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Inclusion des Roms : les atouts du modèle français

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En France, si les pouvoirs publics reconnaissent la spécificité des populations rom, les institutions et les associations visent leur intégration dans le droit commun en se référant aux droits humains, souligne Ana-Luana Stoicea-Deram, sociologue et formatrice. C’est sur ce consensus politique que doit s’appuyer l’intervention sociale en direction de ces publics.

« Les travailleurs sociaux qui accompagnent les Roms migrants s’installant en France rencontrent de nombreuses difficultés. Néanmoins, l’intervention sociale peut s’appuyer dans notre pays sur le fait que la référence politique aux droits fondamentaux est une valeur partagée avec les décideurs et les gestionnaires. C’est l’un des enseignements qu’on peut tirer de la journée d’étude sur « l’accueil et l’accompagnement des populations migrantes rom, d’origine roumaine, s’installant en France », organisée le 19 mai par l’Institut de recherche et de formation à l’action sociale de l’Essonne (Irfase) (1). Ayant pour objectif de faire dialoguer des chercheurs, des représentants d’associations, de l’Etat et des collectivités territoriales intervenant en direction de ce public, cette rencontre a permis de mettre en évidence les valeurs auxquelles se réfère l’ensemble des acteurs intervenant auprès des Roms (même si leurs approches et démarches diffèrent dans la pratique).

Ces valeurs sont éminemment politiques au sens où elles renvoient aussi bien à la définition du politique – dans lequel on peut voir une vision générale d’exercer le pouvoir au sein d’une société – qu’à la définition de la politique – entendue comme organisation concrète et ensemble d’actions par ­lesquelles le pouvoir est exercé. Concrètement, aujourd’hui, le politique et la politique sont élaborés et pratiqués en référence à la démocratie et à l’existence d’un Etat de bien-être (ou Etat social). Les interventions publiques en direction des populations rom sont réalisées en référence à l’Etat de droit, démocratique, ce qui permet d’affirmer que la forme du social est jalonnée et prescrite politiquement. Deux aspects complémentaires – l’approche de ces populations et les réponses/solutions proposées à leurs besoins –, illustrés par la même thématique – la scolarisation des enfants – examinés en France et en Roumanie expliciteront ce propos.

L’approche des populations rom, aussi bien par les pouvoirs publics (institutions, collectivités) que par les acteurs privés (notamment associatifs), est faite d’un mélange complexe de visions ethnique et sociale : la vision ethnique consiste à tenir compte des minorités qui s’identifient ainsi ; la vision sociale s’exprime en termes de besoins sociaux rencontrés par un public ou une population. Cette approche est très différente d’un pays à l’autre, ce qui rend utile la connaissance des références plurielles et évolutives par rapport auxquelles un groupe affirme son identité.

En Roumanie, pays d’origine des migrants, les personnes ont la possibilité de déclarer leur appartenance à une minorité nationale ou ethnique. Les Roms sont ainsi une minorité, parmi une vingtaine d’autres. La Constitution reconnaît ces minorités et engage l’Etat à les défendre. Cela n’empêche pas une montée constante, depuis 1990, des discours et comportements discriminants, y compris de la part de représentants d’institutions publiques de premier plan. Par ailleurs, il est largement admis que le nombre des personnes qui se déclarent Roms lors des recensements est inférieur à leur présence réelle au sein de la population.

