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Affaire Baby-Loup : la Cour de cassation confirme finalement le licenciement de la salariée voilée

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Le feuilleton juridique de la crèche Baby-Loup – devenu emblématique du débat sur le port des signes religieux sur le lieu de travail – a connu son épisode final avec la décision rendue, le 25 juin, par l’assemblée plénière de la Cour de cassation. En tout cas pour ce qui est de la justice française (1). La Haute Juridiction a en effet confirmé la légalité du licenciement pour faute grave d’une salariée de cette crèche privée associative, licenciement fondé notamment sur le refus de l’intéressée de retirer pendant les heures de travail le foulard islamique qu’elle avait adopté au retour d’un congé parental, en infraction avec le règlement intérieur de la structure.

Cette décision, qui met un point final à une saga judiciaire qui durait depuis quatre ans, a été saluée le jour même par l’Observatoire de la laïcité. « Elle confirme que le droit existant permet de limiter l’expression religieuse dans l’entreprise privée dès lors que ces limitations sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché », a-t-il indiqué dans un communiqué, résumant la décision de la Cour de cassation en une phrase : « Le règlement intérieur de la crèche privée “Baby-Loup” remplissait les conditions requises, dans la mesure où cette structure, petite, assurait dans un quartier sensible à la fois une mission d’intérêt général d’accueil des enfants en bas âge et une mission de formation et d’insertion sociale dégagée de toute référence religieuse ou politique. »

Un feuilleton à rebondissements

Le point de départ de l’affaire a été le licenciement pour faute grave de la plaignante – éducatrice de jeunes enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe –, fondé sur son non-respect du règlement intérieur de l’association. Et, plus précisément, de la clause suivante : « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ». S’estimant victime d’une discrimination au regard de ses convictions religieuses, l’intéressée avait d’abord contesté, en vain, son licenciement devant le conseil de prud’hommes puis devant la cour d’appel de Versailles… avant d’obtenir gain de cause en mars 2013 devant la chambre sociale de la Cour de cassation (2).

Dans une décision très contestée, la Haute Juridiction avait annulé le licenciement, estimant que, en dépit de sa mission d’intérêt général, une crèche privée ne pouvait être considérée comme une personne privée gérant un service public. Le principe constitutionnel de laïcité et de neutralité n’étant pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public, il ne pouvait dès lors pas être invoqué pour priver ces salariés de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail. Ce code, précisément, admet qu’un règlement intérieur puisse encadrer l’expression de la liberté religieuse, sous réserve que les restrictions introduites dans ce cadre soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir, proportionnées au but recherché et qu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Or, pour la chambre sociale de la Cour de cassation, la clause de laïcité et de neutralité prévue dans le règlement intérieur de la crèche, en ce qu’elle instaurait « une restriction générale et imprécise », ne répondait pas aux exigences posées par le code du travail. Le licenciement de l’ex-salariée constituait donc une discrimination en raison des convictions religieuses et devait être déclaré nul. Censurant l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, les hauts magistrats avaient renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris. Laquelle avait alors choisi de contredire la chambre sociale de la Cour de cassation en confirmant la légalité du licenciement (3).

La « résistance » de la cour d’appel de Paris

Pour fonder sa décision, la cour d’appel de Paris avait expliqué que, de son point de vue, une personne morale de droit privé qui assure une mission d’intérêt général pouvait « dans certaines circonstances, constituer une entreprise de conviction » et « se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches » emportant notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion. Or, pour les magistrats, l’association Baby-Loup – gestionnaire de la crèche – pouvait être qualifiée d’entreprise de conviction en mesure d’exiger la neutralité de ses employés.

Dans son arrêt, la cour d’appel de Paris avait notamment fait référence aux statuts de l’association, aux termes desquels elle a pour objectif de « développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes […] sans distinction d’opinion politique et confessionnelle ». Pour la juridiction, de telles missions pouvaient « être accomplies par une entreprise soucieuse d’imposer à son personnel un principe de neutralité pour transcender le multiculturalisme des personnes auxquelles elle s’adresse ».

Les juges n’avaient par ailleurs rien trouvé à redire sur la façon dont l’association Baby-Loup avait imposé à son personnel cette obligation de neutralité. La formulation de cette obligation dans le règlement intérieur était à leurs yeux « suffisamment précise pour qu’elle soit entendue comme étant d’application limitée aux activités d’éveil et d’accompagnement des enfants à l’intérieur et à l’extérieur des locaux professionnels ». Elle n’avait donc pas la portée d’une interdiction générale puisqu’elle excluait les activités sans contact avec les enfants.

Ainsi, pour la cour d’appel de Paris, les restrictions prévues par le règlement intérieur étaient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Elles ne portaient pas atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté religieuse, et ne présentaient pas un caractère discriminatoire. Enfin, « elles répondaient aussi dans le cas particulier à l’exigence professionnelle essentielle et déterminante de respecter et protéger la conscience en éveil des enfants, même si cette exigence ne résulte pas de la loi ». Au final, en ne se conformant pas au règlement intérieur, en refusant d’ôter son voile, la plaignante s’était rendue coupable d’une faute grave qui, selon les magistrats, justifiait son licenciement.

L’ex-salariée avait alors formé un ultime pourvoi en cassation.

Des restrictions à la liberté religieuse justifiées par la nature des missions à accomplir

Réunie en assemblée plénière, la Cour de cassation a donc rejeté ce pourvoi. En premier lieu, elle a confirmé que des restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses peuvent être apportées par le règlement intérieur dans les limites posées par le code du travail. En l’occurrence – et comme la chambre sociale de la Haute Juridiction l’avait dit –, il ressort bien du code du travail que de telles restrictions sont possibles à condition d’être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Les clauses d’interdiction générale qui reviendraient à transposer aux employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public le principe constitutionnel de laïcité et de neutralité restent donc proscrites.

La question était surtout de savoir si, en l’espèce, les restrictions étaient justifiées. Pour la chambre sociale de la Cour de cassation, on l’a dit, elles ne l’étaient pas. Pour la cour d’appel de Paris, elles l’étaient. L’assemblée plénière de la Haute Juridiction se sera rangée derrière les arguments de cette dernière, en prenant tout particulièrement en compte la petite taille de la structure et le fait que tous ses employés étaient susceptibles d’être en relation directe avec les enfants et leurs parents. « Appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite, employant seulement 18 salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents », la cour d’appel de Paris a pu considérer « que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché », indique l’arrêt.

Les circonstances de l’espèce auront clairement pesé dans cette décision. Comme l’a indiqué l’Union des familles laïques dans un communiqué, « il faut […] se garder de toute généralisation hâtive : c’est encore “au cas par cas” que seront jugées de semblables affaires ».

Le rejet de la qualification d’« entreprise de conviction »

On notera que, tout en confirmant la légalité du licenciement, la Cour de cassation n’aura en revanche pas suivi la cour d’appel de Paris pour qualifier l’association Baby-Loup d’« entreprise de conviction ». En effet, pour la Haute Juridiction, tel ne pouvait être le cas dès lors qu’elle avait pour objet « non de promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques », mais, aux termes de ses statuts, « de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes, sans distinction d’opinion politique et confessionnelle ».

[Cass. plén., 25 juin 2014, n° 612, disp. sur www.courdecassation.fr]
Notes

(1) Il n’est pas exclu, en effet, que la plaignante porte l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme.

(2) Voir ASH n° 2802 du 22-03-13, p. 36.

(3) Voir ASH n° 2835 du 29-11-13, p. 40.

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