« Interdire totalement l’établissement du lien de filiation entre un père et ses enfants biologiques nés d’une gestation pour autrui à l’étranger est contraire » à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. C’est ce qu’a décidé, le 26 juin, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dans deux affaires concernant le refus de reconnaître en droit français une filiation légalement établie aux Etats-Unis entre des enfants nés d’une gestation pour autrui (GPA) et le couple ayant eu recours à cette méthode.
Estimant que ce refus « porte atteinte à l’identité des enfants au sein de la société française », la juridiction relève aussi que « la jurisprudence empêche totalement l’établissement du lien de filiation entre les enfants nés d’une gestation pour autrui – régulièrement – réalisée à l’étranger et leur père biologique, ce qui va au-delà de ce que permet l’ample marge d’appréciation qu’elle reconnaît aux Etats dans leurs décisions relatives à la GPA », explique en effet la CEDH dans un communiqué.
Dans les affaires soumises à la Cour et qui connaissent ainsi leur épilogue, deux couples mariés français – les époux Mennesson et Labassee – ont eu recours à la GPA avec implantation d’embryons aux Etats-Unis et bénéficié de jugements, prononcés en l’occurrence en Californie et dans le Minnesota, indiquant qu’ils étaient bien les parents des trois enfants issus de cette démarche, respectivement des jumelles nées en 2000 et une fille née en 2001, toutes trois ressortissantes américaines.
Au terme de procédures différentes visant à obtenir la transcription de leurs actes de naissance sur les registres français d’état civil, les requérants avaient été finalement déboutés par la Cour de cassation en avril 2011 (1) « au motif que de telles transcriptions ou inscriptions donneraient effet à une convention de gestation pour autrui », qui serait déclarée nulle selon le code civil français. Pour la Haute Juridiction nationale, « il n’y avait pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale puisqu’une telle annulation ne privait pas les enfants de la filiation maternelle ou paternelle reconnue par le droit de la Californie ou du Minnesota ni ne les empêchait de vivre en France » avec les époux Mennesson et Labassee.
Ce que contestaient les deux couples, qui ont invoqué auprès de la CEDH l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (droit au respect de la vie privée et familiale). Au terme de l’examen de leur situation, la Cour ne leur a toutefois pas donné totalement raison du point de vue de leur vie familiale, en considérant que les difficultés pratiques qu’ils rencontraient ne dépassaient pas les limites qu’impose le respect de la vie familiale et que, par conséquent, « un juste équilibre » avait été ménagé entre leurs intérêts et ceux de l’Etat.
En revanche, pour ce qui est du respect de la vie privée des filles du couple « Menneson », « la Cour note qu’elles se trouvent dans une situation d’incertitude juridique : sans ignorer qu’elles ont été identifiées comme étant les enfants des époux Mennesson, la France leur nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique », explique le communiqué de la CEDH qui précise que la même approche a été suivie dans l’affaire Labassee. « De plus, bien que leur père biologique soit français, elles sont confrontées à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française, une indétermination susceptible d’affecter négativement la définition de leur propre identité », poursuit la juridiction européenne, en relevant également que la situation soulève une inégalité de fait en termes de droits de succession (2).
Les services de la Cour soulignent que « cette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents est également géniteur de l’enfant », et que, par conséquent, « on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance ».
Pour la CEDH, en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’Etat français est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation et n’a donc pas respecté le droit des enfants au respect de leur vie privé, en violation de l’article 8 de la convention.
Le jour même, la chancellerie a, dans un communiqué, pris acte de la condamnation de la France, tout en se disant ainsi confortée dans sa position. « La ministre de la Justice a en effet rappelé à de nombreuses reprises la prohibition d’ordre public du recours à la gestation pour autrui en France », souligne-t-elle, en ajoutant qu’elle a toujours été « soucieuse de la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant ». C’est pourquoi elle a publié la circulaire du 25 janvier 2013, rappelant les conditions de délivrance des certificats de nationalité française aux enfants dont la filiation est établie avec un parent français, ce qui induit l’attribution de la nationalité au titre de l’article 18 du code civil (3). « En distinguant les droits de l’enfant des choix de leurs parents, la Cour européenne des droits de l’Homme conforte cette position », estime le ministère.
(1) Voir ASH n° 2705 du 15-04-11, p. 23.
(2) En effet, elles ne peuvent hériter des époux Mennesson qu’en tant que légataires, les droits successoraux étant alors calculés de manière moins favorable.
(3) Voir ASH n° 2795 du 1-02-13, p. 42.