La troisième édition de la conférence sociale s’est déroulée les 7 et 8 juillet dans un climat assez tendu. En effet, reprochant les récentes concessions du Premier ministre au patronat sur le compte pénibilité et la proposition de simplification du code du travail (1), quatre organisations syndicales, la CGT, FO, Solidaires et FSU, ont boycotté la seconde journée de dialogue. Néanmoins, les sept tables rondes, axées sur l’emploi, l’éducation, le pouvoir d’achat ou encore la réforme territoriale – présidées par sept ministres et auxquelles ont participé les organisations patronales et, du côté des salariés, la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et l’UNSA (2) – ont débouché sur des propositions. Certaines ont été reprises dans la feuille de route sociale pour l’année à venir que Manuel Valls a dressée en clôturant la conférence (sur les réactions plutôt positives des associations du secteur, voir ce numéro page 17).
« Les entrées en apprentissage reculent, et il y a aujourd’hui moins d’apprentis qu’il y a un an », a constaté le Premier ministre. Afin d’atteindre l’objectif, fixé par le Président de la république, de 500 000 apprentis d’ici à 2017, plusieurs mesures ont été annoncées. Tout d’abord, une réunion se tiendra en septembre pour « lever tous les obstacles structurels qui freinent la progression de l’apprentissage ». Le chef du gouvernement a aussi annoncé que « 200 millions d’euros supplémentaires seront dégagés et votés dès la semaine prochaine » dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2014. Cette enveloppe permettra d’« étendre le potentiel des employeurs d’apprentis et [d’]inciter des chefs d’entreprise à recruter pour la première fois un apprenti », a-t-il expliqué. Une aide de 1 000 € par apprenti sera ainsi mise en place dans les secteurs professionnels où un accord de branche aura été conclu pour fixer des objectifs de développement de l’apprentissage.
Ces crédits serviront également à dégager des moyens supplémentaires pour le développement quantitatif, mais aussi qualitatif de l’apprentissage. Pour ce faire, la répartition de la taxe d’apprentissage sera stabilisée « pour conforter le rôle des régions et donner plus de marges aux entreprises », a assuré Manuel Valls. En contrepartie, ces dernières devront s’engager à augmenter le nombre d’apprentis, à prévenir d’éventuelles ruptures de contrat, à embaucher des jeunes issus des zones urbaines sensibles, etc.
Il est également annoncé le déblocage sur deux ans de 100 millions d’euros issus des fonds européens dédiés à l’insertion professionnelle des jeunes, et en particulier à l’alternance (apprentissage et contrat de professionnalisation) dans les régions où le chômage des jeunes dépasse les 25 %. Ces fonds serviront à :
→ lever les freins que rencontrent les jeunes pour accéder à l’alternance (financement du permis de conduire, solutions d’hébergement…) ;
→ mettre en place un accompagnement renforcé vers l’accueil en entreprise, notamment par les centres de formation des apprentis.
De plus, une enveloppe de 80 millions d’euros est prévue pour financer de nouvelles formations et augmenter les capacités d’hébergement.
Par ailleurs, au vu de la volonté de François Hollande d’ériger l’apprentissage en un « grand programme national », il est proposé que le nombre de jeunes en apprentissage dans l’enseignement public passe de 40 000 lycéens à « 60 000, 70 000, d’ici 2017 », souhaite le président.
Déplorant que la fonction publique de l’Etat n’accueille actuellement que 700 apprentis, les chefs de l’Etat et du gouvernement souhaitent qu’elle en accueille 10 000 à la rentrée 2016. Et l’apprentissage dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale sera encouragé.
Toujours dans le cadre du secteur public, une concertation avec les organisations syndicales représentatives sera ouverte au début de l’année 2015. Elle portera, entre autres, sur les liens entre l’apprentissage et le parcours d’accès aux carrières territoriales, hospitalières et de l’Etat qui, pour mémoire, permet à des jeunes de 16 à 25 ans révolus, sortis du système éducatif sans qualification reconnue ou peu qualifiés d’être recrutés sans concours sur des emplois de catégorie C.
Enfin, d’autres leviers structurels ont été évoqués, comme la simplification du cadre réglementaire de l’apprentissage, l’amélioration du statut d’apprenti (notamment la rémunération), la volonté de changer l’image de l’apprentissage, etc. Une campagne de communication sur l’apprentissage sera d’ailleurs mise en place par l’Etat dès la rentrée 2014.
Intervenant le premier jour de la conférence sociale, Louis Gallois, président du collectif Alerte, a émis l’idée de négocier un accord national interprofessionnel (ANI) sur le chômage de longue durée. Une proposition retenue par François Hollande, qui souhaite faire de cette lutte une « cause nationale » et a chargé le ministre du Travail de réunir les partenaires sociaux, les collectivités territoriales et le collectif Alerte pour déterminer les priorités d’une mobilisation collective pour les plus éloignés de l’emploi. Les discussions porteront sur :
→ l’accès à la formation en vue d’un recrutement rapide ou d’une reconversion professionnelle ;
→ les freins à la reprise de l’emploi (lutte contre l’illettrisme, accès au logement…) ;
→ l’accompagnement, notamment des bénéficiaires du revenu de solidarité active ;
→ la diversification des parcours de retour à l’emploi en favorisant les contacts avec le milieu professionnel.
