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Assistantes sociales au cœur de l’école

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Nanterre est l’une des rares villes françaises à disposer d’un service social scolaire municipal pour le niveau élémentaire. Une initiative bientôt trentenaire à laquelle les parents comme les professionnels de l’éducation et du travail social trouvent bien des avantages.

« C’est grâce à vous que je vais mieux, assure Fatoumata T. (1) tandis qu’elle accueille l’assistante de service social Carine Bousquet dans son appartement, au cœur d’une HLM nanterroise. J’étais vraiment dépressive, je mélangeais les médicaments avec l’alcool. Sans vous, jamais je n’aurais accepté d’être hospitalisée. » A chaque fois que la professionnelle lui rend visite à son domicile, la mère de famille ne peut s’empêcher de lui préparer un jus de fruits frais, une boisson au gingembre, un plat africain ou chinois qu’elle aura pris le temps de confectionner… « Il m’arrivait de ne pas sortir de chez moi pendant des jours, poursuit-elle, de rester avec tous les téléphones débranchés. Ma fille allait à l’école juste derrière l’immeuble et revenait, je ne voyais qu’elle. Ici, je n’ai pas de famille, mais avec Mme Bousquet, je me suis sentie soutenue, c’est une présence que je n’oublierai jamais. »

FAVORISER LA RÉUSSITE SCOLAIRE DE L’ENFANT

Accompagner un adulte vers un séjour en désintoxication ne relève pas, à première vue, des missions du service social scolaire municipal auquel appartient Carine Bousquet. « Mais pour être un parent assuré, il faut être un adulte confiant et assuré », atteste Marianne Leblevec, directrice du centre communal d’action sociale (CCAS) qui chapeaute le service. En l’occurrence, c’est la situation de l’enfant qui a attiré l’attention de l’assistante sociale. « La petite manifestait un rejet de sa mère, déjà bien connue dans le quartier pour son addiction, se souvient celle-ci. Fatoumata pouvait se présenter à l’école ou au centre de loisirs sous l’emprise de l’alcool. Nous avons donc mené un travail conjoint avec l’assistante sociale de secteur, jusqu’à amener cette maman à l’idée d’être hospitalisée pour une cure de désintoxication. »

Le service social scolaire de Nanterre a été créé en 1986. « A l’époque, une directrice d’école avait constaté que les difficultés sociales impactent la réussite scolaire des élèves, se souvient Caroline Bardot, conseillère municipale de Nanterre et adjointe à l’action sociale. Depuis, il y a eu une montée en charge permanente du dispositif, et les assistantes sociales ont pris une place au sein des équipes pédagogiques que personne ne conteste aujourd’hui. » L’objectif premier est d’intervenir dans toutes les écoles publiques maternelles et primaires en prévention, pour favoriser l’épanouissement et la réussite scolaire de l’enfant. « La protection de l’enfance vient en second objectif, mais nous devons respecter nos compétences et celles du conseil général, explique Marianne Leblevec. Lorsque apparaissent des problématiques qui dépassent le plan de la prévention, nous renvoyons vers l’ASE [aide sociale à l’enfance], même si nous pouvons participer au signalement. » De même, le service n’assure pas de suivi global des familles, mais il arrive qu’il prenne en charge des situations que l’espace départemental d’actions sociales (EDAS), le service social polyvalent de secteur, rechigne à traiter. « Lorsque les familles sont sans papiers, elles ont des difficultés considérables à obtenir un rendez-vous auprès des services du conseil général, regrette Carine Bousquet. Alors que nous, notre seul critère est l’inscription à l’école. Donc nous les accueillons et les mettons en lien avec les associations tout en continuant d’interpeller l’EDAS. »

