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Non à la modélisation universitaire des formations en travail social !

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A la suite des propos de Christophe Verron (voir ASH n° 2858 du 2-05-14, page 30), deux responsables de l’Ecole santé social Sud-Est (ESSSE) expriment également leurs inquiétudes sur le devenir des formateurs et des formations sociales. Alors que les débats sur la nouvelle architecture des diplômes et la recherche font craindre un alignement trop strict sur l’université, Maryse Bastin, directrice générale, et Bernard Pueyo, directeur du pôle santé-social de Valence, jugent nécessaire de revenir au sens de la formation professionnelle.

La « La présentation de la thèse de Christophe Verron sur les évolutions du métier de formateur a retenu toute notre attention (1). Celle-ci interroge notamment les enjeux identitaires pour cet ensemble professionnel et éclaire par là-même le débat sur les formations sociales et leur nouvelle architecture (2). Et cela au moment où l’Etat peine à convaincre du cadre et de la méthode retenus pour les “états généraux du travail social” programmés pour revisiter le sens et les paradigmes du travail social.

L’inaboutissement du processus de professionnalisation de cet ensemble professionnel que décrit Christophe Verron interroge l’identité, l’utilité et la place de la formation en travail social comme le travail social lui-même. Le formateur semble se mouvoir entre deux figures extrêmes : une position d’ex-professionnel en quête de mise à distance d’une expérience de terrain trop “abrasante” et une posture d’universitaire en devenir. Les attributs de sa fonction en tant que métier à part entière restent souvent flous et peu cernés. La question d’une définition par défaut revient sans cesse, à l’image d’un champ qui peine à fonder sa légitimité. La formation en travail social semble encore aujourd’hui écartelée entre les figures du maître, de la transmission et l’illusion de pouvoir tout ­saisir grâce à la possession du savoir et/ou de ses attributs (3).

Pourtant nous ne croyons pas que le métier de formateur se résume à occuper une fonction où la pensée serait censée, d’un côté, contenir les désenchantements d’une expérience professionnelle initiale au plus près des publics et, de l’autre, diffuser une parole savante d’expert se substituant à l’intérêt pour le lien social vivant (4). Et cela, même si nous n’ignorons pas la complexité à penser l’identité du travail social tout comme sa réalité.

Les stages, une place centrale

Pour sortir de ces impossibles, il nous paraît nécessaire de revenir au sens de la formation en travail social comme accompagnement d’un processus de professionnalisation, à la fois intime et singulier, mais aussi éminemment collectif au sein de groupes de pairs – étudiants comme professionnels. Néanmoins, cet accompagnement ne peut s’exonérer du dégagement des potentielles relations en miroir entre formateurs et étudiants, notamment à travers l’expérience de terrain et les travaux effectués en lien avec cette dernière. Si le paradigme du maître et de l’apprenti n’est pas exclu de la relation formative en travail social, il ne peut être central. Le travail de professionnalisation se doit de convoquer à la fois étudiants, formateurs et terrains professionnels dans une construction toujours négociée et vivante du rapport à la pratique, aux compétences et aux métiers. Cette exigence confère un caractère central aux stages et à la mise au travail de l’expérience dans des espaces d’analyse et d’appropriation, notamment en centre de formation (5). Encore faut-il que les stages soient suffisamment longs pour faire jouer à l’alternance son caractère intégratif.

Former signifie également être capable de maîtriser une pensée d’intervention de formateur, des modèles professionnels et des outils. Concomitamment, cela passe par l’accès donné aux étudiants aux codes constitutifs des savoirs. Guy Palmade (6) parle à ce propos d’« enformation », c’est-à-dire d’une mise à disposition d’une lecture épistémologique des savoirs positifs et d’action, assortie d’une variété de grilles de lecture des situations expérimentées sur le terrain. Cette démarche constitue un outil efficace de dégagement des figures du maître.

En ce sens, nous plaidons pour une véritable ingénierie et pédagogie de la formation professionnelle en travail social. Cette ingénierie existe, il est nécessaire de la rendre davantage lisible et de l’approfondir par un accès plus soutenu des formateurs à des formations de formateur. De ce point de vue, il ne nous semble pas que le modèle universitaire soit l’alpha et l’oméga d’une régénérescence de la formation en travail social. Si nous pensons qu’il faut promouvoir des associations avec l’université – dans le plein sens du verbe associer –, le travail social et la formation à ses métiers ne se résolvent ni dans la recherche en travail social, ni dans la soumission aux modélisations universitaires.

