Recevoir la newsletter

Les « états généraux du travail social » ne doivent pas mourir !

Article réservé aux abonnés

La réforme territoriale a créé une confusion qui rend aléatoire le pilotage politique du processus des « états généraux du travail social ». Pourtant, il y a urgence à se mettre au travail, affirme Jean-Marie Vauchez, président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES), qui appelle les professionnels, les usagers, mais aussi les politiques, à investir la démarche pour redonner du sens et de la cohérence au travail social.

« A l’heure actuelle, tout indique que les “états généraux du travail social” sont en état de mort clinique. Dès le départ, l’ONES a souligné leur dynamique particulièrement poussive. D’autres associations professionnelles(1) ainsi que certains syndicats ont aussi protesté face aux conditions de parti­cipation désolante qui empêchent de véritablement participer (convocations envoyées très tard, non nominatives….). Le dernier comité de pilotage – en date du 18 mars(2) ! – a pourtant ramené une certaine forme d’optimisme puisque l’Assemblée des départements de France (ADF) et l’Association des régions de France (ARF) se sont alors engagées plus fortement dans ce processus et ont uni leurs forces pour solliciter la ministre des Affaires sociales et obtenir qu’elle s’engage, elle aussi, plus sérieusement dans leur préparation.

Las, depuis cette date, le changement de gouvernement et l’annonce de la réforme territoriale ont remanié très sérieusement les cartes. L’annonce de la restructuration des collectivités territoriales par le Premier ministre met en question profondément l’existence même des départements et des régions. Du coup, l’ADF et l’ARF, absorbées par des logiques existentielles, n’ont maintenant plus véritablement à cœur de faire des “états généraux du travail social”(3), ce qui est d’autant plus grave que ce sont deux piliers fondamentaux du travail social. Près de la moitié du budget des conseils généraux est consacrée au travail social. Quant à la formation des travailleurs sociaux, elle est entièrement à la charge des régions.

Pour le travail social, cette réforme territoriale est un véritable coup de pied dans la fourmilière, qui vient remettre en cause la décentralisation telle qu’elle a été mise en œuvre par vagues successives depuis 1980. Dans la confusion actuelle, pour beaucoup d’acteurs, le processus des “états généraux du travail social” court encore sur son erre, sans véritable cap ou direction et peut, très vraisemblablement, se perdre dans le sable. Pour certains même, la seule question qui mérite d’être posée est de savoir s’il ne faudrait pas arrêter les frais dès maintenant ?

Et pourtant, ces “états généraux” tentent, avec tellement peu de moyens, de mieux cerner certains problèmes qui percutent gravement l’action même du travail social. L’ONES peut témoigner que la liste des incohérences est sans fin. Loi de 2007 sur la protection de l’enfance mal ajustée, difficultés dans les modes de tarification amenant des situations ubuesques pour les usagers et les professionnels, normes européennes plaquées sans recul sur les pratiques, formations sapées par les conséquences insidieuses des gratifications des stages… Pour un secteur qui rassemble 1,7 million de salariés, qui pèse plus de 50 milliards d’euros (soit à peine moins que l’Education nationale et bien plus que l’armée !), il y a pour le moins un manque de cohérence et d’efficacité !

Des failles du système coûteuses

Les exemples de situations ubuesques foisonnent dans le travail social. De l’assistant de service social qui passe plus de temps à rendre compte de son travail à un logiciel qu’à intervenir auprès du public aux éducateurs qui doivent intervenir dans des institutions gangrenées par des normes absurdes, en passant par la situation d’usagers décontenancés par les délais d’intervention intolérables…., la liste des non-sens est longue. Or ces failles du système coûtent énormément d’argent. D’une part, elles viennent brider l’efficacité des dispositifs, mais surtout elles laissent des usagers sans réponse réelle et les professionnels face à un délitement du sens de leur action.