De deux professionnels à sa création, le service compte à présent neuf travailleurs sociaux, dont une éducatrice spécialisée, qui interviennent dans les 45 établissements publics de la ville. « La volonté est d’offrir ce service à tous les élèves de la commune, qu’ils aillent à l’école en zone d’éducation prioritaire ou non, précise Emmanuelle Renaud, responsable du service. Quelle que soit leur classe sociale, tous les parents peuvent avoir besoin d’un soutien éducatif et d’une aide à la parentalité à un moment ou un autre. » Les assistantes de service social sont présentes dans chaque école à raison de deux demi-journées par semaine. « Cette présence physique est indispensable pour nous faire connaître et reconnaître par les parents », souligne Emmanuelle Renaud. « Cela permet aussi aux enseignants de nous interpeller plus facilement, ajoute Carine Bousquet. Le service est présent dans les écoles depuis tellement longtemps que nous sommes bien connues. Mais en même temps, nous n’avons pas la même formation que les enseignantes. Il nous faut toujours un peu faire nos preuves, être à l’écoute et être très réactives lorsqu’un enseignant fait appel à nous. C’est ce qui fait qu’il nous sollicitera ultérieurement pour d’autres situations. » Et pour une plus grande proximité et une meilleure intégration, le midi, les assistantes sociales déjeunent à la cantine avec les équipes pédagogiques.

MANQUE D’HYGIÈNE, RETARDS, NÉGLIGENCE, FATIGUE…

« Pour moi, l’assistante sociale représente un point de contact supplémentaire pour l’accès aux familles, résume Laurent Saldumbide, directeur du groupe scolaire Joliot-Curie, comme la direction, le psychologue, l’enseignant… Quand nous rencontrons une difficulté, nous avons pris l’habitude d’organiser des réunions de synthèse où chacun apporte ce qu’il connaît de l’élève et où nous définissons ensemble quels sont le meilleur angle d’approche et le professionnel le plus adapté pour aborder la problématique. » Parfois, l’assistante sociale fait remonter les difficultés d’une famille vers l’équipe enseignante. « Nous pouvons alors relativiser certaines évolutions constatées en classe ou éviter de mettre l’enfant en situation difficile par rapport à ce qu’il vit chez lui », poursuit le directeur. Surtout, la présence du travailleur social dans l’établissement facilite le questionnement. « Nous pouvons lui présenter des situations de manière informelle, voir si cela nécessite ou non son intervention. » Parmi les orientations en direction du service social, 45 % sont faites par le corps enseignant à partir de signaux d’alerte tels que problèmes d’hygiène, retards inexpliqués, négligence vestimentaire, fatigue notable ou propos tenus par l’élève. Dans 40 % des cas, ce sont les parents eux-mêmes qui sollicitent le service. « Le reste, ce sont des orientations par le biais des partenaires : travailleurs sociaux, associations, centres de loisirs… », résume Emmanuelle Renaud.

Les assistantes sociales reçoivent sur rendez-vous ou se déplacent à domicile, lorsqu’elles ont besoin d’une évaluation plus fine. Des accompagnements physiques sont également possibles pour des démarches sociales ou pour aider à découvrir les équipements socioculturels du quartier. Le mercredi et durant les vacances scolaires, elles se retrouvent au CCAS, où elles peuvent accueillir certaines familles, effectuer le travail administratif et informatique et, surtout, échanger entre elles sur leurs pratiques. « Les motivations des familles que nous rencontrons sont variées : celles-ci viennent parfois pour des difficultés à payer la cantine, évoque Carine Bousquet. Nous n’avons aucun mal à négocier un délai, puisque le service de restauration est géré par la ville. Ce sont nos collègues. » Mais, souvent, les soucis financiers dissimulent d’autres problématiques : difficultés dans le couple, familles monoparentales isolées, parents troublés par les difficultés psychosociales de leur enfant… Ce matin, au groupe scolaire Joliot-Curie, Carine Bousquet reçoit Awa Z., dont la petite dernière, pas encore scolarisée, assiste à l’entretien du fond de sa poussette. La famille vient de signer le bail de son nouvel appartement et la travailleuse sociale explique comment inscrire les enfants dans l’école du quartier. Mais ce qui inquiète Awa Z., c’est le passage de son fils en classe pour l’inclusion scolaire (CLIS). « Je n’arrive pas à accepter cette idée, s’inquiète-t-elle. Moi, je voulais qu’il fasse des études, et voilà qu’il va perdre deux ans. Je n’avais pas compris ça. » Carine Bousquet cherche à la rassurer : « L’important, c’est que votre fils travaille à son rythme. Il a des capacités d’apprentissage, mais pour lui, continuer en CM1, ce serait le diriger vers l’échec. Là, il pourra progresser et réussir. Vous devriez en reparler avec son enseignante et avec lui… »