Identité et identification stigmatisantes

En France, la reconnaissance des minorités ethniques est une impasse du projet politique national. L’arrivée de migrants européens rom, et leur installation durable sur le territoire français, a cependant donné lieu à des prises de position de la part de responsables politiques visant directement les Roms comme groupe ethnique. Par ailleurs, des associations de défense de ces populations et de leurs droits les désignent directement par cette identité et se désignent aussi elles-mêmes dans leur rapport ­d’accompagnement et d’aide aux Roms. La question se pose de savoir si cette identité et cette identification, revendiquées et assignées simultanément, peuvent être bénéfiques aux personnes qui composent ces groupes, quel que soit le pays où elles choisissent de vivre, et dans quelle mesure cela influence leur intégration sereine. En Roumanie, déclarer son appartenance à la minorité rom est perçu par certaines personnes comme un obstacle à trouver ou à garder un emploi ; demander à bénéficier d’une des places réservées aux Roms, dans l’enseignement secondaire ou supérieur, peut être ressenti comme stigmatisant, en raison des représentations négatives véhiculées impunément par les discours publics. La référence aux Roms, en France, a le plus souvent aussi une signification sociale, dans la mesure où les publics rom visés par les interventions sociales sont des publics pauvres et en risque d’exclusion. La pauvreté qui touche ces populations, partout en Europe, est une réalité, de même que les discri­minations qu’elles subissent, et le cumul des freins qu’elles rencontrent (accès à l’éducation, à la formation, à l’emploi, au logement, à la santé, pour ne rappeler que les principaux). Tous ces facteurs conduisent à une ethnicisation de la pauvreté qui non seulement n’apporte aucune solution pour en sortir, mais renforce les représentations négatives et stigmatisantes.

Avoir pour horizon le droit commun

Les réponses apportées par les pouvoirs publics et les acteurs associatifs, aussi bien en Roumanie qu’en France, ont combiné jusqu’à présent les références ethniques et les données sociales. Il faut constater, cependant, que la protection constitutionnelle des minorités en Roumanie ne se traduit guère par des mesures respectueuses des droits humains. Des expulsions abusives, des installations contraintes sur des terrains sans aucune infrastructure, des obstacles à répétition pour l’obtention de papiers (y compris des papiers d’identité) sont monnaie courante, tout comme le fait qu’elles concernent, dans la plupart des cas, les Roms. En France, si les pouvoirs publics reconnaissent une spécificité de ces populations, les mesures et les actions qu’ils mènent en leur direction sont construites à partir des difficultés pratiques qu’elles rencontrent, comme l’hébergement et le logement, l’accès à l’emploi, l’éducation à la santé et la prévention. Ce qui fait une différence significative, c’est le fait qu’en France les pouvoirs publics ont choisi de travailler avec les associations qui interviennent auprès de ces populations, qui les connaissent et qui ont tissé avec elles des liens de confiance. Et même si le risque de traiter de problèmes « des Roms » existe toujours, le dialogue entre les acteurs institutionnels et associatifs permet (la plupart du temps) de dépasser l’ethnicisation des difficultés sociales, pour rechercher ensemble des solutions adaptées. Aussi bien les associations de défense des droits des Roms que les institutions et les collectivités travaillent en ayant pour horizon le droit commun (réclamé aussi par de nombreuses associations roumaines agissant auprès des Roms dans leur pays, sans pour autant être entendues).

La scolarisation des enfants rom est l’illustration par excellence de cette référence au droit commun qui permet aux personnes appartenant, de manière choisie ou imposée, à une minorité de relativiser cette appartenance. L’obligation de scolarisation existe dans tous les pays démocratiques, qui sont aussi signataires de la Convention internationale des droits de l’enfant. Cependant, selon le modèle politique de société, selon les choix politiques de gouvernement, elle est très diversement appliquée par les autorités, malgré des mobilisations et des arguments semblables en sa faveur de la part des familles et des associations qui parfois les accompagnent. Si, en Roumanie, des enfants vivant loin de l’école, de tout moyen de transport et même d’une route, ne vont pas à l’école, les autorités locales considèrent que l’intérêt premier de l’enfant est d’être auprès de sa famille, tout en reconnaissant que la scolarisation est obligatoire, mais aussi que les conditions matérielles et environnementales n’y sont pas favorables. Les pouvoirs publics français ont, quant à eux, inclus la scolarisation des enfants comme critère d’intégration des familles migrantes souhaitant s’installer en France. Et même là où des circonstances locales ont pu y être hostiles, des associations ont rendu possible la scolarisation d’enfants rom.

Un regard comparatif montre ainsi que ce qui fait la force de l’intervention sociale en France, malgré des lenteurs et des tensions réelles sur le terrain, c’est d’être pensée et réalisée en référence à des valeurs politiques que l’ensemble des acteurs concernés partagent. »

Contact : anaderam@yahoo.fr

Notes

(1) www.irfase.com.

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