Hausse importante du nombre d’allocataires (1), financement insuffisant au regard de missions de plus en plus nombreuses et ce, d’autant que le Parlement s’apprête à voter la baisse des cotisations familiales (2), mise en œuvre du revenu de solidarité active (RSA) et dématérialisation du réseau des caisses d’allocations familiales (CAF), réformes, certes nécessaires, mais mal digérées… Autant de facteurs auxquels la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) est aujourd’hui confrontée et qui l’empêchent de mener à bien ses prérogatives, estime une mission d’information de l’Assemblée nationale emmenée par les députés Francis Vercamer (UMP) et Christian Hutin (PS), dont le rapport a été rendu public le 8 juillet (3). Dans tous les cas, insiste-t-elle, « la poursuite de la modernisation du réseau reste aujourd’hui indispensable ».
« Souvent sollicitées, les CAF se sont vu attribuer de nombreuses compétences qui les éloignent de leurs attributions initiales [famille, logement et solidarité] », relèvent les députés. Par exemple, elles assurent désormais la gestion d’un certain nombre de prestations pour le compte de tiers, telles que le RSA « activité » ou l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Une activité qui pèse sur leurs comptes (4) et leurs moyens humains. « Alors que les prestations servies pour le compte de tiers représentent déjà 46 % des montants des prestations directes en 2012, leur gestion est plus lourde que celle des prestations familiales classiques […]. Il apparaît que la charge de gestion d’un bénéficiaire d’un minimum social est 4,5 fois plus élevée que celle d’un allocataire de prestation familiale, celle d’un attributaire d’une prestation logement 1,8 fois. » En outre, les CAF participent à différentes expérimentations de plusieurs politiques publiques, comme celle sur la garantie contre les impayés de pensions alimentaires (5), et jouent un « rôle majeur » dans la mise en place des schémas territoriaux des services aux familles (6).
Par ailleurs, la CNAF doit aussi faire face à une diminution de ses effectifs. Or « la question des moyens humains est centrale », martèlent les députés, d’autant plus que « l’accueil et le traitement des dossiers [notamment ceux du RSA] ont pu poser, par le passé, des problèmes structurels au point que certains bureaux ont été obligés de fermer pour rattraper le retard accumulé ». Même si la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2013-2017 que la CNAF a signée avec l’Etat lui a permis d’embaucher 700 personnes en 2013 et 2014, elle devra faire face, au total, à la suppression de 1 700 postes d’ici à 2017 en raison du non-remplacement des départs à la retraite. En vue d’apprécier la situation de la branche famille, les inspections générales des affaires sociales et des finances détermineront en 2015 l’évolution réelle de la charge de travail des caisses, en vue d’éventuels ajustements d’effectifs, indique le rapport.
Pour la mission, « les écarts de productivité entre les CAF témoignent notamment des disparités dans l’organisation et le fonctionnement des CAF et donc du nécessaire renforcement de la CNAF dans son rôle de pilote [notamment par la mise en place d’une stratégie nationale de moyen terme et d’une comptabilité analytique], ce, d’autant plus que la productivité de la branche famille est encore insuffisante ».
Il convient aussi d’adapter l’intervention des CAF aux territoires, notamment en renforçant les relations des caisses avec leurs partenaires sur le terrain, estiment les députés. Actuellement, soulignent-ils, les relations de travail avec les conseils généraux sont « trop peu développées » en matière d’accueil de la petite enfance. Leurs partenariats sont « perfectibles et la mise en réseau ainsi que la mutualisation des services dédiés à la petite enfance restent encore à construire dans la majorité des territoires ». Des partenariats « plus approfondis » sont aujourd’hui aussi « indispensables pour permettre une meilleure prise en charge des bénéficiaires du RSA », ajoutent les élus. Ils suggèrent qu’une convention soit signée entre la CNAF, l’Etat et l’Assemblée des départements de France et fixe l’« objectif d’une implication plus homogène des CAF dans le traitement du RSA, dans le respect du libre choix des départements ».
Parallèlement, les députés recommandent d’adapter les financements des CAF aux spécificités économiques et sociales des territoires et des partenaires. Mais aussi de mettre en place une programmation pluriannuelle des subventions pour leurs principaux partenaires, afin d’assurer à ces derniers une meilleure prévisibilité des financements.
Au-delà de l’amélioration des conditions d’accueil physique et téléphonique, la CNAF s’est, au travers de sa COG 2013-2017, engagée à développer son offre de services à distance et à renforcer son accessibilité numérique. L’objectif étant, à terme, de pouvoir présenter une offre de service « 100 % dématérialisée ». Toutefois, prévient la mission, cette dématérialisation suscite des craintes en termes d’accès aux droits des personnes précaires. Comme l’a fait remarquer le Conseil national du numérique, dans un rapport de 2013, « la tendance à la [dématérialisation], bien qu’elle participe souvent d’une simplification de la vie quotidienne, devient déshumanisante lorsqu’elle est imposée et exclusive. […] Les usagers en difficulté en payent le prix soit en temps perdu à essayer d’utiliser ces services, soit en déplacements pour retrouver un interlocuteur humain, soit, plus grave, en non-recours à certains droits par découragement. » Pour les députés, ce constat montre les limites d’une offre « 100 % dématérialisée ». Il y a là une « “fracture numérique”, c’est-à-dire une inégalité d’accès aux technologies informatiques [7], [qui] contribue à menacer l’accès des personnes les plus précaires aux services dont elles ont pourtant le plus besoin ». Aussi les élus insistent-ils sur le « rôle social de la CAF, qui doit rester un lieu de services et de rencontres personnalisées » et sur la « nécessité de maintenir un accueil physique et d’adopter une démarche proactive envers les publics en difficulté ».
