Recevoir la newsletter

Gros chantier cherche architectes ! »

Article réservé aux abonnés

Robert Lafore. Professeur de droit public à l’université de Bordeaux-Institut d’études politiques.

Alors que l’on a pu commenter il y a peu, et dans cette revue même, les annonces décapantes du Premier ministre relatives au regroupement des régions et à la suppression du département, voici que le second volet du dénommé « Acte III » relatif aux compétences des collectivités territoriales révèle progressivement son contenu. L’avant-projet procède à un relatif redécoupage du gâteau que constituent les politiques publiques.

A ce jeu, la région semble tirer les marrons du feu, bien que restant cantonnée dans son pré carré économique traditionnel : élaboration du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, animation des « pôles de compétitivité », chef de file en matière de tourisme, responsabilité des transports non urbains routiers. On y ajoute un schéma régional d’aménagement et de développement durable. Enfin, un pouvoir réglementaire devrait être délégué aux régions pour l’exercice de leurs attributions, ces dernières en se groupant pouvant en outre proposer des modifications de dispositions législatives et réglementaires.

En ce qui concerne le département, sa disparition n’est pas vraiment actée par le texte, seulement évoquée dans l’exposé des motifs. Nonobstant cette potentielle et radicale mutation, l’avant-projet de loi semble, lui, plutôt parier sur son maintien puisqu’il redéfinit ses attributions, centrées sur un « social » qui conserve ses limites et sa substance héritée ; sa fonction traditionnelle de distributeur d’aides en direction des communes est réaffirmée. Un nouveau schéma, à élaborer avec l’Etat, lui est confié, concernant l’amélioration de l’accessibilité des « services au public », nouveau concept se substituant au « service public ». Enfin, au niveau des intercommunalités, le texte entend réduire le nombre de syndicats intercommunaux et relève le seuil de population minimal pour constituer un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Le vrai coup de force du projet tient dans la suppression de la clause générale de compétence des régions et des départements que l’on venait tout juste de rétablir dans la loi de modernisation de l’action publique territoriale du 27 janvier 2014…

De tout cela, que dire ? Essentiellement, et après les tonitruantes annonces concernant les regroupements de régions et la suppression de la collectivité départementale, le sentiment que le petit bricolage continue : on redistribue quelques attributions, on ajoute des schémas pour en supprimer, on conforte des départements qui devraient disparaître, on embraye sur les poncifs du « service au public », seule saillie « doctrinale ». Mais d’axes forts, de principes organisateurs, de vision de l’avenir référée aux questions qui se posent, point.

Or l’ensemble de nos organisations collectives héritées, dont nos services publics, subit des mutations qui invalident les conceptions qui les ont fondées il y a maintenant un siècle et mis en forme depuis cinquante ans. En premier lieu, l’Etat modernisateur qui a « fait » la France doit se redéfinir, notamment dans ses rapports avec des territoires qui ne constituent plus depuis longtemps de simples espaces de projection de sa volonté amendée par le face-à-face avec des notables locaux. Ces « territoires », ainsi dénommés justement pour cette raison même, doivent acquérir une substance propre qui permette de rendre visible les interdépendances qui les constituent et qui, notamment, mettent en solidarité les espaces dynamiques et ceux qui sont en perte de vitesse, les gagnants et les perdants, bref, qui font émerger des communautés de destin, alors qu’antérieurement la solidarité ne se pensait que nationale.

En second lieu, et en conséquence, la logique de répartition fonctionnelle et cloisonnée des compétences n’a plus de sens, car ce sont leurs connexions qui sont décisives : celles qui articulent l’innovation économique et les populations en difficulté, les dispositifs de formation et les exclus, les logiques de production du logement et les groupes marginalisés… Dit autrement, un « territoire » est un espace où l’on peut mettre en évidence le fait que le succès des uns se nourrit de l’échec des autres et où l’on tente d’y remédier.

La recomposition des régions et la suppression des départements, si tant est que cela soit sérieux, sont l’occasion de penser ces questions, loin de la promotion d’une bien peu consistante « économie des services » et de répartitions fonctionnelles qui distinguent et séparent ce qu’il faudrait relier. Le chantier attend donc des architectes capables d’en apercevoir les tenants et les aboutissants, ce qui nous éloigne de ces exercices besogneux où se discutent en fait, au travers des luttes sans fin sur la répartition des attributions, des champs de pouvoir. Le drame, c’est que là est sans doute la seule chose qui reste à nos notables politiques.

Point de vue

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur