La première chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion, au cours des derniers mois, de trancher un certain nombre de litiges concernant la législation relative à la protection juridique des majeurs. Certains avaient trait à l’application des grands principes qui régissent les mesures de protection juridique, comme le respect des droits strictement personnels de la personne protégée, en particulier en matière d’autorité parentale, le choix de son logement, la priorité donnée aux membres de la famille et aux proches dans la procédure de désignation du tuteur ou du curateur, ou bien encore l’application du principe du contradictoire.
A travers plusieurs décisions, la Haute Juridiction a également apporté un éclairage sur plusieurs points de procédure. Elle a notamment précisé qui pouvait faire appel des décisions du juge des tutelles refusant l’ouverture d’une mesure de protection juridique et quelles étaient les conséquences du désistement du demandeur d’une telle mesure.
Enfin, ce dossier présente quelques arrêts de la Cour de cassation concernant le déroulement des mesures de protection juridique des majeurs. Y sont abordées les questions suivantes : un légataire universel qui n’est pas le tuteur peut-il saisir le juge des tutelles pour qu’il autorise le tuteur à accomplir un acte de gestion du patrimoine de la personne protégée ? Un curateur peut-il être poursuivi pour enrichissement sans cause même s’il est de bonne foi ? Qui peut agir en nullité d’un acte passé par le curateur.
Plusieurs décisions de la Cour de cassation mettent en musique les grands principes applicables aux mesures de protection juridique.
Selon l’article 458 du code civil, l’accomplissement des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation. Le majeur protégé peut donc agir seul. C’est le cas notamment pour les actes de l’autorité parentale relatifs à un enfant.
Par extension, un majeur protégé peut-il faire appel seul d’une décision du juge des enfants qui restreint ses droits à l’autorité parentale ? Tel était l’objet du litige soumis à la Cour de cassation dans un arrêt du 6 novembre 2013 (Cass. civ. 1re, 6 novembre 2013, n° 12-23.766) (1).
En l’occurrence, une femme majeure placée sous tutelle depuis plusieurs années donne naissance à un enfant. Peu après sa mise au monde, l’enfant est séparé de sa mère en raison des troubles psychiatriques de celle-ci et placé en famille d’accueil. Quelques années plus tard, le juge des enfants maintient le placement et accorde à la mère un droit de visite médiatisé dans les services de l’aide sociale à l’enfance. La mère ainsi que le père qui ne fait pas l’objet d’une mesure de protection font appel de cette décision, jugée irrecevable par la cour d’appel. Cette dernière a en effet considéré que l’exercice d’une voie de recours – en l’occurrence un appel en justice – ne peut s’analyser ni comme un consentement à un acte, ni comme un acte de l’autorité parentale, de telle sorte que l’article 458 du code civil ne peut trouver à s’appliquer et ne peut déroger aux dispositions légales qui prévoient que la personne sous tutelle doit être représentée en justice par son tuteur.
La Cour de cassation rejette toutefois cette appréciation. Pour elle, « l’appel d’une décision du juge des enfants qui restreint l’exercice des droits de l’autorité parentale d’un majeur protégé constitue un acte strictement personnel que celui-ci peut accomplir sans assistance ni représentation ».
En adoptant cette solution, la Haute Juridiction permet l’application effective des principes de l’article 458 du code civil. Pour autant, « la reconnaissance de la capacité exclusive d’ester en justice pour mettre en œuvre des droits strictement personnels pourrait alors se retourner contre l’intérêt du majeur protégé », estime Gilles Raoul-Cormeil, maître de conférences en droit civil à l’université de Caen-Basse-Normandie. Par exemple, poursuit-il, « si après avoir obtenu une décision de justice favorable à sa cause, le majeur protégé décidait de ne pas réagir à la voie de recours engagée contre lui par son adversaire, le tuteur ou le curateur ne pourrait pas suppléer à son refus d’y défendre » (2).
La justice s’attache par ailleurs à la défense du choix du logement du majeur protégé, dont la mise en œuvre doit être étudiée de manière concrète par les magistrats.
En vertu de l’article 459-2 du code civil, il appartient au majeur protégé de choisir le lieu de sa résidence principale. Toutefois, en cas de difficulté, le juge peut être amené à statuer. Dans ce cas, avant d’autoriser le choix du logement d’un majeur protégé, les juges du fond doivent s’assurer que ce choix existe effectivement en pratique, a précisé la Cour de cassation en février dernier (Cass. civ. 1re, 12 février 2014, n° 12-28.458). Le choix du logement n’est donc pas un droit qui s’exerce de manière abstraite.
