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A Lingolsheim, dans la banlieue de Strasbourg, la maison Sainte-Odile permet la rencontre, dans un espace familial et apaisé, entre des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance et leurs parents. Quelques heures ou le temps d’un week-end, cette structure leur offre la possibilité de renouer des liens.

En ce vendredi de la fin mai, Mouna Salloua s’est installée au rez-de-chaussée d’une maison d’une rue résidentielle de Lingol­sheim, petite commune de la banlieue ouest de Strasbourg. Ce logement est le plus spacieux des trois appartements (de 90, de 75 et de 60 mètres carrés, répartis sur trois niveaux) de la maison Sainte-Odile (1). A l’arrivée de cette jeune mère de trois fillettes placées en famille d’accueil depuis près de deux ans, Patricia Danelon, chef de service de l’« accueil des familles », et sa collègue Mathilde Courbet, éducatrice spécialisée, ont fait le point avec elle sur son moral, ses difficultés, l’avancement de ses démarches. Puis Safia, 4?ans, la fille aînée de Mouna, s’est présentée à la porte, accompagnée par le père de sa famille d’accueil. Assia et Sana, les jumelles âgées de 3?ans, ne sont attendues que pour le lendemain. « Elles alternent, explique Mathilde Courbet. Une semaine, ce sont les jumelles qui dorment là avec leur maman et Safia qui vient juste passer la journée du lendemain, la semaine suivante, c’est l’inverse. Ainsi, les filles peuvent passer du temps chacune avec leur mère. »

Mouna Salloua et ses filles font partie de la trentaine de familles accueillies à la maison Sainte-Odile, sur des plages horaires allant de une heure et demie à deux jours, voire une semaine pendant les vacances scolaires, lorsque les parents d’enfants placés dans le Bas-Rhin vivent dans une autre région. Créée en 2006 par les Apprentis d’Auteuil, fondation nationale qui gère environ 200 établissements dans toute la France (2), cette maison se révèle un peu particulière – « inédite » en Alsace, selon le terme de l’un des partenaires du projet. En effet, elle vient combler un vide entre les simples visites médiatisées, c’est-à-dire sous la houlette d’un travailleur social présent aux côtés du parent le temps de la rencontre avec son enfant, et les week-ends en famille, lorsqu’ils sont possibles.

EXERCER SON DROIT DE VISITE DANS UN CADRE SÉCURISANT

Dans cette maison de ville individuelle, semblable à celles des alentours avec sa table de ping-pong dans le jardin et sa maisonnette en plastique sur la pelouse, sont accueillis des enfants âgés de 3?mois à 18 ans (en majorité, de 4 à 8 ans et de 12 à 15 ans) placés en famille d’accueil ou en maison d’enfants à caractère social (MECS) par le service de protection de l’enfance du conseil général du Bas-Rhin. Ils peuvent y rencontrer leurs parents, généralement un père ou une mère – rarement les deux –, à qui le juge a accordé un droit de visite ou d’hébergement. Et parfois l’ordonnance stipule que les visites ou l’hébergement doivent se tenir spécifiquement dans le cadre de la maison Sainte-Odile.

« Ici, nous permettons aux parents qui ne peuvent pas le faire ailleurs d’exercer leur droit dans un cadre sécurisant, note Patricia Danelon. Souvent, il s’agit de personnes privées de logement (sans domicile fixe, détenues avec autorisation de sortie, hébergées chez des tiers ou dans un squat, logées en centre d’hébergement et de réinsertion sociale, à l’hôtel, en foyer pour adultes…) ou dont le logement n’est pas adapté. Parfois encore, seul l’un des deux parents a le droit de visite. Il peut y avoir aussi des cas d’éloignement géographique, ou de parents qui ont besoin d’un soutien éducatif… » Enfin, il arrive que les rencontres ne puissent se faire au domicile familial en raison de violences conjugales ou parce que l’enfant y a vécu un traumatisme.