INTERVENIR PLUS TÔT AUPRÈS DE L’ENFANT

Pendant ce temps, au groupe scolaire Pablo-Neruda, Cécilia Gonçalves, une autre professionnelle du service, relève ses messages sur le répondeur puis appelle une consœur de l’EDAS pour faire le point sur la situation d’un élève qui bénéficie d’une mesure d’aide éducative en milieu ouvert (AEMO). Durant une quinzaine de minutes, sans prise de note ni dossier sous les yeux, l’assistante sociale apporte des précisions qui font envisager un lien entre la situation conjugale conflictuelle des parents et les troubles de comportement de l’enfant. La suite de la matinée s’enchaîne sur une réunion du réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), afin de faire le point sur les situations de plusieurs élèves. Le départ d’un enfant en classe de découverte est débattu, car il semble représenter un danger pour lui-même comme pour ses camarades. L’assistante sociale propose aussi d’accompagner une famille dont le fils présente des difficultés d’apprentissage au centre médico-psycho-pédagogique (CMPP). Un rendez-vous collectif psychologue-assistante sociale est envisagé pour un élève qui évoque régulièrement l’alcoolisation de son père et la toxicomanie de son frère… « Ces synthèses m’aident à connaître davantage d’enfants, à échanger avec les différents professionnels présents : psychologue, professeur de CLIS, maîtres E et G » (2), explique Cécilia Gonçalves. En fonction des situations exposées, la travailleuse sociale peut ensuite proposer de rencontrer les parents ou apporter des informations lorsqu’elle connaît déjà les familles. « Ce genre de réunion sert également à éviter ou à prévenir la judiciarisation des situations, indique-t-elle. Je travaillais auparavant en collège, mais je sentais bien qu’il aurait fallu intervenir plus tôt, créer une relation de confiance avant d’en arriver à imposer des psy ou des signalements. Même si cela prend du temps, c’est du positif pour après. »

Actuellement, les assistantes sociales du service scolaire accompagnent 10 % des enfants des établissements publics de la ville de Nanterre, soit entre 100 et 120 situations chacune. « Mais nous ne voyons certaines familles qu’une seule fois, tandis que d’autres ont besoin d’un accompagnement plus durable », nuance Carine Bousquet. A l’image de Fatoumata T. et de sa fille. « Dans un premier temps, rappelle la professionnelle, j’ai proposé l’aide de l’AFEV » (Association de la fondation étudiante pour la ville). Cette dernière met un étudiant à disposition d’une famille deux heures par semaine pour une aide aux devoirs, une sortie à la médiathèque ou un loisir culturel. Travaillant sur recommandation du service social scolaire, l’association renvoie vers celui-ci les familles qui la contactent directement, afin qu’il valide l’orientation. « Les assistantes sociales connaissent l’environnement des familles et remplissent avec elles la demande d’intervention, détaille Léa Gaveau, assistante sociale chargée de développement local à l’AFEV. Nous pouvons ainsi préparer l’étudiant à l’intervention et nous assurer que la famille soit bien informée de notre projet, de ce que nous pouvons apporter et de ce que nous ne pouvons pas faire. »

Après cette intervention, se relayant auprès de Fatoumata T. avec l’assistante sociale du secteur, Carine Bousquet et sa collègue ont enchaîné les visites à domicile (jusqu’à trois par semaine) pour instaurer une certaine confiance. « Et quand Mme T. s’est sentie prête, je l’ai mise en contact avec la Passerelle, un service d’assistantes maternelles agréé par la protection maternelle et infantile, qui a accueilli la petite le temps de l’hospitalisation, plutôt que recourir à un placement, complète l’assistante sociale. Cela me semblait préférable, car j’ai toujours senti chez cette dame une réelle compétence maternelle. »