Dans cette affaire, en effet, le juge des tutelles avait autorisé le tuteur d’un majeur protégé à accomplir les démarches en vue de son admission au sein de l’internat d’un foyer d’accueil médicalisé. En appel, les juges avaient confirmé la décision en retenant que « l’accueil du majeur protégé en internat devrait garantir son accès à l’autonomie et une stabilité de sa vie affective et matérielle, à l’abri des tensions familiales ». Mais la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision : selon elle, les juges du fond se devaient, comme il leur était demandé, de rechercher si la structure d’accueil envisagée comportait bien un internat, ce que contestait les parents du majeur protégé.
Le placement en maison de retraite d’une majeure protégée contre sa volonté peut être rendu nécessaire lorsqu’il s’agit de réhabiliter son appartement insalubre et que l’état de santé de l’intéressée est déficient. C’est la solution retenue dans une très récente décision de la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 14 mai 2014, n° 13-11.414).
Dans cette espèce, une personne isolée vivant dans un appartement insalubre a été signalée par un centre communal d’action sociale au juge des tutelles. Celui-ci s’est saisi d’office – ce qui était encore possible à l’époque des faits – et a diligenté une expertise psychiatrique. Sur la base de cette dernière, il a ensuite prononcé la mise sous tutelle et désigné un gérant de tutelle. L’intéressée, après une hospitalisation, a été hébergée en maison de retraite. Le juge des tutelles, de son côté, a autorisé le gérant à faire débarrasser le domicile insalubre de la majeure protégée pour y faire procéder à des travaux de rénovation nécessaires à son éventuel retour à domicile, puis à vendre l’appartement ainsi que le mobilier. Par la suite, un jugement a ordonné la mainlevée de la mesure de tutelle. L’ancienne majeure protégée a alors saisi le juge estimant qu’il y avait eu faute car le tuteur ne pouvait, sans l’accord du majeur protégé et, à défaut, sans autorisation préalable d’un juge, décider contre le gré de la personne protégée de son placement dans une maison de retraite.
La Cour de cassation a écarté l’argument. Elle a en effet considéré que l’hébergement en maison de retraite de la majeure protégée avait été rendu nécessaire non seulement pour réhabiliter son appartement devenu insalubre, mais aussi en raison de son état de santé déficient.
Selon les articles 449 et 450 du code civil, pour la mise en œuvre d’une mesure de tutelle ou de curatelle, le juge doit nommer en priorité comme tuteur ou curateur le conjoint, le partenaire ou le concubin de la personne concernée ou, à défaut, un parent, un allié ou une personne résidant avec elle ou entretenant avec elle des liens étroits et stables. Et ce n’est que si aucun membre de la famille ni aucun proche ne peuvent assumer la curatelle ou la tutelle que le juge désigne un mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Trois décisions récentes de la Cour de cassation apportent un éclairage sur la mise en œuvre de ce principe.
Le juge des tutelles est souverain pour choisir parmi les membres de la famille ou les proches celui qui lui semble le plus à même pour exercer la mesure. Il tient compte, pour ce faire, d’éléments objectifs mais aussi de la volonté exprimée par l’intéressé. En vertu de l’article 449 du code civil, il doit en effet prendre en considération les sentiments exprimés par le majeur protégé, ses relations habituelles, l’intérêt porté à son égard et les recommandations éventuelles de ses parents et alliés ainsi que de son entourage.
Dans une affaire soumise à la Cour de cassation en février 2014, la tutelle avait été confiée au fils de la majeure protégée et non à son concubin, ce que contestait ce dernier. Dans sa décision, la Haute Juridiction retient en premier lieu que ni l’examen des pièces produites par le concubin en vue de l’éviction du fils, ni l’audition des parties ne faisaient apparaître d’élément objectif à l’encontre de ce dernier. En outre, la cour d’appel a, selon elle, bien pris en considération les sentiments exprimés par l’intéressée, ses relations avec son fils et l’intérêt qu’il lui portait. Elle pouvait donc, souverainement, écarter le concubin au profit du fils (Cass. civ. 1re, 12 février 2014, n° 12-35.036).
Par ailleurs, dans un arrêt rendu le 5 mars dernier, la Cour de cassation a jugé que, au vu des « difficultés de gestion du patrimoine [d’un] majeur protégé générées par les tensions au sein de la famille », les magistrats pouvaient souverainement décider de ne confier que la « tutelle à la personne » à la fille du majeur protégé et accorder la « tutelle aux biens » à une association, mandataire judiciaire à la protection des majeurs (Cass. civ. 1re, 5 mars 2014, n° 13-11.651).