La feuille de route reprend certaines mesures en faveur des chômeurs de longue durée, des seniors et des travailleurs handicapés annoncées le 23 juin dernier par François Rebsamen dans son plan pour l’emploi des seniors (accompagnement renforcé de 80 000 demandeurs supplémentaires, doublement de l’aide pour les contrats de génération…) (3).
En plus de ces mesures, la feuille de route annonce que la démarche d’accompagnement global liant Pôle emploi et l’Assemblée des départements de France, mêlant action pour le retour à l’emploi et action sociale, sera étendue de cinq départements à plus de 60 d’ici à juillet 2015. « Ce déploiement permettra la prise en charge conjointe des besoins sociaux et professionnels de dizaines de milliers de demandeurs d’emploi confrontés à des situations particulièrement difficiles », assure le gouvernement. Il impliquera à terme l’engagement d’environ 1 000 conseillers dédiés, précise la feuille de route.
Il est également prévu le financement en 2015 de 80 000 contrats uniques d’insertion-contrats initiative-emploi (CUI-CIE). Ces contrats aidés du secteur marchand seront recentrés sur les chômeurs de très longue durée, les seniors et les travailleurs handicapés.
Enfin, la mise en situation professionnelle en entreprise de demandeurs d’emploi sera développée pour éviter un éloignement prolongé du marché du travail, avec la possibilité d’une période de un mois renouvelable une fois. Une convention entre l’Etat, Pôle Emploi et la fondation Agir contre l’exclusion (FACE) lancera les partenariats avec les entreprises qui s’engagent à réaliser un objectif de 5 000 immersions par an en entreprise.
Afin de réduire le chômage des jeunes, qui a encore augmenté en mai dernier (4), le gouvernement entend adapter leurs formations aux besoins des entreprises avec, notamment, la création d’une journée de découverte des métiers, ou encore la simplification du processus de rénovation des diplômes.
S’agissant du décrochage scolaire, l’enveloppe consacrée au programme du service civique pour les jeunes décrocheurs – 5 000 aujourd’hui – sera doublée, tout en impliquant davantage les missions locales, indique la feuille de route. De plus, un accompagnement précoce des étudiants en situation d’échec sera mis à l’étude. Cet accompagnement permettra l’accès à une formation qualifiante de l’enseignement supérieur, en s’appuyant sur l’expérience acquise au sein d’une activité professionnelle, précise le document.
En outre, la garantie jeunes, conçue dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté pour venir en aide à des jeunes très désocialisés et actuellement expérimentée dans dix départements (5), sera étendue à un plus grand nombre de départements pour que 50 000 jeunes puissent en bénéficier dès 2015, toujours avec l’objectif de 100 000 jeunes en 2017 en ligne de mire.
Enfin, l’Etat s’engagera dans une mobilisation des crédits européens de l’ordre de 160 millions d’euros pour participer à :
→ un accompagnement dédié de 65 000 jeunes (en incluant le cofinancement de Pôle Emploi) rencontrant des difficultés durables d’intégration au marché du travail ;
→ un accompagnement vers l’emploi, par les missions locales, de 68 000 jeunes en contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS) renforcé ;
→ à la lutte contre le décrochage scolaire ;
→ au financement de la garantie jeune.
La réussite de ces projets sera mise en avant pour obtenir, au niveau européen, une extension du financement de l’Initiative européenne pour la jeunesse et ainsi la porter de 6 milliards d’euros actuellement à 20 milliards d’euros sur la période 2014-2020, souligne la feuille de route.
Il ressort également de la conférence sociale la volonté du gouvernement de lutter contre les discriminations à l’embauche des jeunes liées à l’origine raciale, géographique ou au sexe. En ce sens, un groupe de dialogue, réunissant les ministères concernés, les partenaires sociaux et les associations les plus impliquées, se réunira à la rentrée.
Enfin, dans un tout autre domaine, Manuel Valls a déclaré vouloir pérenniser la baisse de l’impôt sur le revenu consentie cette année pour les ménages modestes (6) et organiser « une baisse de l’impôt sur le revenu des ménages des classes moyennes ».
(1) Voir ASH n° 2867 du 4-07-14, p. 11.
(2) Voir ASH n° 2865 du 20-06-14, p. 6.
(3) Voir ASH n° 2866 du 27-06-14, p. 19.
(4) Voir ASH n° 2867 du 4-07-14, p. 7.
(5) Voir ASH n° 2827 du 4-10-13, p. 40.
(6) Voir ASH n° 2865 du 20-06-14, p. 6.