« Le vieillissement au travail n’est pas un problème porté par les salariés, affirme Florence Deslias, responsable des ressources humaines à la Sauvegarde de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte en Yvelines (SEAY). C’est l’une des raisons qui expliquent que nous n’avons pas encore vraiment avancé sur cette question. » La Sauvegarde rassemble quelque 21 établissements et services intervenant principalement dans les secteurs de la protection de l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse, mais aussi dans le médico-social, la lutte contre les exclusions et la formation à l’action sociale. A la fin décembre 2013, sur ses 783 salariés, 201 atteignaient ou dépassaient 55 ans (soit 25,67 % de l’effectif)…
En 2010, un plan d’action unilatéral relatif à l’accès et au maintien dans l’emploi des seniors a été élaboré (voir encadré page suivante). « Mais il n’a jamais été appliqué », fait remarquer Florence Pitowski-Génois, déléguée syndicale CFDT et éducatrice spécialisée au foyer éducatif La Maison, à Buc. La direction des ressources humaines ne s’en cache pas : « Cette action était surtout dictée par l’obligation légale, explique Florence Deslias. Tout comme la négociation sur les contrats de génération. Mais même si nous ne nions pas l’intérêt d’entreprendre la démarche, nous manquons de moyens et de temps avec tous les diagnostics et négociations que nous avons en cours, notamment sur les risques psychosociaux et sur l’égalité hommes-femmes. C’est un travail très lourd, nous ne sommes que quatre dans le service pour le réaliser. Pour l’instant, nous sommes encore dans les affres du diagnostic, avec un outil logiciel qui montre ses limites. »
Il est vrai que beaucoup, parmi les cadres, ne s’inquiètent pas outre mesure du vieillissement des équipes. « Il y a un côté stressant dans le métier d’éducateur, c’est certain, reconnaît Jean-François Gambier, chef de service au foyer La Maison. Il faut être en adaptation permanente avec des jeunes qui ont l’art de chercher ce qui pourra nous déstabiliser. Pour autant, la pénibilité n’est pas égale pour tous. Quand on travaille avec des ados et qu’il faut aller jouer au foot avec eux, c’est sûr, si l’on est trois éducateurs de 60 ans, on n’en a plus forcément envie. Mais la capacité d’analyse et de réflexion des plus expérimentés est précieuse et, si l’on sait équilibrer les équipes, l’âge n’est pas un problème. » Les représentants du personnel pointent néanmoins quelques difficultés qui peuvent apparaître avec l’avancée en âge. « La fatigue liée aux horaires de travail, la nécessité de contenir physiquement certains de nos jeunes, au bout d’un moment, cela commence à peser, et nous avons des personnels qui demandent à changer de service à partir de 55 ans pour travailler auprès des plus jeunes ou bien des jeunes majeurs », remarque Baptiste Genty, délégué syndical CFDT, éducateur à La Maison.
Pourtant, le plan d’action signé en 2010 comportait de nombreuses possibilités. Comme la priorité offerte aux salariés de 55 ans et plus travaillant en horaires de nuit pour passer en horaires de jour ou pour glisser vers un poste à temps partiel. Une bonne idée, mais pas facile à mettre en œuvre faute de passerelles entre structures. « La Sauvegarde s’est constituée au travers d’une fusion d’établissements qui ont une direction, des financeurs et des historiques spécifiques, ce qui accentue le cloisonnement, rappelle Florence Deslias. Notre projet associatif devrait encourager la mobilité, mais cette dynamique commence tout juste à se mettre en place. » D’autre part, les établissements de l’association se répartissent sur des bassins de vie différents et il n’est pas aisé d’organiser des transferts entre, par exemple, les pôles de Mantes-la-Jolie/Les Mureaux et de Versailles/Buc. Et surtout, pour organiser une mobilité, il faut que des postes soient disponibles : « Depuis deux ans, nous affichons un turn-over très ralenti. Il y a de moins en moins de postes qui se libèrent, en CDI comme en CDD », observe encore la responsable des ressources humaines.