Le juge des tutelles peut décider d’écarter un membre de la famille au profit d’un mandataire judiciaire à la protection des majeurs lorsqu’il s’avère que le premier n’a pas respecté ses obligations légales et que le reste de la famille s’en désintéresse (Cass. civ. 1re, 30 avril 2014, n° 13-15.527).
En l’espèce, une personne a été placée sous curatelle renforcée en 2004, la mesure étant confiée à son fils. En 2011, le juge des tutelles décide de décharger ce dernier de ses fonctions et de lui substituer un mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Il lui reproche de ne pas avoir, malgré les nombreux rappels adressés par le greffier en chef du tribunal de grande instance, déposé annuellement ses comptes de gestion, en contradiction avec ses obligations légales.
Le fils conteste alors cette décision. Mais la Cour de cassation ne va pas dans son sens. Relevant les manquements de l’intéressé à son obligation de déposer chaque année ses comptes de gestion, et constatant que « son entourage familial soutenait et encourageait son maintien dans ses fonctions de curateur, en dépit de la violation manifeste de cette obligation », elle approuve la décision du juge du fond de désigner, dans l’intérêt de la majeure protégée, un curateur extérieur à la famille.
Dans plusieurs décisions, la Cour de cassation a eu à cœur de faire respecter le principe du contradictoire, tout en en expliquant ses modalités d’application.
Principe essentiel dans tout type de procédures, le principe du contradictoire implique la liberté pour chacune des parties de faire connaître tout ce qui est nécessaire au succès de sa demande ou de sa défense. Il impose que toute démarche, toute présentation au juge d’une pièce, d’un document, d’une preuve par l’adversaire soit portée à la connaissance de l’autre partie et librement discutée à l’audience.
Dans deux arrêts du 20 novembre 2013, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur l’application du principe du contradictoire dans le cadre de procédures intéressant des majeurs protégés, en particulier par rapport à la communication des avis du ministère public. L’article 431 du code de procédure civile prévoit en effet que le ministère public « peut faire connaître son avis à la juridiction soit en lui adressant des conclusions écrites qui sont mises à la disposition des parties, soit oralement à l’audience ».
Dans la première affaire, un homme a été placé sous curatelle et une UDAF désignée en tant que curateur. Puis, en appel, la mesure est transformée en tutelle, l’UDAF devenant alors tuteur. La décision est ensuite contestée par un de ses fils en cassation, qui soutient notamment qu’une curatelle renforcée aurait été suffisante. Sans se prononcer sur ce point et s’appuyant notamment sur l’article 431 du code de procédure civile, la Haute Juridiction a considéré qu’elle avait été privée de la possibilité d’exercer son contrôle de la décision des juges du fond dans la mesure où ces derniers avaient pris leur décision « sans constater que les conclusions écrites du ministère public, non représenté à l’audience, avaient été mises à la disposition [du requérant] afin qu’il puisse y répondre utilement » (Cass. civ. 1re, 20 novembre 2013, n° 12-27.218).
Dans la seconde espèce, le majeur protégé invoquait l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à un procès équitable. A la lumière de cette disposition, il estimait que le droit pour une partie à un procès équitable suppose que « soit respectée l’égalité des armes, notamment avec le ministère public, adversaire objectif qui doit respecter le principe du contradictoire ». Ce qui, selon lui, n’avait pas été le cas dans la mesure où les juges du fond s’étaient contentés d’énoncer que le ministère public avait conclu à l’organisation d’une curatelle renforcée sans préciser s’il avait déposé des conclusions écrites préalablement à l’audience et, si tel avait été le cas, sans constater que le requérant avait eu communication desdites conclusions afin d’être mis en mesure d’y répondre utilement. Mais la Cour de cassation a rejeté ces arguments pour deux raisons :
→ d’une part, le ministère public, auquel l’affaire avait été communiquée, a été représenté lors des débats ;
→ et, d’autre part, le majeur protégé était présent en personne lors de ces débats, et a donc été en mesure de présenter ses observations.
Dès lors, le principe du contradictoire a bien été respecté, selon les magistrats. Il n’était pas nécessaire que le ministère public communique des conclusions écrites avant l’audience du fait qu’il les a présentées oralement, comme le prévoit l’article 431 du code de procédure civile, en présence du majeur protégé (Cass. civ. 1re, 20 novembre 2013, requête n° 12-29.474).
Le 12 février dernier, la Cour de cassation a jugé que la cour d’appel qui a maintenu une mesure de curatelle renforcée sans qu’il soit démontré que le majeur protégé ait été informé de la possibilité de consulter le dossier au greffe a violé les articles 16 et 1222-1 du code de procédure civile et n’a donc pas respecté le principe du contradictoire (Cass. civ. 1re, 12 février 2014, n° 13-13.581).
L’article 16 du code de procédure civile, de portée générale, énonce que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire. L’article 1222-1, spécifique à la procédure devant le juge des tutelles, prévoit, quant à lui, que le dossier peut être consulté à tout moment de la procédure au greffe de la juridiction qui le détient, sur demande écrite et sans autre restriction que les nécessités du service, par le majeur à protéger ou protégé, le cas échéant, par son avocat ainsi que par la ou les personnes chargées de la protection.
En l’espèce, un homme avait été placé sous curatelle renforcée puis maintenu par le juge des tutelles pour 5 ans supplémentaires sous le régime de cette mesure. L’intéressé avait alors fait appel de cette décision. Pour entériner la solution rendue en première instance, la cour d’appel s’était fondée sur les certificats médicaux faisant notamment état de problèmes d’éthylisme chronique de type paroxystique allant jusqu’à l’ivresse et aux troubles de comportement.
Saisie à son tour, la Cour de cassation annule la décision de la cour d’appel uniquement en se plaçant sur le terrain du respect du principe du contradictoire. Reprenant un principe qu’elle avait déjà établi sous l’emprise des dispositions antérieures à la réforme de la protection juridique des majeurs (3), elle énonce tout d’abord que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue contradictoirement », ce qui « implique que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce présentée au juge », conformément aux dispositions des articles 16 et 1222-1 du code de procédure civile. Or, constate-elle, « il ne résulte ni des énonciations de l’arrêt, ni des pièces de la procédure » que le majeur protégé, « qui n’était pas assisté lors de l’audience, ait été avisé de la faculté qui lui était ouverte de consulter le dossier au greffe ». En l’absence de tels éléments, il n’était en effet pas établi que l’intéressé avait été mis en mesure de prendre connaissance, avant l’audience, des pièces présentées à la juridiction, et donc de les discuter utilement.
Dans plusieurs décisions récentes, la Cour de cassation s’est intéressée à des questions procédurales, et s’est ainsi penchée sur la qualité pour agir du requérant, les conséquences du désistement du demandeur d’une mesure de protection juridique et la possibilité de faire tierce opposition.
Selon l’article 1239 du code de procédure civile, les décisions du juge des tutelles sont susceptibles d’appel par toutes les personnes habilitées à saisir le juge pour ouvrir une mesure de protection juridique en vertu de l’article 430 du code civil (majeur lui-même, membre de la famille, proches, personne chargée de la mesure de protection…), même si elles ne sont pas intervenues à l’instance. En revanche, l’article 1239-2 du code de procédure civile prévoit que l’appel contre un jugement qui refuse d’ouvrir une mesure de protection à l’égard d’un majeur n’est ouvert qu’au requérant. C’est l’application de cette disposition qui est au cœur d’une décision de la Cour de cassation du 12 juin 2013 (Cass. civ. 1re, 12 juin 2013, n° 12.14.443).
Dans cette affaire, le juge des tutelles, saisi par le procureur de la République en vue de la protection des intérêts d’un homme âgé de 90 ans placé en maison de retraite, a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une telle mesure. La fille de l’intéressé a alors décidé de faire appel de ce jugement.
Dans un premier temps, les juges du fond ont déclaré son appel recevable. Ils ont en effet relevé que cette dernière avait également adressé une requête au juge des tutelles, transmise un jour après celle du procureur de la République, ce qui, selon eux, lui conférait la qualité de « requérante » par l’application combinée des articles 430 du code civil et 1239-2 du code de procédure civile.
Mais la Cour de cassation n’a pas eu la même appréciation. Pour elle, « le juge des tutelles avait ouvert la procédure sur requête du procureur de la République ». Dès lors, ce dernier a « seul la qualité de requérant ». Concrètement, c’est celui qui a saisi le juge des tutelles en premier qui est considéré comme requérant et peut faire appel de la décision du magistrat.
Une solution qui paraît sévère aux yeux de Jacques Massip, conseiller doyen honoraire à la Cour de cassation. D’après lui, « on ne saurait s’attacher à l’ordre chronologique des requêtes et considérer que seul celui qui a saisi en premier lieu le juge peut être considéré comme requérant » (4). Dès lors, en effet, il ne reste plus à la famille et aux proches qui contestent ce refus d’ouverture d’une mesure de protection juridique qu’à saisir le juge d’une nouvelle requête.
