« Avec la loi Taubira, les délinquants n’iront plus en prison. » Faux, rétorquent dix organisations associatives et de professionnels de la justice (1), réunies au sein du Collectif liberté, égalité, justice (CLEJ), dans un petit livret (2) démontant cinq idées reçues parmi les plus répandues sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines. Une initiative qui reflète les crispations sur le texte, rebaptisé « projet de loi tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales », dont l’examen a débuté le 3 juin à l’Assemblée nationale, en procédure accélérée, plus de sept mois après sa présentation en conseil des ministres (3).
Après la passe d’armes qui avait opposé la garde des Sceaux à l’ancien ministre de l’Intérieur et actuel Premier ministre, le texte a de nouveau cristallisé les désaccords avant que ne commencent les débats dans l’hémicycle : en commission des lois, les députés ont, contre la position de l’exécutif et sans que la garde des Sceaux s’y oppose, élargi la contrainte pénale – nouvelle peine effectuée en milieu ouvert – à l’ensemble des délits au lieu de ceux qui sont passibles d’une peine maximale de cinq ans de prison. Le rapporteur du projet de loi, Dominique Raimbourg (PS), a fini par annoncer un amendement de compromis prévoyant cet élargissement en 2017, après expérimentation. La commission a également prévu le même seuil d’emprisonnement, pour les primo-condamnés et pour les récidivistes, permettant un aménagement de la peine par le juge, soit un an de prison.
Reste qu’en l’état actuel, le texte passera à côté de son objectif initial d’améliorer la prévention de la récidive – ambition affichée dès la « conférence de consensus » de février 2013 – si plusieurs améliorations n’y sont pas apportées, jugent les organisations membres du CLEJ. « Nous souhaitons que cette réforme ne soit pas un ensemble de mesurettes et qu’elle aille le plus loin possible dans le sens de l’individualisation de la peine et de la réinsertion », argumente le secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Jacques Montacié. Selon lui, étendre la contrainte pénale à l’ensemble des délits permettrait au moins de « changer de paradigme ». « C’est une question de cohérence », ajoute Olivier Caquineau, secrétaire général du Snepap (Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire)-FSU, en rappelant que le sursis avec mise à l’épreuve s’applique à l’ensemble des délits. Sans compter que seuls des moyens à la hauteur de l’ambition du texte permettraient de « déplacer le – centre de gravité de la prison vers la – probation », souligne-t-il. Alors qu’un plan d’augmentation des effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation prévoit la création d’un millier de postes supplémentaires d’ici à 2017, dont 660 conseillers d’insertion et de probation (CIP), le Snepap juge pour le moins irréaliste, en l’état, l’objectif fixé par le gouvernement de 40 dossiers de contraintes pénales suivis par un CIP (les estimations tablent sur 20 000 peines de cette nature par an), soit moitié moins que le nombre moyen de condamnés actuellement suivis par agent. Le CLEJ souhaiterait, par ailleurs, que le seuil permettant de bénéficier d’un aménagement de peine par le juge soit ramené à deux ans, comme le prévoyait la loi pénitentiaire de 2009.
Autre regret : alors que la réforme de l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs n’est toujours pas annoncée, le texte aurait pu, en attendant, supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs, dont la création est contestée par les professionnels du monde judiciaire et éducatif. « Outre que les évolutions nécessaires n’ont pas été validées », parmi lesquelles également la suppression de la rétention de sûreté, « le texte a été paradoxalement durci » en commission, déplorent la CGT pénitentiaire et la CGT-PJJ, évoquant le renforcement des pouvoirs de police (possibilité de recourir aux écoutes téléphoniques et à la géolocalisation en temps réel pour s’assurer du respect par un condamné sortant de prison de l’interdiction de se rendre dans certains lieux ou d’entrer en contact avec certaines personnes).
De son côté, le Secours catholique plaide pour l’adoption de plusieurs dispositions, dont l’accès aux droits sociaux des détenus (revenu de solidarité active, allocation logement, allocations chômage) et la mise en place de mesures en milieu ouvert pour les personnes pour lesquelles la prison n’a « plus de sens » : celles qui souffrent de graves troubles psychiatriques, les femmes enceintes, les mères de jeunes enfants et les personnes âgées. Devant les oppositions politiques, un appel pour « un large consensus républicain », lancé par le criminologue Pierre Victor Tournier, déjà signé par plusieurs personnalités et organisations, dont – l’Association nationale des juges de l’application des peines, Citoyens et justice ou encore la Farapej (Fédération des associations réflexion, action, prison et justice), invite à dépasser les logiques « binaires ». Pour lutter contre la surpopulation carcérale et prévenir la récidive, il est nécessaire que « la politique pénale ambitieuse portée par le Premier ministre et la garde des Sceaux soit aussi portée par l’ensemble des pouvoirs publics, en pleine cohérence, qu’il s’agisse des ministères de la Justice et de l’Intérieur, mais aussi de celui des Affaires sociales et de la Santé, de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avec le soutien et la participation active de la communauté dans son ensemble », plaide le texte (4).
(1) Le Collectif liberté, égalité, justice rassemble l’ACAT, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, l’Observatoire international des prisons, la CGT-PJJ, la CGT pénitentiaire, le Snepap-FSU et le SNPES-PJJ-FSU.
(2) « Combattre les idées reçues autour de la réforme pénale » – A télécharger sur
(3) Voir ASH n° 2836 du 6-12-13, p. 51.
(4) Sur