Les députés déplorent par ailleurs la « complexité de la réglementation et des procédures que doivent gérer les CAF ». Une complexité qui, reconnaissent-ils, « répond, le plus souvent, à la volonté d’adapter la réglementation à la complexité des situations individuelles ». Aussi soutiennent-ils trois propositions de simplification faites par la CNAF dans le cadre du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, notamment en ce qui concerne l’AAH. Depuis 2011, les personnes handicapées qui exercent une activité professionnelle en milieu ordinaire de travail doivent adresser, chaque trimestre, une déclaration de ressources à leur CAF (8). Cette réforme, dite de la « trimestrialisation » de l’AAH, a occasionné une charge supplémentaire pour les CAF, indique le rapport. Elle a, en outre, été « mal perçue par les allocataires qui se sont sentis considérés comme des fraudeurs potentiels ». Aussi la CNAF a-t-elle préconisé de supprimer la gestion trimestrielle de l’AAH pour revenir à une gestion annuelle. Une mesure qui, selon les députés, « serait, pour l’allocataire, source de lisibilité via une plus grande stabilité des droits et de simplification de démarches ».
La CNAF a aussi proposé de simplifier les calculs de droits en cas de chômage car, actuellement, les situations de perte d’emploi supposent, selon le type d’allocation perçue, des calculs de droit minorés différents et complexes. Ce qui, d’après elle, « entraîne des risques dans la gestion des prestations » ainsi que la « multiplication de rappels ou d’indus » en raison des variations de situation des demandeurs d’emploi d’un mois à l’autre. La caisse a donc recommandé d’« appliquer un calcul unique pour la minoration des ressources des allocataires en situation de chômage, afin de ne plus faire varier cette minoration en fonction des allocations dont ils bénéficient (aide au logement, AAH…) ». Une mesure soutenue par les députés et qui concernerait les chômeurs se trouvant dans la catégorie « immédiatement disponibles et à la recherche d’un emploi », ont-ils précisé.
Autre suggestion de la CNAF approuvée par les parlementaires: simplifier le régime des aides au logement. A l’heure actuelle, à chacune des trois aides (aide personnalisée au logement, allocation de logement familiale et allocation de logement sociale) correspond un barème différent. Aussi la caisse a-t-elle préconisé de « fusionner les aides au logement afin que leur calcul prenne uniquement en compte les ressources du bénéficiaire et un forfait de dépenses de logement ».
S’agissant du RSA, son montant est aujourd’hui calculé chaque mois sur la base de la moyenne mensuelle des ressources perçues sur le trimestre de référence. Dès lors, expliquent les députés, « à chaque changement de situation (familiale ou professionnelle), le droit au RSA est réétudié afin de tenir compte au mois le mois des changements de situation. Or la majorité des changements de situation sont communiqués aux CAF avec un décalage de un à trois mois, au moment du retour de la déclaration trimestrielle de ressources RSA. » Une situation qui génère, là aussi, des indus et des rappels. Se fondant sur les recherches de la CNAF, la mission recommande donc de « modifier le cycle de révision des droits au RSA en effectuant un calcul trimestriel “avec effet figé” [9] pour minorer les risques d’indus ».
(1) Le nombre d’allocataires est passé de 9,8 millions en 1997 à 11,7 millions en 2013. Le nombre total de personnes couvertes est, lui, passé de 29,9 millions en 2009 à 30,9 millions en 2013.
(2) Voir ASH n° 2866 du 27-06-14, p. 16.
(3) Rapport d’information sur les conditions d’exercice par les caisses d’allocations familiales de leurs missions – Disponible sur
(4) Par exemple, pour le RSA « activité » et le RSA « jeunes », le coût de la charge de gestion pour la CNAF a été estimé à 83 millions d’euros en 2013 et seuls 32,6 millions ont été compensés par l’Etat. Les dépenses de gestion d’autres prestations, comme le RSA « socle » et la prime de Noël, n’ont, elles, pas été compensées.
(5) Voir ASH n° 2837 du 13-12-13, p. 12.
(6) Voir ASH n° 2847 du 14-02-14, p. 10.
(7) Si, en 2010, 64,4 % des ménages déclaraient avoir un accès à Internet à leur domicile, 57 % des personnes ayant des revenus inférieurs à 900 € par mois n’étaient pas, elles, équipées d’Internet.
(8) Sur le détail de la réforme, voir ASH n° 2683 du 19-11-10, p. 5.
(9) En pratique, le droit calculé pour le trimestre de droit (m, m + 1, m + 2) à partir de la moyenne mensuelle des revenus d’activité perçus en trimestre de référence (m-3, m-2, m-1) serait acquis et ne pourrait varier sur les trois mois du trimestre de droits, même en cas de changement dans la situation personnelle du bénéficiaire au cours de ce trimestre.