Le désistement du demandeur d’une mesure de protection met-elle fin à l’instance ? C’est à cette question que la Cour de cassation a dû répondre dans une décision du 2 avril 2014 (Cass. civ. 1re, 2 avril 2014, n° 13-10.758).
Dans cette affaire, un père avait saisi, le 22 juin 2011, le juge des tutelles afin de placer son fils souffrant d’un retard mental et de crises d’épilepsie sous une mesure de protection juridique des majeurs. Six mois plus tard, le père s’est désisté de sa demande avant que l’audience n’ait lieu. Sans tenir compte de cette démarche dont il n’avait pas eu connaissance, le juge a placé le fils – qui bénéficiait depuis le mois d’août d’une mesure de sauvegarde de justice – sous tutelle et confié la mesure à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Le père a contesté ce jugement, estimant que l’instance s’était éteinte du seul fait de son désistement, mais la cour d’appel a rejeté sa demande. Dans une chronique (5), Rodolphe Mésa, maître de conférences en droit privé à l’université Lille-Nord, explique que « les juges du second degré ont relevé que les dispositions des articles 1217 à 1231 du code de procédure civile spécifiques aux procédures en ouverture d’une mesure de protection ne comportent aucune précision relative au désistement d’instance ». Dès lors, ils ont décidé d’adapter les dispositions de l’article 395 du code de procédure civile selon lesquelles « le désistement n’est parfait que par l’acceptation du défendeur ». En effet, « il n’existe aucun défendeur dans une telle procédure qui est menée dans l’intérêt unique du majeur », poursuit l’auteur. Aussi, pour combiner les dispositions propres à la procédure d’ouverture d’une mesure de protection juridique et celles de l’article 395, la cour d’appel en a-t-elle conclu « que le désistement d’instance du requérant doit être soumis à l’acceptation du ministère public qui est légalement chargé de veiller à la protection des majeurs ».
Le père de famille a alors décidé de saisir la Cour de cassation. Devant la Haute Juridiction, il a soutenu « que, dans une procédure aux fins d’ouverture d’une mesure de protection en cours d’instruction devant le juge des tutelles, le désistement d’instance émanant du requérant met fin à l’instance dès lors qu’aucune décision prononçant une telle mesure n’a encore été prise », conformément à l’article 394 du code de procédure civile qui énonce que « le demandeur peut, en toute matière, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l’instance ». Il a également fait valoir que le ministère public n’avait pas à accepter le désistement du demandeur pour que ce dernier soit valable, dans la mesure où il n’avait pas la qualité de « défendeur » mais de « partie jointe ».
La Cour de cassation, sans se placer sur ce dernier terrain, a procédé à une substitution de motifs (6) et considéré que, « dans une procédure aux fins d’ouverture d’une mesure de protection en cours d’instruction devant le juge des tutelles, le désistement d’instance émanant du requérant ne met fin à l’instance que si aucune décision prononçant une mesure de protection n’a encore été prise ». Or, en l’espèce, le fils du requérant avait été placé sous une mesure de sauvegarde de justice avant l’audience et avant le désistement du demandeur.
La personne qui peut former un recours ou un appel contre un jugement concernant une mesure de protection juridique des majeurs n’est pas recevable à le critiquer par la voie de la tierce opposition. Telle est la solution logique retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mai 2014 (Cass. civ. 1re, 14 mai 2014, n° 12-35.035).
Pour mémoire, la tierce opposition est une procédure permettant à des personnes n’ayant été ni parties à la procédure ni représentées, alors qu’elles avaient un intérêt à défendre leurs droits, de faire à nouveau juger les dispositions qui leur font grief.
Dans cette affaire, un homme a été placé sous tutelle dans les années 1980 et sa mère désignée comme administratrice légale sous contrôle judiciaire. Au décès de cette dernière, c’est la sœur de l’intéressé qui est à son tour désignée. Elle forme tierce opposition de ce jugement. Au moment des faits, l’article 493, alinéa 3 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle qui est issue de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, était alors applicable. Il accordait aux frères et sœurs du majeur protégé un recours contre le jugement d’ouverture de la tutelle, même s’ils n’étaient pas intervenus à l’instance. S’appuyant sur cette disposition, la cour d’appel rejette la demande de tierce opposition de l’intéressée. Cette dernière se tourne alors vers la Cour de cassation.