Le profil des salariés concernés explique aussi les difficultés du reclassement. Le diagnostic « pénibilité » a mis en évidence trois catégories de professionnels particulièrement exposées : les ouvriers des services généraux, les maîtresses de maison et les surveillants de nuit. « Malheureusement, quand des inaptitudes se présentent, il est très difficile de les reclasser, parce qu’ils sont sur des postes à temps très partiel, des horaires spécifiques et parfois peu mobiles, souligne Florence Deslias. Nous devons nous efforcer de favoriser leur formation en cours de carrière afin de leur permettre d’évoluer dans les établissements. Car ce sont aussi ceux qui se forment le moins. »
Du côté des travailleurs sociaux, plus que les inaptitudes, c’est surtout la menace de l’usure professionnelle qui inquiète. De ce point de vue, le foyer La Maison paraît un peu atypique. Dans cet établissement éducatif qui compte 41 places d’hébergement et de scolarisation pour des adolescents et des jeunes majeurs et 11 places d’accompagnement sans hébergement, plus de la moitié du personnel éducatif a plus de 50 ans. « Nous avons pour habitude d’élaborer des projets à la carte, tant pour nos jeunes que pour les salariés, explique Christine Vigean, directrice du foyer. Ici, le projet est coconstruit, il n’y a pas des gens qui pensent et d’autres qui exécutent. Du coup, le personnel est stable et les salariés ont vieilli avec l’établissement… » Horaires groupés, emplois du temps relativement fixes, supervision, accès à la formation… apparaissent comme autant de moyens permettant de stabiliser le personnel dans le temps. La mobilité interne est également une façon efficace de se préserver de l’usure. « Il n’y a pas de parcours type, mais cela ne se fait pas de rester plus de dix ans sur le même poste, précise la directrice. Nous pouvons proposer de changer de service, de passer, par exemple, de l’internat au service d’accompagnement extérieur. » Au fil du temps, l’établissement a également créé des postes transversaux qui peuvent être affectés à des salariés ayant besoin de se ressourcer en s’éloignant du contact permanent avec les jeunes, parfois épuisant. Parmi lesquels un poste d’éducateur chargé des relations avec les familles et un autre chargé d’organiser des stages. « Les missions de représentation peuvent également être une façon d’aménager une évolution ou une fin de carrière », remarque Christine Vigean. Même si elles ne sont, jusqu’à présent, pas financées. « Parfois, nous incitons les gens à bouger, alors qu’eux-mêmes n’y pensent pas spontanément », ajoute Françoise Talon, directrice adjointe de La Maison. Ainsi, Jean-François Gambier, aujourd’hui chef de service au foyer, a-t-il travaillé durant vingt-cinq ans comme éducateur dans un autre établissement de l’association. « En 1999, le directeur de La Maison est venu me chercher. J’aurais peut-être dû partir plus tôt, reconnaît-il rétrospectivement. Mais il y a eu une période où il y avait beaucoup de départs qui risquaient de créer une perte au niveau de la créativité et de la réflexion dans la structure où je travaillais. »
Le tutorat est une autre façon de valoriser les salariés vieillissants. « Depuis cinq ou six ans, nous avons rédigé notre projet associatif et le projet d’établissement est en cours d’élaboration, détaille Christine Vigean. De nombreux documents de procédure et de processus ont été constitués (admissions, rapports aux parents, fiches de fonction, etc.). Des groupes de travail sur les pratiques ont été mis en place. Nous n’avons pas attendu les contrats de génération pour nous préoccuper de la transmission de façon institutionnelle, mais jusqu’à présent, cela se passe de façon plutôt harmonieuse et naturelle. » Il demeure qu’en matière de travail social, tout ne se transmet pas par le biais de fiches. « La capacité d’analyse d’un éducateur expérimenté, cela ne se consigne pas comme ça », souligne Alix Notté, éducatrice au service d’accompagnement de La Maison. D’où l’intérêt d’avoir des équipes où les âges et les expériences sont équilibrés, afin que la transmission s’effectue au quotidien entre les générations.
Dans le service d’accompagnement extérieur, Françoise Guillaume Lesort, éducatrice âgée de 61 ans et dont la retraite est programmée pour l’horizon 2015, travaille depuis quelques mois avec deux éducateurs plus jeunes, dont Alix Notté, 38 ans, diplômée depuis 2010, qui devrait reprendre le poste. « La question de la transmission n’a pas été initialement réfléchie, remarque cette dernière. Je suis d’abord arrivée en remplacement sur un poste, qui s’est prolongé sur un temps partiel. Nous nous sommes retrouvés rapidement à travailler ensemble, et la transmission ne peut se faire que dans le partage de ce quotidien. » « Pouvoir transmettre sur la durée en expérimentant, et pas seulement de façon théorique, est une vraie opportunité », se félicite pour sa part Françoise Guillaume Lesort. Alix Notté travaille le reste de son mi-temps sur un autre poste pour lequel elle a bénéficié, en février dernier, de deux semaines de tuilage avec le titulaire, qui partait en retraite après plus de quarante ans de bons et loyaux services. Une durée assez réduite. « On m’a transmis les informations utiles, mais maintenant encore j’ai des questions et je dois me débrouiller toute seule », regrette la jeune éducatrice… Et encore, ces quinze jours de tuilage constituaient une exception, faute de moyens financiers. « Des contrats de génération, du tutorat, ce serait parfait, mais sans financement, cela signifie au final que les autres salariés doivent former le nouveau membre de l’équipe », remarque Baptiste Genty, délégué syndical CFDT.