« Cet espace a l’intérêt immédiat de ressembler à la vraie vie, confie Françoise Boucard, du service de la protection de l’enfance au conseil général. Dans cette maison, les familles ont la possibilité de cuisiner, de se mettre ensemble autour d’une table, de stocker quelques affaires dans une caisse qu’elles retrouvent à chaque visite… » Dans chacun des trois appartements figure un planning de deux mois, du mardi au dimanche. Chaque couleur représente une famille, avec des plages horaires hebdomadaires, bimensuelles ou mensuelles plus ou moins longues, établies au cas par cas, en fonction des envies et des possibilités du parent. Une grande souplesse, appréciée par les partenaires du conseil général. Même les rencontres les plus courtes, entre une heure et demie et deux heures, en matinée ou en après-midi, se font dans l’intimité de l’un des appartements, souvent « porte fermée », sauf dans le cas de visites médiatisées, pour lesquelles un référent du conseil général est présent. Il s’agit de familles « que nous sentons trop fragiles », note Françoise Boucard. Cette médiatisation, rare dans la maison, permet néanmoins d’apprécier les réactions lors d’un conflit familial, de noter si le parent joue ou non avec ses enfants… « Un matériau extrêmement précieux » pour les professionnels, estime la travailleuse sociale, jugeant cette « expérimentation du quotidien » bien plus riche « qu’une sortie au McDo, tellement artificielle ».

DES PARENTS SOUVENT EN CARENCES ÉDUCATIVES

« En règle générale, les familles nous sont adressées par les travailleurs sociaux du conseil général, précise Patricia Danelon. Nous travaillons étroitement avec le référent de chaque famille. » La maison Sainte-Odile est prestataire de services pour le département, qui verse 70 % des 180 000 € nécessaires au fonctionnement annuel de la structure. Le reste est financé par des dons aux Apprentis d’Auteuil. Les parents accueillis ont généralement des problèmes d’addiction (alcool, drogues), ont eux-mêmes grandi dans un contexte social difficile et souffrent, de ce fait, de carences éducatives. Parfois, ils ont dû faire face à des violences conjugales. Educatrice spécialisée, Patricia Danelon est passée par différentes structures avant de prendre la direction de la maison Sainte-Odile en 2011. Avec Mathilde Courbet, qu’elle a connue en 2009 dans un service pour adolescentes, elle reçoit chaque parent lors d’un entretien d’entrée. A cette occasion, en présence du travailleur social référent, les deux professionnelles prennent la température : « On ne demande pas forcément l’historique de chaque famille, on prend la situation à l’instant t, assure la chef de service. Il faut seulement qu’il y ait des droits de visite ou d’hébergement. C’est le critère principal. Ensuite, nous faisons visiter les locaux en présentant les règles. Par exemple, pas de prise d’alcool ni d’autres substances sur place, maintien des locaux propres, liberté d’aller et venir… Nous nous adaptons aux possibilités de chacun. Si un parent ne peut tenir que deux heures sans alcool, nous mettons en place une plage de visite de cette durée. Il faut qu’il soit partie prenante, que cela ait du sens pour lui. On ne peut forcer personne, sinon ça ne dure pas. » A l’image d’une mère venue une première fois et jamais réapparue. « Elle ne voulait pas recevoir ses enfants ici, se souvient Mathilde Courbet. Elle voulait les avoir chez elle. Du coup, elle ne les prenait que la journée, à l’extérieur, mais ils ne pouvaient pas dormir à son domicile avant qu’elle ait amélioré sa situation. Pour que l’accueil à la maison Sainte-Odile fonctionne, il faut que les familles veuillent occuper cet espace. »

PRÉSERVER L’AUTONOMISATION DU PARENT

Ce dispositif représente en outre une véritable évolution par rapport aux visites en présence d’un tiers, avec une autonomisation du parent qui, le plus souvent, a peu d’expérience de tête-à-tête avec son ou ses enfants. « Nous ne sommes pas intrusives, assurent les deux éducatrices. Ici, les parents sortent faire leurs courses, préparent le repas, gèrent la sieste, le coucher et le lever des enfants. Nous intervenons uniquement à leur demande, ou ponctuellement, pour voir si tout va bien. »

Patricia Danelon et Mathilde Courbet sont présentes ensemble ou en alternance du mardi au dimanche, entre 9 heures et 19 heures, avec des astreintes de nuit « mutualisées » avec la MECS Saint-François, dans le quartier de Kœnigshoffen, à quelques kilomètres. Et elles assurent une veille en cas de besoin. « Le plus souvent, les parents nous sollicitent pour des questions matérielles, un appareil qui ne fonctionne pas, un horaire, une formalité, raconte Patricia Danelon. Mais il peut arriver qu’ils nous appellent en urgence parce qu’ils n’arrivent pas à gérer une situation avec leur enfant. J’ai eu ainsi une maman qui m’a contactée en pleine nuit parce que son ado, avec lequel elle était en conflit, voulait quitter la maison, sans avoir nulle part où aller. Je lui ai demandé de me passer son fils et nous avons discuté. Je l’ai convaincu de rester jusqu’à mon arrivée, à 9?heures le lendemain matin, afin qu’on puisse en parler ensemble et appeler la famille d’accueil pour qu’elle vienne le chercher plus tôt… »

Parfois aussi, les deux professionnelles accompagnent un parent et ses enfants à l’aire de jeu du quartier, à la médiathèque ou s’invitent dans l’appartement le temps du repas. « Cela nous permet de “vérifier” que tout se passe bien, surtout avec les parents qui souffrent d’addiction, justifie Mathilde Courbet. Il est difficile d’évaluer les prises d’alcool ou de drogues avant l’arrivée d’un parent. Alors on toque à la porte de temps en temps. » Les dix minutes qui précèdent l’arrivée de l’enfant ont le même objectif. « Si nous avons des doutes sur l’état du parent, nous le verbalisons avec lui, assure l’éducatrice. Nous pouvons également suspendre la visite. » Pour Françoise Boucard, les deux éducatrices ont « toute légitimité pour prendre cette décision », surtout si la problématique a été évoquée lors de l’entrée dans le dispositif avec le référent de la protection de l’enfance. En outre, les suspensions de visite peuvent également être justifiées par l’irruption d’un tiers non souhaité : un des parents qui n’a pas de droit de visite ou un ex-conjoint indésirable, dont on sait parfois qu’il est à nouveau dans le circuit. Dans certains cas, si le comportement du parent se dégrade, Mathilde Courbet et Patricia Danelon ont obligation d’en faire état dans leur rapport ou de transmettre l’information à leur contact au service de protection de l’enfance. Les droits du parent peuvent alors être suspendus. Ça a été le cas pour 14 % des 37 familles accueillies l’an dernier. D’autres parents, présents une fois par semaine à la maison Sainte-Odile, savent qu’ils ne pourront pas « aller plus loin ». Pour eux, la structure assure a minima le maintien des droits. C’était le cas de 30 % des familles accueillies l’année dernière. Mais pour une majorité de familles, le passage par Lingolsheim est positif et n’a pas vocation à être pérenne. « La sortie du dispositif est évoquée dès l’entrée », précise Françoise Boucard. Certains parents sont, au départ, intimidés par une intimité qu’ils n’ont jamais vraiment expérimentée avec leur enfant, et demandent même parfois à occuper l’appartement du premier étage, à côté du bureau des éducatrices. Néanmoins, après 14 mois en moyenne (dans une fourchette allant de 6 mois à 3 ans), nombre d’entre eux quittent la structure avec des droits élargis (48 % des familles en 2013), voire avec la levée du placement des enfants (8 % en 2013). Vivre avec leur enfant, même par intermittence, « motive le parent à faire les démarches » pour les récupérer. « Il retrouve confiance en ses capacités et recrée un lien avec son enfant », se félicite Patricia Danelon. « Ici, c’est un accélérateur », juge, quant à elle, Mathilde Courbet. Françoise Boucard va dans le même sens, ajoutant que les rencontres dans la maison de Lingol­sheim permettent ensuite aux travailleurs sociaux d’interroger les enfants sur leur ressenti quant aux visites, attendues ou redoutées, et aux parents d’évaluer leur difficulté à gérer la relation éducative, « à poser leur autorité » et « à savoir où ils en sont par rapport à l’idée de revivre ensemble ».