Pour la sœur du majeur protégé, toute personne qui y a intérêt peut former tierce opposition à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque. Mais, selon la Haute Juridiction, dès lors qu’un recours était possible par l’intermédiaire de l’article 493 du code civil qui lui permettait de faire valoir ses droits, l’intéressée ne pouvait former tierce opposition. Cette solution est d’autant plus valable « que la requérante avait été entendue par le magistrat qui avait rendu la décision attaquée », commente Rodolphe Mésa, maître de conférences en droit privé à l’université Lille-Nord. Mais, selon lui, la solution « devrait être la même, s’agissant des personnes auxquelles l’article 493 ancien du code civil ouvrait le recours devant le tribunal de grande instance, alors même qu’elles n’auraient pas été entendues », dans la mesure où le motif relatif à l’audition de la requérante avancé au moment de l’appel pour justifier le rejet de la tierce opposition a été qualifié de « surabondant » par les magistrats de la Cour de cassation (7).
Cette solution doit pouvoir être transposée dans le cadre des nouvelles dispositions issues de la réforme de la protection des majeurs de 2007. Rappelons en effet que, selon l’article 1239 du code de procédure civile, les décisions du juge des tutelles sont susceptibles d’appel par toutes les personnes habilitées, en vertu de l’article 430 du code civil, à saisir le juge pour ouvrir une mesure de protection juridique (majeur lui-même, membre de la famille, proches, personne chargée de la mesure de protection…), même si elles ne sont pas intervenues à l’instance. Appliquée à cette disposition, la jurisprudence de la Cour de cassation implique donc que ces personnes susceptibles de faire appel ne peuvent former tierce opposition.
La Cour de cassation a été également amenée, au cours des derniers mois, à étudier quelques aspects de la mise en œuvre des mesures de tutelle ou de curatelle.
Un légataire universel peut-il saisir le juge des tutelles pour qu’il autorise le tuteur à accomplir un acte de gestion du patrimoine consistant en la modification de la clause du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie ? C’est à cette question qu’a répondu la Cour de cassation dans une décision du 19 mars 2014 (Cass. civ. 1re, 19 mars 2014, n° 13-12.016).
En l’occurrence, une femme est placée sous sauvegarde de justice en 2008, puis sous curatelle l’année suivante et enfin sous tutelle en 2010. Peu de temps avant d’être placée sous sauvegarde de justice, elle désigne ses deux enfants comme bénéficiaires de ses deux contrats d’assurance-vie, en lieu et place de son concubin, et les institue également légataires universels par testament (8). Près de deux mois plus tard, alors qu’elle est désormais placée sous sauvegarde de justice, nouveau changement : elle institue son compagnon légataire universel, révoquant ainsi les dispositions antérieures. Ce dernier demande alors au juge des tutelles d’autoriser le tuteur à intervenir auprès des établissements financiers concernés afin de faire modifier à son profit la clause bénéficiaire des deux contrats d’assurance-vie, clause dont il avait bénéficié pendant une dizaine d’années jusqu’au changement intervenu peu de temps avant le placement sous sauvegarde de justice.
Sans se prononcer sur le fond, la Cour de cassation rejette sa demande en invoquant les articles 496, 502 et 505 du code civil relatifs au rôle du tuteur dans la gestion du patrimoine et portant sur les actes qu’il peut accomplir seul ou avec autorisation du juge. Pour les magistrats, « le tuteur a seul qualité pour représenter la personne protégée dans la gestion de son patrimoine et, à cette fin, pour solliciter les autorisations du juge des tutelles pour les actes qu’il ne peut accomplir seul ». Dès lors, même un légataire universel n’a pas qualité pour saisir le juge des tutelles d’une demande tendant à la modification, à son profit, de la clause bénéficiaire de contrats d’assurance-vie.
Une solution logique, selon le docteur en droit privé Thibault Douville. En effet, « permettre à tout intéressé de saisir le juge des tutelles d’une requête aux fins d’autorisation du tuteur à accomplir un acte qu’il ne peut faire seul conduirait à admettre que toute personne est potentiellement juge de l’intérêt du tutélaire mais aussi de l’opportunité de l’accomplissement pour lui de certains actes », estime-t-il. « Il y aurait un risque que d’autres intérêts que celui du majeur protégé n’interfèrent avec ce dernier » (9). Mais pour Marion Desolneux, rédactrice en chef adjointe de la Revue Lamy Droit Civil, « si la solution est logique, il reste toutefois vrai que, face à une éventuelle insanité d’esprit de sa compagne au moment de la modification de la clause, l’ancien bénéficiaire semble bien démuni : de son vivant, seule l’intéressée – ou son tuteur, qui n’y semble pas disposé – pourrait agir en nullité ; après sa mort, une telle action serait réservée à ses héritiers » en application des articles 414-1 et 414-2 du code civil (10).