Expliquons-nous. Les débats actuels sont traversés par deux questions lancinantes : la création d’une formation tendant vers un travailleur social générique par niveau et la recherche. Or à notre sens, le concept de travail social n’existe que par ses métiers – la création d’un travail social générique donnerait à voir quelque chose de plus simple (simplifié ?) mais ne résoudrait pas la question des compétences. Elle ignorerait ainsi que les compétences des professionnels, comme l’ont montré de nombreux travaux (7), relèvent à la fois du “savoir diagnostiquer” et du “savoir négocier” ces diagnostics. C’est pour nous un des axes fondamentaux de la formation. Si la négociation autour des diagnostics a tout à gagner de la constitution de repères communs au sein du travail social – un socle commun de 400 à 500 heures de formation sur la durée globale de la formation théorique pour les niveaux III par exemple –, le “savoir diagnostiquer” s’ancre bien dans des compétences spécifiques et diffé­renciées, axées sur les besoins des publics et la connaissance de ces mêmes publics (8).

Accompagner la pluralité des pratiques

Par ailleurs, nous pensons très fortement que la recherche en travail social doit se développer dans un lien plus étroit entre centres de formation et universités. Mais nous ne souhaitons pas que tous les niveaux d’intervention soient confondus, au risque de confondre les objets et de gommer les compétences respectives. Du côté des centres de formation : l’accompagnement à la professionnalisation et des travaux en immersion de recherches-actions avec les professionnels et les publics ; du côté de l’université : des recherches participatives et positives participant à la construction et à la diffusion de savoirs “sur”.

Enfin, n’oublions pas que, pour complexe (et heureusement !) qu’elle soit, l’approche du travail social n’est ni impossible ni compliquée – Nicole Questiaux l’avait, avec pertinence, perçu – et la grandeur du travail social tient à son immersion dans le monde (9).

C’est ainsi que le travail social et la formation à ses métiers doivent refléter cet effort pour faire lien et s’inscrire dans un monde changeant, mouvant, en étant sans cesse au chevet de la société. Ils ne peuvent se réduire à une science exacte ni à un médicament ou à un pansement générique. La formation doit pouvoir restituer la diversité et accompagner la pluralité des pratiques du travail social dans une architecture certes plus lisible, mais nullement appauvrie ou simplificatrice. »

Contacts : bastin@essse.fr et pueyo@essse.fr

Notes

(1) En prolongement de travaux précédents sur cette question, voir Bernard Pueyo : Enseigner, former, intervenir dans le champ de la petite enfance – Ed. L’Harmattan (2009) ; et « Former à l’intervention socio-éducative. Perspectives psychosociologiques » – Connexions n° 93 (2010).

(2) Les travaux sur la refonte des formations et des diplômes sont engagés au sein de la commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale, qui copilote aussi le groupe « métiers et complémentarités » dans le cadre des « états généraux du travail social » – Voir ASH n° 2852 du 21-03-14, p. 13.

(3) Passer d’un métier à l’autre – Ouvrage coordonné par Marie-Pierre Mackiewicz – Ed. L’Harmattan, 2001.

(4) Jacques Rancière – La haine de la démocratie – La Fabrique éditions, 2005.

(5) Bernard Pueyo « Accompagner la professionnalité émergente d’éducateurs de jeunes enfants et d’auxiliaires de puériculture. Propositions pour un modèle multi-focus », dans Supervision et analyse des pratiques professionnelles dans le champ des institutions sociales et éducatives – Coordonné par Dominique Fablet – Ed. L’Harmattan, 2012.

(6) Guy Palmade – Réunions et formation – Ed. L’Harmattan, 2007.

(7) Valérie Pezet, Robert Villatte, Pierre Logeay – De l’usure à l’identité professionnelle. Le burn-out des travailleurs sociaux – TSA éditions, 1993 ; Yves Couturier, Isabelle Chouinard – « La condition interdisciplinaire dans les métiers relationnels : une mise en problème à partir du cas du secteur socio-sanitaire » – Esprit critique vol. 05, n° 1, 2003.

(8) Des craintes qui rejoignent celles du collectif Avenir éducs (voir ASH n° 2855 du 11-04-14, p. 16) et de l’ONES (voir ASH n° 2852 du 21-03-14, p. 13).

(9) Dans sa circulaire du 28 mai 1982 intitulée « Orientations principales sur le travail social » – Vie sociale n° 3/2012 – Voir aussi l’interview de Nicole Questiaux, ASH n° 2781 du 2-11-12, p. 28.

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