Aujourd’hui, mère et fille ont retrouvé une relation plus saine. Carine Bousquet a pu le constater lors d’un week-end familial effectué avec quelques-unes des familles qu’elle suit. Car si 90 % des suivis sont individuels, le service organise également des actions collectives, notamment dans le domaine des loisirs, qui n’est pas une priorité pour ces familles en difficulté. « C’est peut-être en raison d’une barrière culturelle, analyse Carine Bousquet. Il existe pourtant de nombreuses offres mises en place par la municipalité (sorties culturelles, journées à la mer…). » Afin de préparer ce week-end, les familles se sont rencontrées, ont évoqué leurs souhaits, les activités qu’elles pourraient organiser, les repas qu’elles aimeraient concocter, puis elles ont fait les courses ensemble. L’assistante sociale a obtenu une subvention pour le transport, puis tout un petit groupe (cinq adultes, neuf enfants, l’assistante sociale, la responsable du service social et celle du service petite enfance de la mairie) est parti dans un centre de loisirs que possède la commune et où sont habituellement organisées des vacances familiales. « Cela a permis de les raccrocher au système de droit commun, se réjouit Carine Bousquet. Elles ont vu quel bénéfice elles pouvaient tirer de ce moment de partage et de loisir. » Au retour, le groupe a tenu une réunion de restitution et, en point d’orgue, les travailleurs sociaux ont accompagné parents et enfants au centre social, où certains se sont finalement inscrits… De même, des soirées à thème sont organisées : « Le sujet est choisi par les parents en fonction des difficultés qu’ils rencontrent, explique Cécilia Gonçalves. Il y a quelques jours, nous avons évoqué le cyber-harcèlement et les moyens de s’en prémunir. Auparavant, nous avions eu une soirée à propos de l’importance du sommeil. C’est un véritable moment d’échange, les familles sont sur un pied d’égalité et sont très demandeuses. »

PROPOSER AUX FAMILLES DES ACTIONS COLLECTIVES

Une autre action collective est la participation des assistantes de service social aux séjours en classe verte. « Nous assistons aux réunions préparatoires, ce qui nous permet de prendre contact avec les familles, de présenter notre action et de leur indiquer qu’elles peuvent venir nous rencontrer si elles ont des difficultés pour payer la participation aux frais demandée, évoque Carine Bousquet. Le principe étant qu’aucun enfant ne soit privé du voyage pour des raisons financières. Souvent, il suffit d’organiser des délais de paiement ou de formuler une demande d’aide auprès de l’ASE. » Durant le séjour, l’assistante sociale aide aux tâches, à l’accompagnement des activités, et peut aussi saisir l’occasion de mieux connaître l’enfant, parfois de travailler l’angoisse de la séparation avec certaines familles monoparentales. « C’est un temps d’observation qui me donne une réelle légitimité pour proposer un rendez-vous aux parents, parce que j’ai vécu des choses avec leur enfant », insiste la travailleuse sociale.

La légitimité de l’assistante de service social scolaire est rarement discutée. « Elle a une très bonne image parmi les familles, assure Laurent Saldumbide, directeur de l’école Joliot-Curie. Dans notre établissement, les parents se parlent beaucoup et recommandent ses services. » Cécilia Gonçalves le confirme : « Nous ne sommes pas liés au placement, nous sommes dans l’école, visibles et disponibles, souvent à la grille quand les enfants arrivent ou quittent l’école. Cela dédramatise car certains parents peuvent être impressionnés par l’institution scolaire. » De plus, les professionnelles du service, présentes dans leur quartier d’intervention, rencontrent régulièrement des associations partenaires, les équipes des centres de loisirs, s’informent sur les activités existantes afin de les communiquer aux familles… « Je vois des parents plus épanouis, qui comprennent le système et s’investissent davantage dans la scolarité de leur enfant et la vie de l’école, se félicite Laurent Saldumbide. Quant à l’enfant, il se sent aussi plus à l’aise avec ses professeurs et dans le milieu scolaire. »

Reste à savoir si ce service social scolaire atypique pourra s’adapter à la hausse de la précarité dans le département. Le taux de chômage y était de 14 % en 2010, mais, de mi-2012 à mi-2013, 20 % de demandeurs d’emploi supplémentaires se sont inscrits à Pôle emploi… « Le défi pour l’avenir sera de maintenir le même service, accessible à tous, alors que la population est en augmentation et que les besoins s’orientent vers des accompagnements plus longs, tandis que le nombre de nos agents ne pourra pas beaucoup se développer », conclut Caroline Bardot.

Notes

(1) Les noms des usagers ont été modifiés pour des raisons de confidentialité.

(2) Le maître E est le professeur spécialisé dans l’aide à dominante pédagogique, le maître G est, quant à lui, centré sur l’aide rééducative.

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