DES VACANCES ET WEEK-ENDS BIEN CHARGÉS

Tous les trois mois, chaque parent rencontre le référent du conseil général et les éducatrices de la Fondation pour faire le point. Ces réunions ont lieu sur place, un compte rendu de la situation générale étant rédigé une fois par an par l’équipe – « en toute transparence avec le parent », à qui une lecture de ce rapport est faite, assure la chef de service. Cette transparence est plus que nécessaire pour établir un rapport de confiance entre les éducatrices et les parents, qui ont généralement une longue habitude des services sociaux et sont, au départ, souvent réticents. « Petit à petit, ils voient que nous ne sommes pas dans le flicage, notent les deux éducatrices, ni pour contrôler tout ce qu’ils font ou porter un jugement, mais que nous pouvons les accompagner. Les choses qu’on observe sont verbalisées, nous ne faisons rien dans leur dos. Mais les parents mettent en général quelques mois avant de se sentir à l’aise… » De son côté, le référent de la protection de l’enfance évite de mettre ses collègues de la Fondation en porte-à-faux en leur demandant de vérifier telle ou telle chose sans en parler aux parents.

Autre principe de base : l’équipe n’est pas là pour faire avec ou à la place du parent, même si celui-ci a parfois besoin d’aide pour calmer un enfant qui pleure, qui grignote tout le temps ou qui refuse au contraire de manger. Pour cela, Patricia Danelon et Mathilde Courbet prennent régulièrement conseil auprès de Marie-Antoinette Nuffer, une « ancienne » qui a créé le service en 2006. Aujourd’hui retraitée, elle épaule les deux éducatrices et discute régulièrement avec elles des cas rencontrés. « Elle nous aide à nous positionner, précise Patricia Danelon. Nous nous plaçons du côté du parent, qui, lui, s’occupe de son enfant. Sauf quand ça se passe mal et que l’enfant n’est plus en sécurité. Là, nous intervenons. » Le service s’appuie également sur « le tableau des besoins, selon la hiérarchie de Maslow » : besoins de se réaliser, d’estime, d’appartenance, de sécurité et physiologiques, que ce soit pour les parents, les enfants et les travailleurs sociaux.

A la rentrée, la chef de service passera d’un temps plein à un mi-temps, tandis que Mathilde Courbet assurera la majorité du temps de présence à la maison Sainte-Odile, confirmant ainsi le bon dimensionnement du service tel qu’il est organisé aujourd’hui. « Nous n’avons pas de liste d’attente, assure Patricia Danelon. Mais le planning est bien rempli et les familles ne peuvent pas toujours profiter du lieu autant qu’elles le voudraient. » Ce que confirme Françoise Boucard : « En semaine, sur une journée, on trouve assez facilement des créneaux, mais les week-ends et pendant les vacances, c’est souvent plus compliqué et assez chargé. » Pour elle, il serait « utile d’avoir une autre structure de ce genre » dans le département, sachant que la maison Sainte-Odile est encore « peu connue des travailleurs sociaux du Bas-Rhin ». Un « outil à développer », donc.

Notes

(1) Maison Sainte-Odile « accueil des familles » : 1, rue Molkenbronn – 67380 Lingolsheim – Tél. 03 88 61 51 33.

(2) Et qui organise le 25 juin à Paris, en partenariat avec les ASH, la troisième édition de ses « Rencontres pour la jeunesse en difficulté » sur le thème « Accompagner les parents, est-ce gouverner les familles ? » – www.apprentis-auteuil.org – RPJD@apprentis-auteuil.org.

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