De la même manière, c’est faute de moyens que des aménagements de fin de carrière imaginés par le service des ressources humaines ont dû être abandonnés. L’un d’eux permettait d’utiliser les comptes épargne temps pour aménager une fin de carrière en temps partiel. « Tout le monde ne pouvait pas en bénéficier, car ce sont surtout les cadres qui ont approvisionné ces comptes, note Florence Deslias. Mais surtout, depuis 2011, le conseil général ne finance plus l’abondement de ces comptes. » En outre, tous les postes ne sont pas aménageables en mi-temps. « Sur un poste de cadre, c’est très difficile à gérer, poursuit la DRH, Il faudrait emboîter ce temps partiel avec l’activité d’un autre cadre, ou bien accepter de n’avoir pas tous les postes pourvus pendant un laps de temps, ce qui aurait une incidence sur l’ensemble de l’équipe… » Autre mesure prévue dans le plan d’action et vite remisée au placard : le cumul emploi-retraite. « C’était une offre qui nous intéressait beaucoup, car nous avons des retraités qui partent avec de toutes petites pensions, note Florence Pitowski Génois. Il semble que cela posait problème à la direction car il n’y avait pas de date limite à ce cumul. Je ne sais pas si cela peut entrer dans le cadre des contrats de génération, mais nous avons l’intention de le remettre sur la table des négociations, peut-être en proposant une durée limitée… »
Au final, le seul élément du plan d’action senior réellement mis en place est l’entretien de deuxième partie de carrière. Des grilles, élaborées par le service des ressources humaines, permettent d’envisager l’aménagement des fins de carrière, la transmission des savoirs et des compétences, le tutorat, l’anticipation de l’évolution des carrières professionnelles, l’amélioration des conditions de travail et enfin la prévention de la pénibilité. Cet entretien doit être proposé à tous les salariés d’au moins 45 ans. « Nous le faisons en même temps que l’entretien professionnel, qui a lieu tous les deux ans », souligne Christine Vigean. Malheureusement, le service des ressources humaines a jusqu’à présent enregistré très peu de retour sur ces entretiens…
« Quelques établissements se sont saisis de cet outil, mais je crois qu’il va nous falloir encore convaincre de son intérêt en termes d’animation du management, et de la nécessité de déléguer ces entretiens aux chefs de service afin d’accélérer leur diffusion, conclut Florence Deslias. Sans pour autant, bien sûr, en attendre des miracles car les solutions restent limitées. »
Elaboré à la fin 2010 par l’association Sauvegarde de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte en Yvelines, le plan d’action relatif à l’emploi des salariés âgés s’était fixé pour objectif de maintenir à 14 % la part des salariés âgés de 55 ans ou plus, via des départs en retraite ou volontaires. Plusieurs mesures avaient par ailleurs été imaginées pour améliorer les conditions de travail et prévenir les situations de pénibilité, accompagner l’évolution des carrières et aménager les sorties d’activité. Ainsi, les travailleurs de nuit de 55 ans et plus pouvaient demander à bénéficier prioritairement d’un retour en horaires de jour. Une surveillance médicale individuelle et annuelle devait être proposée à tout salarié ayant atteint cet âge, ainsi que l’accès au bilan de santé gratuit et périodique de l’assurance maladie pendant les horaires de travail. L’intervention d’un ergonome avait également été proposée avant la création de tout nouvel établissement ou service, avec une attention particulière accordée aux postes de travail des professionnels des services généraux et administratifs âgés de 50 ans et plus. Ce plan désignait aussi les salariés de 55 ans et plus comme prioritaires dans l’attribution de postes à temps partiel ressortissant de leur formation et expérience. L’association s’engageait enfin à favoriser le cumul emploi-retraite sur des postes à temps partiel pour ses employés de plus de 60 ans ayant procédé à la liquidation de l’ensemble de leurs droits à la retraite. La réalisation d’un bilan de compétences financé par l’association pendant le temps de travail ainsi que d’un bilan professionnel (réalisé en interne, au titre du DIF) était également prévu.
(1) Foyer La Maison :1 rue Louis-Massotte – 78530 Buc – Tél. 01 39 56 34 08.