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« L’apparition des premières tablettes a marqué un véritable tournant »

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Les aides techniques destinées à faciliter la vie des personnes handicapées sont de plus en plus performantes. Ergothérapeute spécialiste des nouvelles technologies dans le domaine du handicap, Thierry Danigo dresse le panorama des progrès actuels. Il pointe aussi le manque de prise en charge qui freine l’équipement de ceux qui en ont besoin.
Vous êtes conseiller technique du Réseau nouvelles technologies de l’Association des paralysés de France (APF). Quelle est sa mission ?

Depuis 1995, il est chargé de suivre toutes les nouvelles technologies dans leurs applications éventuelles pour les personnes en situation de handicap. L’APF avait créé un service recherche-développement dès le début des années 1980. A l’époque, l’association avait fait le pari que la micro-informatique, en plein essor, pourrait être utile aux personnes handicapées. Nous avions alors commencé à développer des logiciels adaptés et à les diffuser par nos établissements. Historiquement, le réseau s’adressait surtout aux professionnels, mais aujourd’hui nos informations sont consultables par tout le monde.

Vous rappelez qu’en 1969, année où l’homme a mis le pied sur la Lune, on ne trouvait aucun fauteuil électrique en France…

Le parallèle est frappant entre cette prouesse technologique et le retard qui existait alors en France en matière d’aides techniques. Pourtant, les Anglais et les Suédois avaient déjà développé des fauteuils électriques, mais chez nous, la question des droits des personnes handicapées n’avait pas été réellement abordée. Le grand public ne connaissait que la personne paraplégique en fauteuil manuel. C’est un bénévole de l’Association française contre les myopathies qui est allé se procurer les premiers fauteuils électriques en Grande-Bretagne. Mais il a fallu encore plusieurs années pour qu’un fabricant français commence à en commercialiser.

Le contraste paraît énorme avec les outils disponibles aujourd’hui…

L’apparition des premières tablettes, il y a seulement quatre ans, a marqué un véritable tournant. Toutes sortes de logiciels avaient été développés depuis vingt ans à destination des personnes handicapées. Mais transporter un ordinateur, même portable, sur un fauteuil est loin d’être facile. C’est encombrant, le clavier est fragile et un disque dur magnétique n’est pas fait pour subir des secousses. Les tablettes actuelles, qui fonctionnent avec des mémoires flash et des cartes SD, ne présentent pas ces inconvénients. Dans le domaine de la compensation, elles permettent, par exemple, d’améliorer la communication grâce à des voix de synthèse. Elles offrent également un accès facilité à la téléphonie et à la domotique. Il est ainsi possible d’allumer la télévision, de fermer les volets, de gérer le chauffage, etc. Et avec l’arrivée récente des tablettes sous Windows, nous allons pouvoir récupérer tous les programmes développés sur PC.

Jusqu’où la jonction homme-machine peut-elle évoluer ?

Une interface fonctionnant à partir des ondes cérébrales a été présentée, de manière expérimentale, en 2006. Elle est déjà commercialisée en France. Il s’agit d’une sorte de casque muni d’électrodes reliées à un ordinateur. La personne ainsi équipée peut, sans bouger, composer du texte par le biais d’un logiciel spécialisé. Le problème est que le processus est assez lent et qu’il ne correspond pas vraiment aux besoins des personnes en situation de handicap. Je pense à celles qui sont totalement paralysées, ayant même perdu l’usage d’une commande oculaire (1). Quelquefois, la technologie va très loin mais ne prend pas en compte les besoins réels des personnes. Avec l’association Alice, qui s’occupe du locked-in syndrom, nous avons lancé un appel à projets afin de développer un contacteur sensible au simple clignement d’une paupière. Personne ne s’est encore engagé dans cette voie pourtant simple. Des technologies développées pour le jeu vidéo pourraient être récupérées. Ce serait plus facile et moins fatigant à utiliser qu’un casque à ondes cérébrales.

L’avenir est-il à la convergence accrue des outils destinés aux valides et aux personnes handicapées ?