Si, sur le terrain, les choses ne vont pas très bien, sur le plan des politiques sociales, il y a aussi une très grosse marge d’amélioration. Morcelé entre sept ou huit secrétariats d’Etat ou ministères, éparpillé entre des financeurs divers ne parlant pas entre eux, le travail social est victime d’un multimorcellement des décideurs, des financeurs et des acteurs qui obère toute tentative de lui donner un sens et surtout une cohérence véritable.

Ces “états généraux” ont donc une véritable légitimité. Les questions de départ sont bien posées. Fondamentalement, c’est une interrogation sur le sens même du travail social qui était avancée. Quels travailleurs sociaux voulons-nous ? Comment les former ? Quelle politique pour la protection de l’enfance ? Du handicap ? Bref, secteur par secteur, les questions sont posées à partir des besoins des usagers et de l’attente de la collectivité vis-à-vis du travail proposé par les travailleurs sociaux. Ces questions, politiques dans le meilleur sens du terme, cherchent à s’élaborer au travers d’un processus cherchant à impliquer le plus d’acteurs possible. Elles offrent même le luxe de pouvoir délimiter certains paradoxes fondamentaux, par exemple le fait que notre époque promeuve tout à la fois la notion de prévention et des principes d’efficacité et de performance alors que, par définition, la prévention lorsqu’elle est efficace évite des problèmes… qui n’ont donc pas d’existence aux yeux des évaluateurs de la performance. Malicieusement, on pourrait être amené à dire que plus la prévention est efficace, moins elle est performante !

Bien sûr, les défauts mêmes du système ont fini par rattraper le processus des “états généraux”. Comment construire une telle démarche si les acteurs sont prévenus à la dernière minute ? Comment pousser les institutions à libérer les professionnels sans qu’ils soient dûment convoqués ? Le manque désespérant de moyens de base risquait à tout moment de faire capoter la machine. Mais surtout, le manque d’intérêt du politique privait ce processus de son débouché naturel : une politique d’ensemble ! Le 18 mars dernier, l’espoir résidait en une implication authentique du personnel politique, synonyme de moyens dégagés pour le processus et de relais opérationnels dans la loi ou dans les grandes orientations politiques.

Depuis, rien ne va plus. Les “états généraux” ont été désertés par toutes les instances d’importance et l’Etat ne fait que confirmer son peu d’intérêt. Tout indique donc qu’ils vont s’éteindre doucement. Et pourtant, il y a une véritable urgence à se mettre au travail. Historiquement, le travail social (surtout dans sa part médico-sociale) a été le fruit des initiatives de terrain des associations. Depuis quelques années, au travers notamment de la loi “hôpital, patients, santé et territoires”, la logique a été renversée et c’est au politique que revient la charge de penser l’action sociale et médico-sociale. Ces “états généraux” sont donc une opportunité de construire du sens ou, tout au moins, d’identifier certaines situations consternantes et iatrogènes qui désolent les usagers et sont la source de bien des situations de souffrance au travail de professionnels.

Guérir le malade

Il ne faut pas laisser le malade s’éteindre ainsi ! Un tel processus de réflexion est suffisamment rare pour qu’il soit soutenu(4), notamment par les professionnels et les usagers qui doivent l’investir, fût-ce en poussant les portes comme ils ont su le faire à Marseille. C’est une chance pour eux de renverser la donne et de faire valoir non pas tant leurs revendications, mais leurs qualités et compétences professionnelles. Quant aux politiques, ils ont là une occasion de s’engager dans une véritable dynamique de réflexion… Pour une fois non politicienne ! »

Contact : jmvauchez@free.fr

Notes

(1) Voir notamment la tribune de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS), ASH n° 2849 du 28-02-14, p. 34 ; et la réaction de France ESF, ASH n° 2857 du 25-04-14, p. 17.

(2) Voir ASH n° 2852 du 21-03-14, p. 17.

(3) Voir ASH n° 2862 du 30-05-14, p. 11.

(4) Voir notamment en ce sens les tribunes de Marcel Jaeger, ASH n° 2850 du 7-03-14, p. 30 ; de Carol Knoll, ASH n° 2853 du 28-03-14, p. 32 ; et de Pierre Gauthier, ASH n° 2856 du 18-04-14, p. 36.

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur