « penser que l’on instaure une peine pour les pauvres », alors que l’évaluation peut aboutir à la nécessité de « travailler sur le poids des représentations », par exemple sur un registre « cognitivo-comportemental », pas seulement social. Même si la personnalité du condamné fait aussi partie des critères, selon lui, la notion de « socio-éducatif » mériterait d’être clarifiée dans le texte pour éviter qu’elle soit trop restrictive. Sous peine de « ne plus savoir si la personne est condamnée parce qu’elle a besoin d’un suivi social ou parce qu’elle a besoin d’un programme de prévention de la récidive ! », argumente-t-il. La référente « travailleurs sociaux » de la CGT-pénitentiaire craint, pour sa part, un autre travers : « N’est-on pas en train de créer un contrôle social généralisé en incitant les juges à condamner davantage par cette nouvelle peine ? »
Le texte fait, par ailleurs, redouter que les autorités locales ne viennent empiéter sur le travail des SPIP. Une disposition prévoit que, au sein du conseil départemental de prévention de la délinquance, l’état-major de sécurité et la cellule de coordination opérationnelle des forces de sécurité « organisent les modalités du suivi et du contrôle en milieu ouvert », notamment par les personnels de l’administration pénitentiaire, « des personnes condamnées sortant de détention, désignées par l’autorité judiciaire compte tenu de leur personnalité, de leur situation matérielle, familiale et sociale ainsi que des circonstances de la commission des faits ». Au-delà du chevauchement de compétences, le texte crée ainsi un nouvel espace de partage d’informations confidentielles et de contrôle qui ne devraient pas laisser les travailleurs sociaux indifférents.
Quant à la question des moyens, elle est également loin d’être résolue. Selon l’étude d’impact du projet de loi, entre 8 000 et 20 000 contraintes pénales pourraient être prononcées chaque année. Même si les prévisions étaient optimistes, et en tablant sur un allégement de la charge de travail en milieu fermé, « avec 660 conseillers d’insertion et de probation supplémentaires d’ici à 2017, on sera loin d’arriver au ratio de 40 dossiers par agent », déplore Sarah Silva-Descas. Aujourd’hui, la majorité en ont plus de 100, parfois jusqu’à 250.
(1) Voir ASH n° 2799 du 1-03-13, p. 5.