( A noter ) Dans sa décision, la Cour de cassation ne s’est pas appuyée sur l’article 132-4-1 du code des assurances selon lequel, « lorsqu’une tutelle a été ouverte à l’égard du stipulant, la souscription ou le rachat d’un contrat d’assurance sur la vie ainsi que la désignation ou la substitution du bénéficiaire ne peuvent être accomplis qu’avec l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué ». Fondée sur cette disposition spécifique, la solution retenue aurait peut-être eu une moindre portée juridique.
Une personne est en droit de former une action « de in rem verso », c’est-à-dire une action en enrichissement sans cause, à l’encontre du curateur qui a reçu des sommes à son détriment, même s’il les a perçues de bonne foi. En effet, cette circonstance n’empêche pas l’ouverture d’une telle action (Cass. civ. 1re, 11 mars 2014, n° 12-29.304).
Pour mémoire, l’action « de in rem verso » permet à une personne appauvrie sans cause valable au bénéfice d’une autre d’obtenir le remboursement des sommes ainsi perdues. Elle suppose que plusieurs conditions soient réunies :
→ une personne s’est enrichie sans cause au détriment d’une autre qui s’est corrélativement appauvrie ;
→ l’appauvrissement n’est pas lié à une faute de l’intéressé ;
→ l’action est subsidiaire et n’est recevable que si toute autre action n’est plus ouverte à l’appauvri.
En l’espèce, une personne avait souscrit un bail emphytéotique (11) et acquitté les redevances dues au titre du bien loué à l’association chargée de la curatelle de l’usufruitière du bien, et non à son fils qui était détenteur de la nue-propriété (12). Ce dernier demande alors la restitution des redevances versées au curateur.
La cour d’appel rejette sa demande, estimant que si les sommes ont bien été versées au curateur par erreur, elles ont été perçues de bonne foi par le curateur pour le compte de la majeure protégée. Mais la Cour de cassation rejette cette analyse. Selon elle, il y a bien eu enrichissement sans cause au détriment du fils. En effet, énonce la Haute Juridiction, « la bonne foi de l’enrichi ne prive pas l’appauvri du droit d’exercer contre celui-là l’action de in rem verso ».
Dans une décision du 5 mars 2014, la Cour de cassation s’est penchée sur la qualité pour agir en nullité de droit (13) d’un acte passé par le curateur et a décidé que l’épouse du majeur protégé, qui n’a pas été désignée comme curatrice, ne peut pas exercer une telle action (Cass. civ. 1re, 5 mars 2014, n° 12-29.974).
Dans cette affaire, un homme remarié a été placé sous curatelle renforcée et sa nièce désignée curatrice. Peu de temps après, une transaction est conclue entre les enfants de sa première épouse décédée et sa curatrice (agissant en son nom) afin de mettre un terme à un litige ancien né à la suite d’une procédure en partage successoral qu’il avait engagée avant d’être mis sous curatelle. Les parties prévoient que cette transaction soit ratifiée par le juge des tutelles. La nièce du majeur protégé demande donc l’accord du juge qui l’informe que son autorisation n’est requise « qu’en cas de désaccord entre le curateur et la personne protégée ». La seconde épouse du majeur protégé dépose alors une action en nullité de la transaction, signée par la curatrice seule. Elle invoque notamment l’article 469 du code civil selon lequel « le curateur ne peut se substituer à la personne en curatelle pour agir en son nom », sauf si les intérêts de cette dernière s’en trouvent compromis.
Mais la Cour de cassation refuse de se placer sur ce terrain et procède à une substitution de motifs pour rejeter la demande. Pour cela, elle se fonde sur les dispositions de l’article 465 du code civil relatives à la qualité pour former un recours en nullité des actes passés postérieurement au jugement d’ouverture d’une mesure de protection juridique. Selon elle, « l’action en nullité de droit des actes passés, postérieurement au jugement d’ouverture de la curatelle, par la personne protégée ou son curateur, ne peut être exercée […] que par le majeur protégé, assisté du curateur, pendant la durée de la curatelle, par le majeur protégé après la mainlevée de la mesure de protection et par ses héritiers après son décès » (14). Dès lors, le conjoint du majeur protégé qui n’a pas été désigné en tant que curateur de celui-ci n’a pas qualité pour former une action en nullité d’un acte.