Il y a un an, un système de commande oculaire coûtait environ 20 000 €. La société suédoise qui le développe a conçu depuis une interface USB en vue de le transposer dans le jeu vidéo. Ce dispositif coûte 4 700 €, ce qui est encore cher, mais le prix devrait continuer à baisser. On peut imaginer que, dans quelque temps, n’importe qui pourra ouvrir des applications simplement en regardant l’écran de sa tablette. Par ailleurs, nous sommes en contact avec la société française Voxygène, qui développe des voix de synthèse pour des entreprises comme la SNCF et pour des jeux vidéo. Elle a autorisé le transfert de sa technologie afin que des particuliers, notamment handicapés, puissent l’utiliser sur leur ordinateur. Le coût est d’une quarantaine d’euros. Nous allons également développer avec eux une voix de synthèse typée « enfant » qui n’existe pas actuellement. On imagine ce que représente pour un enfant handicapé le fait de devoir communiquer avec une voix de synthèse d’adulte… En outre, il sera bientôt possible de synthétiser à l’avance la voix de personnes qui vont la perdre. Je pense notamment aux malades de la sclérose latérale amyotrophique. Ils pourront ainsi continuer à s’exprimer avec leur propre voix, y compris via un smartphone.

En matière de prothèses, quelles sont les avancées ?

C’est encore très récent, mais la miniaturisation et l’allègement des matériels permettent désormais la conception d’exosquelettes permettant à des personnes privées de leurs jambes de remarcher. Une entreprise israélienne a mis au point un protocole et, en France, deux cliniques sont capables de concevoir sur mesure ce type de matériel. Il existe des équivalents pour des prothèses de membres supérieurs. Je pense à une technologie irlandaise utilisée par un orthopédiste français. On peut programmer ces prothèses à partir d’un téléphone ou d’une tablette en fonction des gestes que l’on fait au quotidien. Le problème est que ces appareils très onéreux ne sont accessibles qu’à des personnes couvertes par une assurance ou ayant les moyens de se les payer. On est loin de pouvoir appareiller monsieur tout le monde. Même si le droit à compensation a été reconnu en 2005, une prothèse coûtant plus de 50 000 € n’est pas financée. Dans d’autres pays, les aides techniques sont mieux prises en charge. Seules 100 commandes oculaires sont achetées par an en France, alors que les Pays-Bas en commandent 300.

Et dans le domaine du handicap sensoriel, quels progrès enregistre-t-on ?

Des expériences récentes montrent qu’il est possible de faire percevoir de la lumière ou les taches de couleur à des personnes non voyantes via des dispositifs électroniques reliés à leur système nerveux. Beaucoup d’universitaires travaillent sur ce type de projets avec de réels résultats. Mais il peut se passer beaucoup de temps avant que cela n’aboutisse sur le marché. Des start-up se créent dans ce but, malheureusement, un certain nombre déposent leur bilan car elles ne trouvent pas de financement et ne parviennent pas, faute de prise en charge, à commercialiser leurs produits. Il existe des solutions plus simples et abordables. Par exemple, avec un smartphone, il est possible de lire les étiquettes de produits alimentaires ou de médicaments grâce à un système de reconnaissance de caractères et à une voix de synthèse. Les personnes handicapées sont souvent isolées et les professionnels qui les aident n’ont pas le temps de s’intéresser à tout ce qui se fait en matière d’aide technologique. Notre rôle est donc de récupérer ces informations et de les faire connaître.

Que nous réserve le futur ?

En réalité, nous n’avons presque pas le temps de nous projeter dans l’avenir, tellement des technologies se développent un peu partout. Les progrès actuels se font beaucoup sur les tablettes et les smartphones, grâce à leur capacité à traiter toujours plus d’informations dans un volume réduit. On va aussi sans doute voir arriver des outils utilisant des lunettes telles que les Google Glass, grâce auxquelles il est possible de projeter des informations dans le champ visuel de celui qui les porte, lui permettant de communiquer par déplacement de l’œil. Dans l’avenir, les imprimantes 3D pourraient aussi favoriser des avancées. J’en ai vu une fonctionner il y a quelques jours. Elle a mis une demi-journée pour imprimer un dispositif d’aide au repas. C’est encore très lent. On pourra réaliser des prototypes, mais de là à lancer de grandes séries, il faudra que ces imprimantes deviennent bien plus performantes.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Thierry Danigo est ergothéra­peute, conseiller technique du Réseau nouvelles technologies de l’Association des paralysés de France (crnt.apf.asso.fr).

Il a participé en mars dernier au colloque « Le corps augmenté : les nouvelles technologies au service du handicap », organisé au Polytech Lille.

Notes

(1) La commande oculaire permet de contrôler l’ordinateur grâce à un capteur qui enregistre les mouvements de l’œil.

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