Dans un avis publié au Journal officiel sur la situation des étrangers détenus dans les prisons françaises (1), le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Jean-Marie Delarue – dont le mandat arrive à échéance le 13 juin – rappelle que « rien ne justifie, sauf exception, une différence de traitement » entre détenus français et étrangers, mais soutient que « l’absence de mesures spécifiques de l’administration peut engendrer, dans certaines circonstances, une rupture irrégulière de cette égalité ». La situation des étrangers détenus peut donc appeler des dispositions particulières afin « d’assurer la mise en œuvre du principe d’égalité en prison et corollairement d’éviter des conditions d’incarcération inhumaines ou dégradantes », poursuit le CGLPL. Il formule donc en ce sens plusieurs recommandations qui doivent, selon lui, « être sérieusement prises en considération ».
Au 1er janvier dernier, quelque « 18,5 % des 77 883 personnes écrouées étaient de nationalité étrangère », indique Jean-Marie Delarue, en précisant cependant que l’administration pénitentiaire ne publie pas de données sur le nombre d’étrangers parmi les détenus effectivement hébergés (67 075 au début 2014). Et, si la proportion d’étrangers parmi les personnes écrouées est plus élevée que leur part dans la population en général, cela s’explique par « les délits, propres aux étrangers, relatifs à l’entrée et au séjour », par « les pratiques institutionnelles résultant de la loi et des tribunaux » et, enfin, par « les caractères de la population étrangère, largement – partagés avec les catégories sociales de Français les plus défavorisés, lesquelles peuplent massivement les prisons ».
Par ailleurs, « la réalité étrangère » est très variée du point de vue de la détention (prévenus, condamnés…) et du point de vue social, certains détenus étrangers présentant un mode de vie très proche de celui des Français tandis que « d’autres, au contraire, n’entendent rien à la langue française, pas plus qu’aux procédures qui leur sont appliquées ». Or « l’absence de maîtrise de la langue française multiplie, en quelque sorte, la vulnérabilité propre à la personne détenue », souligne le contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui fait plusieurs propositions visant à satisfaire « la claire compréhension par l’étranger de ses droits et devoirs en détention », en lui dispensant les informations nécessaires, comme prévu par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, oralement, « dans une langue compréhensible », et par écrit, dans un livret d’accueil remis à son arrivée. Des dispositions qui restent difficilement appliquées, constate le CGLPL, tout autant que le recours à un interprète, pourtant crucial dans « certaines circonstances dans lesquelles le régime de détention ou la santé de la personne sont d’évidence en jeu ». Une autre difficulté réside dans le fait que l’étranger non francophone est aussi dans l’incapacité de faire connaître ses demandes, ce qui peut, le cas échéant, le priver d’avantages auxquels il a droit.
Au-delà des questions de langues, « les conditions d’existence des étrangers détenus doivent aussi faire l’objet d’attentions particulières et de mesures efficaces lorsqu’elles ne troublent en rien le bon ordre et la sécurité », poursuit Jean-Marie Delarue à propos des étrangers isolés en France. « Les pratiques actuelles d’aide sont inadaptées pour les étrangers qui n’ont d’autres parents que des personnes domiciliées, éventuellement très loin, dans d’autres pays », déplore le CGLPL, qui préconise ainsi de mettre en œuvre des solutions adaptées au respect de leur vie familiale et à la qualité des liens avec leurs proches, notamment par l’accès – contrôlé – au téléphone portable et à Internet et le respect du droit à la correspondance.
Par ailleurs, « le niveau de fortune des étrangers isolés est généralement très faible », décrit encore Jean-Marie Delarue. L’accès aux aides en nature et en numéraire prévu par la loi doit donc « être régulier et prolongé » autant que nécessaire, et l’accès au travail et aux formations rémunérées ouvert sans discrimination aux détenus étrangers. Plus généralement, « des pratiques conformes aux usages dans le pays d’origine doivent être admises », ce qui concerne par exemple la fourniture de plaques chauffantes et d’aliments locaux pour éviter à certains détenus « des difficultés de santé dues à l’absorption de nourritures cuisinées selon les normes françaises ».
L’application des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile aux étrangers détenus appelle également « des améliorations précises », poursuit le contrôleur des prisons, en regrettant l’absence fréquente de « point d’accès au droit » ou d’une permanence associative. De plus, alors que « la possibilité de demander l’asile est un droit fondamental dont les limitations ne peuvent être envisagées qu’avec de très sérieux motifs », ce droit est en pratique très difficile à faire valoir en prison, où l’obtention et le renouvellement des titres de séjour se heurtent aussi à des obstacles liés à la constitution des dossiers nécessaires, à leur remise en préfecture, au respect des délais. Enfin, « de manière générale, l’aménagement des peines revêt clairement, toutes choses égales par ailleurs, un caractère fréquemment discriminatoire à l’encontre des étrangers », déplore Jean-Marie Delarue, qui évoque plusieurs hypothèses à privilégier pour y remédier (projet de probation ou exécution de la peine dans le pays d’origine, libération conditionnelle assortie d’un « retour volontaire »…).
(1) Avis du 9 mai 2014, NOR : CPLX1411703V, J.O. du 3-06-14.