Autorité parentale. L’appel d’une décision du juge des enfants qui restreint l’exercice des droits de l’autorité parentale d’un majeur protégé constitue un acte strictement personnel que celui-ci peut accomplir sans assistance ni représentation.
Choix du logement. En cas de conflit sur le choix du logement du majeur protégé, les juges du fond doivent, avant d’autoriser ce choix, s’assurer qu’il existe effectivement en pratique. Par ailleurs, le placement en maison de retraite d’un majeur protégé contre sa volonté peut être rendu nécessaire lorsqu’il s’agit de réhabiliter son appartement insalubre et que son état de santé est déficient.
Désignation du tuteur. Le juge des tutelles est souverain pour choisir parmi les membres de la famille ou les proches celui qui est le plus à même d’exercer la mesure de protection. Il tient compte, pour ce faire, d’éléments objectifs mais aussi de la volonté exprimée par la personne à protéger. Il peut écarter un membre de la famille désigné tuteur au profit d’un professionnel si le premier a manqué à ses obligations légales et que le reste de la famille n’en semble pas affecté.
Tuteur et légataire universel. Seul le tuteur peut solliciter le juge des tutelles pour obtenir une autorisation pour les actes qu’il ne peut accomplir seul. Par conséquent, un légataire universel qui n’est pas tuteur n’a pas qualité pour saisir le magistrat d’une demande tendant à ce que le tuteur modifie, à son profit, la clause désignant le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie.
Altération des facultés mentales. Il y a bien altération des facultés mentales nécessitant une mise sous tutelle lorsqu’il résulte du certificat médical qu’une personne présente des déficits des fonctions cognitives avec désorientation temporo-spatiale, acalculie, amnésie des faits récents et anciens, déficits en rapport avec la maladie d’Alzheimer, provoquant une entrave définitive à la bonne expression de ses volontés (Cass. civ. 1re, 12 février 2014, n° 12-35.036).
Notification au curateur. Toute signification faite à la personne placée sous curatelle doit l’être également à son curateur, sous peine d’encourir la nullité (Cass. civ. 1re, 19 mars 2014, n° 12-28.171).
(1) Toutes les décisions de justice citées dans ce dossier sont consultables sur
(2) « Les droits éminemment personnels étendus à la capacité d’ester en justice pour leur mise en œuvre » – Recueil Dalloz du 20 février 2014, page 467.
(3) Cass. civ. 1re, 28 novembre 2006, n° 04-18.266, disp. sur
(4) « La détermination des personnes ayant la qualité de requérant à l’ouverture d’une demande de protection d’un majeur » – Gazette du Palais, édition professionnelle – 4-5 octobre 2013, page 22.
(5) « Procédure d’ouverture d’une tutelle : pas d’extinction de l’instance en cas de désistement » – Dalloz Actualités Civil-Famille-Personne – Edition du 3 juin 2014.
(6) La Cour de cassation a en effet la faculté, pour justifier une décision, de substituer à un motif erroné avancé par le requérant un motif de droit pur. Mais ce motif substitué doit avoir été implicitement invoqué, en raison de la manière dont les prétentions des parties ont été exposées en fait et en droit.
(7) « Jugement d’ouverture d’une tutelle et tierce opposition des frères et sœurs du majeur protégé » – Dalloz actualités Civil-Famille-Personne – Edition du 2 juin 2014.
(8) Le légataire universel a vocation à recueillir l’ensemble de la succession.
(9) « Qualité pour solliciter une autorisation du juge des tutelles » – Dalloz Actualités Civil-Famille-Personne – Edition du 11 avril 2014.
(10) « Assurance-vie d’un majeur sous tutelle : les pouvoirs du tuteur sur la modification de la clause bénéficiaire » – RLDC n° 115, mai 2014, page 45.
(11) Bail de longue durée (de 18 à 99 ans) conférant au preneur un droit réel sur la chose donnée à bail (droit d’user de la chose ou d’en percevoir les fruits), les améliorations apportées au bien bénéficiant au bailleur en fin de bail.
(12) La nue-propriété est un démembrement du droit de propriété qui donne à son titulaire le droit de disposer de la chose, mais ne lui confère ni l’usage, ni la jouissance, lesquels sont les prérogatives de l’usufruitier.
(13) La nullité de plein droit ne nécessite pas de justifier d’un préjudice.
(14) Cette règle s’applique sous réserve du cas prévu à l’article 465, alinéa 2 du code civil, à savoir le cas où la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être assistée, l’acte ne pouvant alors être annulé que s’il est établi que la personne protégée a subi un préjudice.